Sénégal: [ÉVASION] Ile du Saloum - Thiallane, une merveille bâtie sur des mystères

27 Août 2023

Parmi les Îles du Saloum, dans la région de Fatick, il y en a une qui fascine par son aspect mythique. Berceau de sites sacrés, Thiallane cache une histoire riche en mysticisme et en spiritualité. Les richesses culturelles et cultuelles de l'île ne sont plus à démontrer. Beaucoup de périodes de gloire ont marqué l'existence de ce village et restent encore dans les annales.

FATICK - « Il y a longtemps, les habitants des villages environnants se donnaient rendez-vous, chaque année, à Thiallane, pour des moments forts et solennels ». Nostalgique, Souleymane Diop part loin dans le temps. Fixant l'horizon d'un regard perçant. En ces temps moroses, le vieil homme de soixante-dix ans se laisse bercer, comme d'habitude, par son hamac bien tissé et soigneusement suspendu entre deux gros bâtons. Ce lit artificiel est comme un lieu de recueillement pour le sexagénaire. Pendant un long moment, il fixe l'horizon d'un regard perçant. Son visage, à peine déformé par le poids de l'âge, laisse voir des sentiments de nostalgie et d'émotion. Les beaux jours de son Thiallane natal défilent encore dans sa tête.

Le soleil s'apprête à rejoindre le couchant. Petit à petit, l'astre se cache derrière les arbres touffus de la forêt du village. Le crépuscule a fini de s'installer à Thiallane. La fraîcheur du soir commence à caresser les narines. Les petits enfants turbulents regagnent les maisons. Les derniers pélicans, qui rentrent d'un long voyage, survolent le village pour aller retrouver leurs abris. Thiallane, l'île mythique et mystique. La terre du margouillat. Cet animal mystérieux est utilisé pour punir les voleurs à travers un rituel bizarre.

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Les mystères de l'île

Selon plusieurs avis d'habitants, Thiallane est une île redoutable. Sa position géographique en dit long sur son caractère mythique. Enfoui au coeur des Îles du Saloum, c'est un hameau dont les sites sacrés font une grande partie de son histoire. Il est complètement ceinturé par le bras de mer, bordé de part et d'autre par la mangrove. Alors que les autres villages sont reliés entre eux par la voie terrestre, Thiallane n'offre pas cette possibilité. Pour partir de là ou y aller, il faut emprunter une pirogue pour le déplacement. Impossible de rallier les villages voisins à pied. Son existence est impressionnante, en témoignent ses nombreux sites sacrés. De gros arbres protecteurs qui ont leur histoire.

À l'extrême Est du village, se tient un arbre très dense, à l'image effarouchant. C'est un grand caïlcédrat. Il a réuni, à ses côtés, de nombreuses autres espèces d'arbres presque impénétrables. Le site est tout le temps obscur. L'arbre s'appelle Thioura. Selon la tradition, c'est un génie qui a toujours défendu le village. Cependant, sa colère est redoutable. Il n'aime pas être dérangé. Sinon, quand il doit punir, il est impitoyable. Almamy Thior, un natif de l'île, relate des événements historiques que lui ont racontés les anciens : « Dans le temps, il y a eu une grande bataille à Thiallane. Des peuples étrangers étaient venus pour envahir le village. Mais, les envahisseurs avaient buté sur de vrais guerriers. Des soldats braves et extrêmement courageux. C'était un village invincible. Le génie Thioura affûtait aussi ses armes. Il participait activement à la guerre. Il mobilisait son armée qui ne tardait pas à s'abattre sur l'ennemi. Un vieux m'a aussi dit que Thioura avait mystérieusement bunkerisé le village. Il avait une puissante armée ».

Tout comme Thioura, un autre gros arbre vivait au centre-ouest de Thiallane. Malheureusement, il est tombé et a disparu il y a quelques années. Il avait pour nom Diamondiaye. Son ombre, très vaste, servait d'abri pour les habitants. De jour comme de nuit, vieux et enfants s'y rendaient. Il y avait beaucoup de hamacs attachés par les sages du village. À la différence de Thioura, Diamondiaye était un génie clément, ami de tous. Les grosses racines étaient sorties de terre et servaient de bancs au public. Les enfants s'y asseyaient et s'y couchaient. Ses longues et puissantes branches surplombent les maisons construites aux alentours. La nuit, les sages y allaient pour des veillées nocturnes et d'autres préoccupations. Aujourd'hui, la place où s'était implanté Diamondiaye est complètement déserte. « Diamondiaye est parti. Il est mort, peut-on estimer », révèle une vieille dame.

« Ndjaanda », les baobabs jumeaux

Sur le côté Sud du village, une image pas moins étonnante attire l'attention. Deux baobabs, comme accroupis, se tiennent côte-à-côte sur un site peu élevé. L'un fait face au Nord, l'autre au Sud. Des coquillages sont éparpillés sous « les deux arbres jumeaux ». Le site est à quelques mètres des palétuviers sous lesquels coule l'eau du bras de mer. Des habitants expliquent que les deux arbres constituent un lieu de prière. D'après Almamy Thior, la population s'y retrouvait quand une sécheresse tombait sur le village. « Les anciens racontent que les villageois allaient prier sous les baobabs jumeaux. C'était, en quelque sorte, un moyen d'attirer la pluie. Pour ce faire, les femmes du village chantaient et dansaient. En tenue traditionnelle, les jeunes filles étaient aussi de la partie. En même temps que les chants et danses, on versait du mil ou du riz écrasé. Après Ndjaanda, elles vont rejoindre Kanguél, un autre site sacré. Arrivées sur place, elles continuent à chanter, une façon de prier. En tout cas, bien que je sois jeune, j'ai assisté à des résultats issus de ce rituel. Déjà, je peux témoigner qu'après ces chants et danses de prière, il ne pouvait faire deux jours sans que la pluie ne tombe abondamment. Le Ciel répondait toujours favorablement », indique Almamy Thior.

Aujourd'hui, les deux baobabs jumeaux sont encore sur place. Ils sont intacts. Toutefois, le temps des rituels de danse et de chant est révolu. N'empêche, ils vivent toujours parmi les habitants.

« Baakk Yékk » (baobab rouge), le muezzin

En pleine forêt, au nord du village, vivait un grand baobab. Il était entre les différents champs de mil et avait, à ses côtés, un petit tamarinier. Aujourd'hui disparu, l'arbre séculaire s'était doté d'un trou géant avec une entrée qui avait presque la taille d'une porte d'une chambre. On l'appelait « Baak Yékk » ou le baobab rouge. Nom dont l'origine est méconnue. Mais, pour ce qui est de l'histoire, c'est un arbre sacré qui était respecté par les anciens. À en croire Almamy Thior, un vieil homme l'habitait. « On nous a aussi dit que le grand trou de ce baobab servait de chambre à un vieux génie protecteur. À l'heure de la prière, il faisait l'appel. C'était un muezzin. Les sages qui avaient la perception du mystère le voyaient et entendaient souvent ses appels à la prière », raconte-t-il.

Selon les témoignages des habitants, Baak Yékk était un génie très courtois. Au temps, les anciens qui travaillaient dans les champs d'à côté s'y recueillaient de temps en temps. Certains se cachaient même dans « la chambre du génie » pour se protéger des rayons du soleil ou de la pluie. Autre chose, les enfants d'alors allaient chercher des oeufs d'oiseaux sur l'arbre. Ils montaient sur les branches pour trouver des nids. Ses fruits étaient aussi comestibles. Les jeunes garçons cherchaient les pains de singe dans la journée. De nos jours, le jeune tamarinier, qui était sous la protection du baobab, est devenu un grand arbre et c'est lui qui occupe maintenant les lieux.

Ces quelques sites découverts sont comme une goutte d'eau dans l'océan. Il y en a à foison dans cette île à la culture riche. Dans le village, comme dans la forêt, beaucoup de sites sacrés vivent encore.

Les temps glorieux du village

À l'Est de l'île de Thiallane, se trouvent les villages de Bassar et de Bassoul. Elle est délimitée à l'Ouest par Siwo, au Nord par Djirnda, au Sud par Diogane. Les anciens racontent que Thiallane était un point de ralliement spécial pour les habitants de ces villages environnants. C'est là qu'on portait son plus bel habit à l'occasion d'une fête traditionnelle solennelle. Ramou Ndiaye s'en souvient. La vieille dame confie que Thiallane était comme la capitale des îles : « Quand arrivait ce grand rendez-vous annuel, on embellissait le village. C'était la joie, le bonheur. Les habitants des autres îles venaient en masse. C'était la ruée vers Thiallane. Un accueil chaleureux leur était toujours réservé ».

À l'instar des vieilles dames, indique-t-elle, les jeunes filles se rendaient à l'entrée du village en chantant et en dansant. « Ce jour-là, chaque insulaire venait avec son plus beau boubou. C'est un habit qu'il avait acheté et gardé pendant même longtemps. Le réservant pour le grand rendez-vous de Thiallane. À la place publique, où se passait la fête, les gens brillaient par la beauté des vêtements », explique-t-elle.

Autre fait marquant, la séance de lutte organisée à Thiallane. C'était un événement unique dans toute la zone insulaire. Il attirait énormément de personnes. Pour regarder les combats, c'était tout à fait gratuit. Il n'y avait ni contrainte, ni rien qui pouvait empêcher de suivre la lutte. C'est la raison pour laquelle les spectateurs des îles voisines venaient en grand nombre. Les Thiallanois s'étaient organisés pour rendre exceptionnelle la fête. Ce qui faisait d'elle un évènement sans nul autre pareil. Pendant sept jours, le village vivait au rythme de l'ambiance des chansons et des tam-tams. Les champions venaient de partout.

Les natifs de Thiallane, qui vivent dans les différentes villes du pays, regagnaient le village pour donner une solennité à la fête. Les gens venaient de Dakar, de Joal, de la Gambie... Dès que la semaine de la fête arrivait, on mobilisait les pirogues pour aller prendre les centaines de personnes qui devaient venir à Thiallane. Un ancien organisateur de lutte raconte : « On ne donnait pas de tickets. Aucune exigence. On se levait de chez soi, et on allait tranquillement regarder. Toutefois, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les choses ont changé. Maintenant, la nouvelle génération a bâti une modeste arène. Ce n'est plus possible de suivre la lutte sans acheter un ticket. C'est pourquoi l'affluence a beaucoup diminué. Il n'y a plus de spectacle gratuit ».

Une terre bénite de sollicitations spirituelles

Thiallane est une île de croyants. À ce jour, elle est habitée par une population à 100% musulmane. Sa mosquée est perdue au milieu de baobabs et de rôniers gigantesques. En foulant le sol du village, le regard croise le dôme géant et le grand minaret, qui, telle une tour, surplombe les maisons.

Le village est réputé béni et sacré. C'est pourquoi il reçoit beaucoup d'étrangers au cours de l'année. Ce sont des gens qui viennent pour solliciter des prières. Des personnalités arrivent de tous les horizons. Un adulte a fait savoir que des célébrités comme Oumar Kane, alias « Reug-Reug », ont bénéficié des prières de Thiallane. Le champion de lutte avec frappe ne manque toujours pas de remercier les habitants de cette île qui l'a toujours soutenu dans ses multiples aventures. Ainsi, un homme, qui a gardé l'anonymat, laisse-t-il entendre : « Quand tu fais quelque chose de positif pour le village, il te rend la pareille. Tout enfant qui se sacrifie pour lui se verra récompenser tôt ou tard. C'est une terre bénite ».

Des personnes influentes, qui sont toujours en vie, ont vu le jour dans cette île. En l'occurrence, Mamadou Thior, actuel président du Conseil pour l'Observation des Règles d'Éthique et de Déontologie dans les médias au Sénégal (Cored), Lamine Diatta (ancien international sénégalais et actuellement membre du staff technique de l'équipe nationale de football du Sénégal) ...

Les témoignages recueillis renseignent que Thiallane est un village qui a toujours répandu ses rayons de bénédiction sur ses fils. « Un jour, un vieil homme, venu d'une localité lointaine, m'a raconté une anecdote. Alors qu'il était venu à Thiallane pour une certaine mission, il a fait escale chez un vieux père qui habitait, à l'époque, une maison non loin de l'entrée du village. Après avoir donné de l'eau à boire à l'hôte, le vieux père lui assure que sa mission était déjà accomplie sous prétexte qu'il a mis les pieds dans sa maison », raconte El Hadji Sarr,

Aujourd'hui, Thiallane souffre de son enclavement. Bien qu'il garde toujours sa belle nature et son environnement sain, le village manque, cependant, de beaucoup de choses : électricité, structure de santé et tant d'autres commodités.

(Correspondant)

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