Tunisie: Initiative de l'exécutif - Liberté d'expression, lutte contre la désinformation, un équilibre difficile ?

27 Août 2023

Les autorités tunisiennes ont exprimé leur préoccupation croissante face à la prolifération des fausses nouvelles, des rumeurs et des informations fallacieuses circulant sur les réseaux sociaux

Le débat sur l'utilisation des réseaux sociaux à des fins peu recommandables est un sujet on ne peut plus sérieux, il est même crucial. Récemment, les ministères de la Justice, de l'Intérieur et des Technologies de la communication ont décidé d'engager des poursuites judiciaires visant à révéler l'identité des propriétaires et des utilisateurs de pages, de comptes et de groupes sur les réseaux sociaux qui diffusent de fausses informations et portent atteinte à la sécurité publique.

L'initiative du gouvernement viserait à lutter contre la cybercriminalité, mais elle suscite une certaine discussion animée entre ceux qui la perçoivent comme une limitation de la liberté d'expression et ceux qui la considèrent comme une protection nécessaire contre les abus en ligne.

Les autorités tunisiennes ont exprimé leur préoccupation croissante face à la prolifération des fausses nouvelles, des rumeurs et des informations fallacieuses circulant sur les réseaux sociaux. Selon les trois ministères impliqués, ces actes ont pour objet de diffamer, de dénigrer, de porter atteinte aux droits d'autrui, de perturber la sécurité publique et l'ordre social, et même de porter préjudice aux intérêts de l'État tunisien. Cette décision intervient dans le cadre d'une lutte vigoureuse contre la cybercriminalité.

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Contre la désinformation

L'une des mesures les plus controversées de cette initiative est la possibilité de poursuivre en justice les contrevenants pour une simple rediffusion d'une rumeur ou d'une fausse nouvelle. Cette disposition soulève des préoccupations quant à la protection des libertés.

Par ailleurs, outre la recherche de l'identité des auteurs de ces contenus nuisibles, les ministères ont annoncé leur intention de publier régulièrement sur les sites officiels, les listes de pages et de groupes électroniques concernés qui font l'objet de poursuites. Cette disposition se veut, notamment, un gage de transparence pour informer le public et dissuader les individus de s'impliquer.

La décision commune aux trois ministères suscite cependant de vives critiques. D'un côté, certains considèrent que cette mesure menace la liberté d'expression et la possibilité pour les citoyens de critiquer le gouvernement et de s'exprimer librement en ligne. Ils craignent que cela puisse ouvrir la porte à des abus de pouvoir et au musellement de l'opposition politique.

Deux poids, deux mesures ?

Ainsi Zyna Mejri, fondatrice de la plateforme anti-fausses informations, « Falso », exprime son scepticisme et ses préoccupations quant à l'efficacité de cette décision. En tant qu'actrice engagée dans la traque des fausses nouvelles depuis longtemps, elle estime que les autorités gouvernementales ont jusqu'à présent manqué d'action face à certaines pages qui diffusent des rumeurs et des informations fallacieuses, en particulier celles concernant les opposants au Président Kaïs Saïed.

L'activiste Zyna Mejri souligne que sa propre base de données ne compte pas moins de 590 pages qui ont été des vecteurs persistants de fausses informations. Elle s'interroge sur la possibilité de voir ces pages, qui sont perçues comme proches du président, sérieusement réprimées par les ministères de la Justice, des Technologies de la Communication et de l'Intérieur dans le cadre de leurs actions. « Allons-nous voir ces pages classées et traitées de la même manière que les autres propagateurs de désinformation ? » se demande-t-elle. « Je ne suis pas optimiste ».

Alors que les partisans des nouvelles régulations soutiennent qu'elles sont nécessaires pour maintenir la stabilité et l'intégrité de la société. Les critiques, comme Mejri, mettent en avant le risque potentiel d'une utilisation sélective de ces mesures pour cibler des groupes politiques ou des voix dissidentes.

Garantir la souveraineté numérique et la sécurité de la Tunisie

De leur côté, les partisans de ces mesures affirment qu'elles sont nécessaires pour lutter contre la désinformation et protéger la société. Ils soutiennent que la diffusion de fausses nouvelles peut avoir des conséquences graves sur la stabilité sociale et politique du pays, en exacerbant les tensions et en sapant la confiance du public dans les institutions.

Souhaieb Mezrigui, membre du Mouvement «Al-Baâth», explique que le récent communiqué conjoint des ministères n'est pas un acte répressif ou annonciateur de dictature, comme certains ont voulu le laisser entendre. Au contraire, il estime que cette décision vise à affirmer la souveraineté numérique de la Tunisie et à garantir la sécurité publique en engageant des poursuites judiciaires contre ceux qui propagent délibérément des rumeurs et des mensonges dans le but de perturber l'ordre social ou de porter atteinte à la souveraineté de l'État.

Mezrigui soutient que des pratiques similaires sont en place dans des démocraties bien établies à l'instar de la France et du Royaume-Uni. Le dirigeant politique estime que ces actions légales visent avant tout à préserver la sécurité nationale et la paix sociale, sans nécessairement restreindre la liberté d'expression et le droit de critiquer.

Il souligne également que le communiqué conjoint ne vise pas à entraver les droits fondamentaux tels que la liberté d'expression, la critique et l'évaluation, et fait, pour le prouver, référence à l'article 25 de la Constitution du 25 juillet 2022, qui garantit la liberté d'expression et de critique. Il assure que toute action gouvernementale doit être conforme à ces dispositions constitutionnelles.

Cette décision marque un point de bascule dans ce débat, et son évolution sera suivie de près par les défenseurs des droits de l'homme, les experts en technologie et les citoyens engagés.

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