Ile Maurice: Patrimoine national - Une période amère pour le sel mauricien

«Salt, salt everywhere, but none from our island.» La fermeture de presque toutes les salines mauriciennes, conjuguée aux prix bas des sels importés en vogue, un manque de main-d'oeuvre imminent alors que les travailleurs locaux sont à la veille de la retraite ainsi que le bétonnage des terres, a décimé un pan de notre histoire patrimoniale.

C'est un patrimoine qui est sur le point de fondre tel le sel dans l'eau. Les rayons des supermarchés sont envahis par le sel venant de Madagascar, de l'Inde, de Chine, d'Égypte notamment, mais celui de Maurice s'y trouve à peine. La plupart des salines locales ont cessé leurs activités depuis longtemps, justement en raison de la concurrence engendrée par le sel importé qui se vend moins cher. Cependant, celui venu d'ailleurs n'est pas nécessairement bon pour mijoter des plats succulents et pour la santé, surtout quand il n'est pas cher.

Le chef Curtis Chundee, également directeur du Catrex Events and Catering, utilise souvent le sel local dans ses plats, mais il a un choix spécial quand il s'agit de sel importé. «Bien sûr, le meilleur sel importé est celui qui d'Himalaya, qui est de couleur rose, que j'utilise souvent. Il est meilleur pour la santé étant sans sodium. Cependant, tout le monde ne peut se le permettre vu son prix. J'utilise alors du sel local qui est 100 % naturel. Pour être sûr que ce soit bien du sel mauricien, je prends du gros sel qui est fréquemment mis dans un coin des étagères, pour le passer dans un appareil afin de le raffiner. De plus, je scrute l'emballage pour voir s'il provient de l'ouest de Maurice.»

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Les salines de Maurice, qui font partie du patrimoine, ont commencé à cesser leurs activités quelques années après que le gouvernement ait autorisé le sel en grande quantité notamment (voir tableau). Depuis, les producteurs locaux vivent une période amère. Le seul producteur de l'Ouest nous parle de leurs difficultés. «C'est la catastrophe. C'est connu . Nous sommes parmi les dernières salines de Maurice. Nous n'avons commencé notre première récolte que la semaine dernière en raison de grosses pluies au début de cette année», regrette ce producteur de l'Ouest.

Problème de main-d'oeuvre

Le changement climatique n'est pas leur seul et plus gros adversaire. Ils font face principalement à une concurrence étrangère. «Il y a eu la libéralisation de l'importation de sel par le gouvernement. Les sels étrangers, vendus moins cher, ont envahi le pays. Il y a aussi un problème de main-d'oeuvre. Si dans d'autres secteurs, il y a des Bangladeshis ou des Chinois, dans le secteur du sel, il n'y a que des Mauriciens. Ces derniers seront bientôt à la retraite», déplore le producteur du sel.

Les chiffres des Statistics Mauritius démontrent clairement que les Mauriciens sont de très grands consommateurs de sel étranger (voir tableau). Les principaux sels raffinés qui inondent le marché mauricien proviennent de Madagascar, d'Égypte, d'Afrique du Sud, d'Inde, de la Chine et du Pakistan. Au cours de l'année écoulée, par exemple, 3 680 967 kilogrammes de sel ont été importés de Madagascar contre 3 474 800 kilos en provenance d'Égypte. L'Inde a exporté 1 015 962 kilos de sel raffiné à Maurice pour la même période. Ces chiffres ne concernent pas le sel nonraffiné qui est également importé. Toujours selon le producteur local, l'industrie du sel mauricien survit grâce à des consommateurs qui ont pris conscience de l'importance de sauver ce patrimoine. Cependant, regrettet-il, d'autres Mauriciens préfèrent acheter le sel étranger à moins cher. «Comme je vous l'ai dit, le sel importé coûte beaucoup moins cher. Une petite poignée de personnes continuent à nous soutenir en achetant le sel local», regrette-t-il.

Cependant, insiste le chef Curtis Chundee, un sel moins cher ne veut nullement dire que c'est du bon sel pour mijoter d'excellents plats. De plus, il précise que ce n'est pas nécessairement approprié pour la santé. «Des chefs français que j'ai eu la chance de côtoyer m'ont fait comprendre que les sels que nous importons à Maurice ne sont pas tous 100 % naturels. Une bonne partie peut n'avoir qu'entre 25 à 50 % de sel naturel. L'autre pourcentage n'est que du sel produit en usine ou en laboratoire. Essayez de faire l'expérience. Achetez différents sachets de sel importés qui se vendent bon marché et goûtez. Vous verrez que la salinité n'est pas la même pour chaque sachet. D'ailleurs, c'est pour cette raison que quand certaines personnes font la cuisine, elles mettent la même dose de sel lors des différentes cuissons en utilisant différentes marques de sel, mais le plat n'a pas toujours le même goût. L'explication est simple. Le pourcentage de sel naturel varie de marque en marque», explique ce cuisinier. Autre conseil du chef, l'abus de sel est mauvais pour la santé.

Loin d'être le sucre

L'industrie sucrière a dû se réinventer pour produire des sucres spéciaux, par exemple, pour sa survie. Mais l'industrie du sel fonctionne autrement. Le producteur de l'Ouest a tenté d'exporter, mais la concurrence est rude. «Il n'y en a même pas assez pour la production locale. Nous avons déjà essayé l'exportation vers La Réunion ou encore vers l'Europe. Les pays comme l'Australie, l'Inde ou encore Madagascar produisent déjà sur une grande quantité de sel. Ils font la récolte à l'aide de tractopelles sur plusieurs kilomètres», explique-t-il. Ce producteur ne voit pas comment relancer ce secteur qui peine depuis que le gouvernement a libéré l'importation du sel. «Presque toutes les salines existantes ont déjà été détruites et elles seront peut-être prochainement bétonnées. Cela coûterait des millions et des millions de roupies pour la relance de ce secteur et, franchement, il faudrait être bête pour y investir autant d'argent.»

«Île était une fois l'histoire des salines à Maurice et à Rodrigues...»

Jérémie Brousse de Gersigny raconte l'épopée de l'industrie du sel à Maurice et à Rodrigues dans son livre qui vient de paraître. Île était une fois l'histoire des salines à Maurice et à Rodrigues, trois siècles d'histoires salées raconte l'histoire d'une industrie qui faisait la fierté de toute une nation. Il évoque aussi comment certaines décisions des différents gouvernements ont contribué à son agonie. L'auteur parle également comment des salines ont cédé la place au béton.

Consommateurs, attention au piège

Curtis Chundee met en garde les consommateurs. Il y a des inscriptions ou des dessins sur les sachets de sel importé qui font croire que ce sont des produits locaux alors que ce n'est pas le cas. Il insiste pour prendre le sachet avec le label «Made in Moris». Effectivement, un détour dans un supermarché confirme les dires du chef. «Mauritius» est le nom d'une marque de sel, mais il n'est pas dit dans quelle région ce sel a été produit à Maurice ni son origine. Sur un autre sachet, il y a le dessin d'une pirogue, mais la provenance du sel est l'Inde. Il y a même du gros sel qui provient de Namibie. De plus, la plupart des sachets ne comportent même pas l'origine du sel. Il est uniquement écrit sur l'emballage «packed in Mauritius», avec le nom du distributeur.

Une récolte de 500 à 600 tonnes cette année

Les prévisions ne sont pas bonnes pour cette année. D'habitude, la production de sel à Maurice tourne autour de 1 000 tonnes, mais les intempéries du début de l'année ont privé les salines de soleil. La récolte tournera autour de 500 à 600 tonnes.

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