Kaffrine — Le nouveau Centre culturel régional (Ccr) de Kaffrine, inauguré en janvier 2023, possède une bibliothèque fonctionnelle peu fréquentée par les habitants de la région. Ce qui constitue « une désolation », selon sa gérante.
- Un local dont la brillance des carreaux scintillants témoignent de la nouveauté des lieux. En passant la porte de la bibliothèque du Centre socio-culturel régional de Kaffrine, on est entouré des étagères où trônent différentes collections de livres.
Au milieu de la pièce plutôt minuscule, si on la compare à celle du célèbre Centre culturel Blaise Senghor, des chaises vides de personnes collent à une grande table longiligne. Plus loin, au fond de la salle, un petit coin aménagé pour les enfants laisse entrevoir une petite table où sont posés des tas d'outils servant à des ateliers d'expression artistique.
Parmi la vingtaine de chaises qui siègent dans la salle, seule l'une est occupée par un jeune homme. Assis et courbé, stylo à la main collée à l'oreille, devant un tas de livres qu'il consulte, il prend quelquefois des notes. Lorsqu'on arrive à sa hauteur, ce visage enfantin de loin, apparaît plus mature.
Le jeune homme qui se présente est, en réalité, professeur de philosophie servant au Lycée El Hadji Ibrahima Bâ de Koungheul. « C'est notre rat de bibliothèque », nous indique Fatou Niang, la gérante de la bibliothèque de Kaffrine qui regrette que cet espace de documentation soit délaissé par les jeunes et les habitants de la région. « C'est vraiment désolant, parce que ce lieu ils devraient se l'approprier.
Ils sont la raison de son existence ». Fatou Niang considère « qu'on ne peut pas ignorer une bibliothèque si on veut percer dans le monde professionnel ». D'après ses observations, elle tire la suivante conclusion : « La population ignore l'importance de la bibliothèque qui semble être banale pour eux ».
Une habitude très ancrée
Ce qui empêche donc d'enregistrer un nombre conséquent de participants lors des activités de promotion de l'espace. « Nous voulons parfois organiser des activités d'animation de lecture, des concours de dictées, etc. Mais souvent, nous n'avons pas assez d'inscrits pour mener à bien ces activités.
Pourtant l'abonnement n'est pas cher, c'est juste à 500 FCfa l'année » regrette-t-elle.
Originaire de Keur Babou, un village situé à 7 km de Kaffrine, dans le département de Mbirkelane, El Hadj Mbara Wilane, le seul abonné qu'on a retrouvé sur les lieux, profite du temps dont il bénéficie durant les vacances pour procéder à des recherches ayant rapport avec son projet de thèse en philosophie. « Depuis que je fréquente ce lieu, je ne vois pas beaucoup de jeunes rôder dans les parages. Je trouve pourtant que c'est nécessaire pour eux.
Ils auraient pu profiter de ces vacances, par exemple, pour se remettre à niveau », suggère-t-il.
Le doctorant estime que la lecture « participe à la formation et à notre humanité ». C'est la raison pour laquelle, lorsqu'il a été orienté au relevé Département de Philosophie de l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, il s'est tué à la tâche pour apprendre après avoir remarqué une différence de niveau entre lui et ses camarades. « Je me suis vite rendu compte, dès ma première année, que j'avais un niveau très faible et que je ne pouvais pas rivaliser avec mes autres camarades venus des autres régions, qui s'exprimaient très bien.
Alors j'ai commencé à fréquenter la Bibliothèque universitaire. Au bout d'un certain temps, ça a été fructueux. J'arrivais à argumenter et à m'exprimer de la meilleure des manières », s'enorgueillit-il.
À ces élèves, Elhadj Mbara Wilane ne cesse de donner en exemple son parcours pour les motiver. Cependant, très peu parviennent à décoder le sens de son discours. « Je leur donne mon exemple pour les pousser à se dépasser. Je pense qu'à force de leur donner des cas précis de modèles à suivre, ils vont finir par sortir de leur tête cette habitude très ancrée de ne pas s'intéresser à la lecture », poursuit-il, marquant une espérance.
Abdourahmane Diallo, directeur du Centre culturel régional
« Kaffrine est en bonne voie pour devenir la capitale culturelle du Sénégal »
Nouvellement affecté à Kaffrine en provenance de Matam, le directeur du Centre socio-culturel régional (Ccr) de Kaffrine, a fait le tour de l'actualité de son institution. Il aborde, dans cette interview, l'activité culturelle de la région et les objectifs fixés.
La région de Kaffrine a accueilli, du 11 au 27 août, les phases nationales sportives et culturelles de l'Oncav. En janvier 2023, elle a été le lieu de réception du Festival national des arts et de la culture (Fesnac). Kaffrine a-t-elle atteint le graal culturel au Sénégal ?
On note que ce sont deux évènements majeurs qui ont été organisés dans la région cette année.
D'abord, le Fesnac qui a regroupé toutes les 14 régions du Sénégal, et a fait participer des artistes qui sont venus d'un peu partout à travers le monde. Ensuite, les phases nationales qui ont vu la participation de toutes les localités du pays.
On retient donc que, lors des années précédentes, le sport était beaucoup plus mis en avant. Et pour la première fois, on a remarqué que la culture joue un rôle important dans ces joutes des « Navetanes ».
Pour en arriver à ce résultat, une subvention de 25 millions de FCfa a été octroyée aux acteurs du mouvement par le Ministère de la Culture et du Patrimoine historique pour financer les activités culturelles.
De plus, un programme culturel a été mis en place par le Ministère pour animer ces évènements, à travers un concert organisé à Mbirkelane qui a été précédé par la pose de la première pierre du Centre de lecture arabo-islamique (Clac) de Fass Makhtar.
Dans ce sillage, une exposition dénommée « Expo phases nationales des arts visuels à Kaffrine » a été montée sous la direction du centre socio-culturel régional. Il est également prévu pour mercredi (hier) des compétitions de théâtre où différentes troupes des régions vont prester sur le thème de l'année « La citoyenneté active au service du développement ».
C'est quand même une occasion pour nous de montrer que la culture peut servir de déclic pour sensibiliser contre la violence. La région de Kaffrine est la région centre du Sénégal. C'est donc normal qu'elle accueille ces grands évènements. Ce qui prouve qu'elle est train de se développer très rapidement du point de vue culturel, sportif, etc. Tout cela fait partie du marketing territorial de la région.
C'est le mérite de toute la population du Ndoucoumane qui est en train de se battre. Comme résultat, la région est citée en exemple comme l'une des plus propres et créatives du Sénégal. Nous espérons que l'Oncav va pérenniser ces initiatives lors des prochaines éditions.
Pour ce qui est du ressort du Centre socio-culturel de Kaffrine, comment déclinez-vous votre feuille de route ?
Nous avons pris service le 15 juin dernier. Une semaine après, nous avons organisé la fête de la musique. Nous avons été ensuite reçu par le Ministre de la Culture Aliou Sow, qui nous a donné des instructions, et nous a indiqué la feuille de route à suivre.
En premier lieu, nous avons procédé à une tournée régionale de prise de contact et de sensibilisation sur les possibilités de financement au niveau du Ministère. Ce qui nous a permis de discuter avec les acteurs de la région sur la formalisation d'une structure culturelle. On a constaté que beaucoup d'acteurs ne bénéficient pas de ces projets.
Par exemple, entre 2021 et 2022, le Fonds de développement de la culture urbaine (Fdcu) n'avait retenu qu'un seul projet au niveau de Kaffrine sur un total de candidatures de 172 projets au niveau national. On s'est dit que ce n'est pas normal. Kaffrine mérite mieux et nous comptons faire changer les choses. On a décidé d'aller vers ces acteurs culturels pour les sensibiliser et les accompagner pour qu'ils puissent comprendre le processus d'écriture des projets culturels et maîtriser l'organisation d'une activité en vue de capter des financements.
Dans ce sens, nous comptons organiser, au mois de septembre, une formation sur l'administration de projets culturels en partenariat avec le festival Africa Fête. En octobre, un autre atelier est prévu en rapport avec la régie générale d'une activité culturelle. On compte aussi monter une belle équipe pour aller participer à la 13e édition du Fesnac au mois de décembre à Fatick. De manière générale, on voudrait que la culture se vivifie dans la région.
Dans cette dynamique, comment se dessinent les perspectives ?
La région de Kaffrine est en train de se positionner d'une manière extraordinaire dans l'attelage culturel au niveau national. Depuis 2008, l'année où Kaffrine est devenue une région, il y a beaucoup plus de compagnies théâtrales et d'acteurs culturels qui comprennent les enjeux et essaient de viser des opportunités au niveau national et international.
Nous sommes heureux que des acteurs culturels puissent aller vendre des oeuvres à plusieurs millions de francs au niveau international. On peut être fier d'avoir une belle région où les acteurs essaient de belles choses.
Nous conseillons aux artistes qui sont toujours restés à Kaffrine de travailler davantage. Le centre culturel va faire le travail de maillage dans certaines localités qui sont un tout petit peu en retard par rapport à d'autres. Il y a espoir que cette région puisse devenir la capitale culturelle du pays. Du point de vue culturel et historique, il y a beaucoup de matières et la région de Kaffrine est en bonne voie pour devenir la capitale culturelle du Sénégal.
Quels sont les autres difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs culturels de la région ?
La première difficulté est en rapport avec le manque de formation. Nous allons essayer d'apporter des solutions là-dessus. L'autre problème est lié au manque d'infrastructures. Les locaux où nous sommes installés, aujourd'hui, sont peut-être mieux outillés que ce que qu'il y avait il y a quelques années, mais, à mon avis, on peut avoir mieux. Il nous manque un centre culturel de renom avec une grande salle de spectacle, une grande salle de conférence et un studio d'enregistrement qui pourront servir de lieux de rencontres et de créations artistiques.
De même, nous n'avons pas une salle qui peut accueillir un concert. Tous ces déficits posent la question de la logistique et du matériel : ce qui est indispensable pour bien faire son travail. Avec le programme de construction des centres régionaux à Kaffrine, l'on espère que ce souhait ne va pas tarder à se réaliser parce que l'assiette foncière existe déjà.
Pour ce qui est de la professionnalisation, nous allons essayer d'y travailler. Nous allons beaucoup communiquer pour améliorer les choses.