Sénégal: Kayar - Chez les gardiens de la mer

28 Août 2023

Kayar est connu pour être essentiellement un village de pêcheurs. D'ailleurs, la localité ne compte pas moins de 2000 pirogues. Pourtant, cette localité reste l'un des sites où l'on prône une pêche responsable, avec l'interdiction des monofilaments et de la surpêche. Aujourd'hui, tous les travailleurs sont astreints à respecter cette règle, faisant des Kayarois des gardiens de l'océan.

La plupart des pêcheurs ont mis pied à terre ces derniers jours. À cause de la clôture de la saison de pêche, ils sont tous là sur le rivage à se raconter leurs péripéties et autres mésaventures au cours de leurs activités. D'autres se livrent à des réparations de moteurs ou encore des pirogues endommagées. Dans le village traditionnel de Kayar, peuplé principalement de gens de mer, les choses marchent au ralenti. Cette localité de la région de Thiès reste l'un des sites les plus importants du Sénégal en matière de pêche artisanale. « Pendant la saison, les gens viennent de partout du Sénégal et de la sous-région pour travailler à Kayar. D'ailleurs, c'est le seul site où il existe encore la pêche du jour », explique Baye Ndongo Niang, l'un des responsables du village. Ses propos sont d'ailleurs confirmés par son vis-à-vis, Pathé Dieng, avec qui il est assis sur le quai de pêche. « Ici, vous pouvez aller en mer tôt le matin et revenir le soir avec une valeur de 1 à 2 millions de FCfa de poisson », ajoute Pathé qui est aussi conseiller spécial du maire de la commune.

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En effet, la mer de Kayar est connue pour être très poissonneuse. Ce qui n'empêche pas les pêcheurs de la localité de veiller sur la pérennité de la ressource. Kayar et Yoff restent les deux localités où la pêche avec le monofilament est strictement interdite. « Souvent, ce qui nous oppose avec les autres pêcheurs, c'est l'utilisation du monofilament. C'est illégal du point de vue de la loi, mais l'État ferme les yeux en laissant les autres faire des commandes à l'extérieur et l'utiliser sur la mer. Je ne peux pas comprendre cela », estime Baye Ndongo Niang, ancien navigateur à la retraite. La nécessité de la préservation de la ressource est connue de tous. Surtout par les 2000 pirogues recensées, dont 1.302 immatriculées. « Nous avons trouvé que nos grands-parents accordaient une grande importance à la préservation de la ressource et nous faisons tout pour suivre leurs pas », assure Mor Mbengue, responsable du Comité local de la pêche artisanale (Clpa) de Kayar.

Contrairement à leurs autres collègues pêcheurs qui mettent tous leurs ennuis sur le dos de la pêche industrielle, les Kayarois font la promotion d'une « pêche responsable ».

C'est d'ailleurs en vertu des recommandations faites par le fondateur du village, Jaraaf Mbor Ndoye, que tout ce qui se fait sur l'eau de mer est surveillé comme du lait sur le feu. Ce dernier, originaire de Kaay Findiw, un quartier lébou de Dakar, était une fois venu à Mbidieum, un village situé à quelques kilomètres de Kayar. C'est de là qu'il entendit un bruit qu'il voulut coute que coute découvrir. Ses pérégrinations le mènent alors à Kayar. « Une fois arrivé ici, il a vu la mer et a commencé à pêcher. Il en sortit du poisson qu'il va mettre sur le feu avant de le manger », explique le vieux Pathé Dieng. Selon ce dernier, c'est après s'être bien rassasié que le vieil homme se dit « Kar Yar » ; d'où le nom de Kayar. Une création qui remonterait vers 1874.

« Qui ne risque rien n'a rien »

Aujourd'hui, même si le secteur de la pêche demeure important, les Kayarois sont aussi de grands agriculteurs. Dans la zone des Niayes, Kayar reste l'un des principaux sites de production de pommes de terre. « On cultive de la pomme de terre certes, mais aussi de la carotte et toutes sortes de légumes comme le chou, le navet, l'aubergine ou encore le concombre », renseigne Cheikh Dione, agriculteur et vendeur de fertilisants. Selon lui, chaque année, il sort des champs de Kayar plus de 35.000 tonnes de pomme de terre. « Avec notre production, on peut approvisionner le marché sénégalais trois mois durant », ajoute M. Dione. Seulement, dans cette zone, l'agriculture est confrontée à de nombreuses difficultés. Parmi elles, il y a la commercialisation et l'absence d'unités de stockage. « À cause de l'autoroute qui doit passer par Tivaouane, une bonne partie de nos terres ont été saisies. Seules les impenses nous seront payées et non la terre que nous avons héritée de nos grands-parents », regrette Cheikh Dione.

En dépit de l'importance de ces deux secteurs (la pêche et l'agriculture), Kayar est aussi confronté au phénomène de l'émigration clandestine. Ils sont plusieurs milliers de jeunes à avoir embarqué ici pour essayer de rallier les côtes espagnoles. « On ne peut retenir personne, puisque la terre qu'on avait pour cultiver nous est retirée petit à petit », explique Cheikh Dione. Le responsable du Clpa, Mor Mbengue, a une fois tenté l'aventure. C'était en 2006, mais il avait été rapatrié avec une bonne partie de Sénégalais avec qui il était. Aujourd'hui, il dit vouloir y retourner. « C'est la seule issue pour s'en sortir. Imaginez, tous mes frères sont là-bas ainsi que mes amis d'enfance. La plupart ont construit de belles villas ici. Pendant ce temps, je n'arrive même pas à avoir une parcelle », dit le jeune homme. Les deux vieux, Baye Ndongo Niang et Pathé Dieng, semblent partager son point de vue. « Qui ne risque rien n'a rien », finit par dire l'un d'eux. Une manière d'encourager ce phénomène à cause duquel beaucoup de jeunes Sénégalais, en quête d'un meilleur avenir, ont péri en mer.

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