Au moins 6 femmes vivant avec un handicap et qui mendiaient dans la ville de Boulsa ont définitivement déposé leurs escarcelles. Cet exploit est à mettre à l'actif de l'Association des femmes handicapées de Boulsa, bénéficiaires de l'appui du programme Giving for Change.
Du haut de ses 46 ans, Georgette Sawadogo, vivant avec un handicap moteur a dû fuir son village de Zambanga, du fait de la menace terroriste, pour avoir la vie sauve. Son malheur ne se limitera pas à la perte de son foyer, car elle s'est vu obligée de faire la manche le long des 20km qui séparent son village de la ville de Boulsa, afin d'avoir sa pitance quotidienne.
Une fois dans la ville refuge, le marché était devenu pour dame Sawadogo son quartier général pour mendier la charité des inconnus. Fort heureusement, comme un éclair dans un ciel obscurci par les nuages, elle a eu la chance d'assister à une séance de sensibilisation publique animée par l'Association des femmes handicapées (AFH) de Boulsa.
« Depuis que j'ai adhéré à l'Association, j'ai arrêté de tendre la main et surtout de ressentir le mépris des inconnus, parce que je mendie », avoue Georgette Sawadogo. Regardant désormais l'avenir avec plus de sérénité, elle assure avoir bénéficié d'une cotisation des membres de l'Association pour mener une activité.
« J'ai d'abord commencé à vendre du Gonré (un mets traditionnel à base de farine de petit mil), mais je me suis vite rendu compte que ce n'est pas aussi rentable que je le croyais et je me suis lancée dans l'embouche de petits ruminants et l'élevage de volaille et depuis, ma vie a changé », se réjouit-elle.
Banaba Geneviève Ima vit aussi avec un handicap moteur à Boulsa. Comme Georgette, elle a été contrainte de quitter Boko, son village, pour sauver sa peau. Aujourd'hui, grâce à l'Association des femmes handicapées de Boulsa, elle a arrêté définitivement de se poster à l'entrée de la grande mosquée de Boulsa et l'église pour espérer glaner quelques sous.
« Beaucoup d'associations font des personnes handicapées un fonds de commerce, mais avec l'Association de Mme Honorine c'est vraiment différent», témoigne-t-elle. De son avis, grâce aux petits fonds mis à ma disposition par l'Association, elle s'est maintenant lancée dans le tricotage et fabrication du savon liquide.
« Ces activités me permettent de vivre dignement. Je cherchais une porte de sortie en vain, car avec le contexte sécuritaire, beaucoup viennent faire des mauvais « douas »sans que tu ne puisses faire autrement », relate-t-elle. Le salut des deux dames vivant avec un handicap est à mettre à l'actif de l'AFH.
Les bienfaits du programme
Pour la présidente de l'Association, Nobila Honorine Kalkoumdo, le retrait des femmes handicapées de la mendicité est le résultat de la mise en pratique des modules sur la mobilisation de soutien et des ressources endogènes dans le cadre du programme Giving for Change (GfC) ou « Donner pour le développement endogène » en français.
Ce programme est coordonné au niveau national par l'Association burkinabè de fund raising (ABF). Dans la région du Centre-Nord, c'est l'Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES) Kaya qui est chargée de sa mise en oeuvre.
Selon Vincent Sawadogo, un des formateurs, dans les faits, le programme se décline en plusieurs modules de formation, notamment la mobilisation des soutiens et la mobilisation des financements endogènes au profit de cinq Acteurs de la société civile (ASC) dont l'Association des femmes handicapées de Boulsa.
A la suite du renforcement de ses capacités, poursuit-il, chaque ASC est encouragé à mettre en pratique les compétences acquises. En sa qualité de personne-ressource, M. Sawadogo se réjouit des résultats engrangés par l'Association des femmes handicapées. «
Grâce aux modules dispensés, nous savons désormais comment mobiliser des financements endogènes et les gérer, comment mobiliser du soutien au sein de la communauté et même comment mener nos activités avec efficacité.
Nous avons ainsi enrôlé de nouveaux membres, des personnes valides qui nous appuient dans la fabrication du savon », témoigne Mme Kalkoumdo. Elle confie que des personnes handicapées qui mendiaient tous les vendredis devant les mosquées et dimanches devant les églises les ont également rejointes et participent aux réunions.
« Elles savent désormais que la mendicité ne peut pas les aider à sortir de la précarité, mais au contraire en travaillant au sein de l'Association, elles auront de quoi subvenir à leurs besoins. Il s'agit au total de 6 femmes handicapées qui sont en même temps des personnes déplacées internes », assure la présidente de l'AFH.
Et la secrétaire générale de l'association, Martine Damiba de renchérir qu'auparavant, les réunions étaient des moments de disputes et se terminaient toujours en queue de poisson. « Grâce aux formations dont nous avons bénéficié dans le cadre du programme Giving for Change, tout a changé.
Aucune personne extérieure à l'Association n'est au courant de nos déboires. Nous nous dépannons entre nous. Lors de chaque réunion hebdomadaire, nous collectons les cotisations et nous décidons à qui nous allons prêter afin qu'elle puisse mener une AGR. Ces cotisations s'inscrivent dans le cadre de la mobilisation des ressources locales », relève-t-elle.
La culture du don local
Le programme de Giving for Change est un programme quinquennal couvrant la période 2021-2024.Selon le directeur général de l'ABF, Abdoulaye Sawadogo, il a été développé sur la base des acquis d'un précédent programme dénommé Change the Game Academy.
«Sa particularité est que les actions des bénéficiaires doivent être menées avec le soutien de tous les acteurs à savoir les autorités politiques, religieuses et coutumières », souligne-t-il. L'idée est d'assurer, précise-t-il, la pérennité des projets à travers la coresponsabilité, car chaque membre de la communauté contribue à sa manière à la réalisation du projet, donnant ainsi la chance d'investir utile.
A l'entendre, sa mise en oeuvre repose sur 3 domaines inter-dépendants. Le premier consiste à promouvoir et valoriser la culture du don local à travers le renforcement des capacités des ASC locaux pour atteindre leur mission de développement endogène.
A travers le 2e pilier, l'ABF et les communautés de pratiques du programme, c'est-à-dire les bénéficiaires, s'attellent à influencer les acteurs nationaux et sociétaux du pays pour soutenir et encourager le don local et national pour le développement endogène.
Quant au dernier domaine d'intervention, il consiste à convaincre les donateurs internationaux de prioriser l'autonomisation et le renforcement des capacités des ASC locaux pour renforcer leur crédibilité. Selon M. Sawadogo, le programme est le fruit
commun d'une alliance mondiale regroupant 4 ONG internationales et 6 OSC nationales d'ancrage en Afrique, une en Palestine et une au Brésil.
Il définit une vision audacieuse pour transformer la manière dont le développement se fait. « Les Acteurs de la société civile (ASC) du Burkina Faso disposent d'un potentiel immense pouvant avoir un effet levier sur le développement. Malheureusement, leur crédibilité est souvent éprouvée car on les considère comme étant au service de la politique.
Aussi, la plupart des donateurs internationaux ignorent le potentiel des ASC. Pourtant, les ASC ont la responsabilité de localiser et de combler les lacunes du service public. Egalement, ils font du lobbying, veillent sur la mise en oeuvre du droit, la responsabilité et la transparence et renforcent les capacités des membres et de la population par la formation et la conscientisation », s'est persuadé le DG de l'ABF.
Le programme Giving for Change en résumé
-6 régions bénéficiaires :(Nord, Centre-Nord, Sahel, Est, Centre-Est, Boucle du Mouhoun)
-8 partenaires pour la mise en oeuvre sur le terrain : (Développement Sans Frontières(Ouahigouya), BenaOsegui(Dori), DagnalRoobe (GoromGorom), OCADES Caritas Burkina(Kaya), Union provinciale des associations des personnes handicapées du Bam, (Kongoussi), OCADES Caritas Burkina(Koupèla), Yanyéma Fada N'Gourma et OCADES Caritas Burkina (Dédougou))
-40 associations en formation
-2 impacts à moyen terme: le gouvernement adopte des lois et des règlements qui favorisent les dons locaux et nationaux pour le développement ; les donateurs internationaux adaptent leurs stratégies en encourageant pour l'autonomisation des ASC.
-2 impacts à long terme :les communautés expriment leur voix à travers les ASC et sont habilitées à prendre le contrôle de leur propre développement ; le gouvernement et les leaders d'opinion sont redevables et respectent les droits de l'homme.