Au Cameroun, la rentrée scolaire approche et se fera le lundi 4 septembre. Une rentrée toujours perturbée pour de nombreux enfants des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, deux zones fragilisées depuis 2017 par les affrontements entre des groupes armés séparatistes et les forces gouvernementales. Certains enfants ne vont plus à l'école depuis plusieurs années. D'autres font leur rentrée, mais loin de leurs villages. Reportage à Bamenda, la capitale régionale du Nord-Ouest.
Joy montre fièrement ses nouvelles chaussures pour la rentrée. Cela fait quatre ans que sa famille a quitté Njikwa, un village à 50 km à l'ouest de Bamenda. Son père espérait y retourner cette année, mais cela ne sera pas possible : « Comme nous n'avions que des écoles publiques dans le village et que les combattants séparatistes ont dit qu'ils ne voulaient pas que les écoles publiques fonctionnent, je ne pouvais pas mettre en péril l'avenir de mes enfants... j'ai dû partir et venir en ville. (...) Je suis retourné au village en juin car je pensais que les choses s'amélioraient vraiment mais à mon plus grand désarroi, j'ai découvert que les écoles étaient encore couvertes d'herbe. Aucun signe de reprise dans un avenir proche. »
« Un enfant qui ne va pas à l'école est une bombe à retardement »
C'est une nouvelle rentre donc à Bamenda pour Joy. En 2022, ils étaient 5 000 enfants déplacés à y être inscrits. Toutefois, la situation générale évolue positivement selon Roland Ngwang, délégué régional de l'enseignement secondaire pour le Nord-Ouest, mais il reste encore trop d'enfants en âge d'aller à l'école dont l'administration n'a plus trace : « L'année qui vient de se terminer, on était à 75 000 élèves manquants. 75 000, c'est trop, c'est trop. Parce qu'on ne les trouve pas ni dans la région, ni dans aucune autre région. Ils sont quelque part où ils ne sont pas censés être, faisant des choses qu'ils ne sont pas censées faire. Un enfant qui ne va pas à l'école est une bombe à retardement. »
L'administration demande aux chefs de quartiers à Bamenda de contribuer en s'assurant que dans leur périmètre tous les enfants en âge d'être scolarisés sont inscrits à la rentrée.
L'avenir de chaque nation dépend de l'éducation de sa jeunesse
À moins d'une semaine de la rentrée officielle, les leaders religieux anglophones ont lancé une campagne sur les réseaux pour appeler tous les acteurs à tout faire pour permettre aux élèves de retrouver le chemin de l'école dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. « Leave no child behind », c'est le slogan porté par l'archevêque de Bamenda, Andrew Nkea, président de la Conférence épiscopale du Cameroun. Il explique à Amélie Tulet pourquoi : « J'ai réitéré ce message à maintes reprises. Tous les enfants devraient aller à l'école. L'avenir de chaque nation dépend de l'éducation de sa jeunesse. Nous demandons à tous les parents de ne pas avoir peur d'envoyer leurs enfants à l'école. Nous avons discuté avec certains groupes armés. Ils ont des problèmes avec les écoles publiques, pas avec les écoles privées. »
« C'est pourquoi, pendant que nous luttons pour parvenir à un meilleur accord, tous les enfants devraient être scolarisés, même si c'est dans le privé, dit encore Andrew Nkea. Nous sollicitons beaucoup d'aide de partout pour pouvoir aider les parents qui ne peuvent pas payer l'inscription. Nous demandons aux groupes armés de ne pas perturber les enfants. Ils ne l'ont pas fait l'an dernier et nous leur en sommes très reconnaissants. Ces groupes armés ont également des enfants en âge d'aller à l'école. Ca les affecte aussi. Je pense que cela les amène à beaucoup de compréhension. »
Les parents doivent reprendre « confiance »
« Du côté des militaires, il ne devrait pas non plus y avoir de provocation. Nous avons connu des situations malheureuses : des militaires ont abattu des enfants qui allaient à l'école. Une fois à Bamenda, une autre à Buea. Nous leur demandons de faire un usage responsable de leurs armes, d'éviter les accidents autant que possible. Pour que les parents reprennent confiance et n'aient aucun problème à ce que leurs enfants aillent à l'école », conclut le président de la Conférence épiscopale du Cameroun.