Créée en 1903, ce qui fut d'abord l'École normale des instituteurs de Saint-Louis puis rebaptisée École normale William Ponty, après sa délocalisation à Gorée en 1913, gagnera ses lettres de noblesse lorsqu'elle a été transférée à Sébikotane en 1937.
Même si elle a été encore déplacée à Thiès en 1965, c'est à Sébikotane que « l'esprit de Ponty » continue de planer à travers certains lieux de mémoire qui résistent encore au temps et est maintenu par les souvenirs vivaces d'anciens pontins et d'habitants du village que cette école a engendré, Sébi Ponty.
C'est donc ici. D'un côté, le grand amphithéâtre d'un jaune décrépi aux murs fissurés qui accueillait les salles pour les travaux pratiques de sciences naturelles, de réunion et la bibliothèque. De l'autre, éparpillées, des bâtisses en pierre surmontées d'un toit en tuile où logeait le personnel ; par-ci des bâtiments comme celui en forme de coupole appelé la rotonde ceinturé par les deux dortoirs ; par-là des salles de classe d'époque ; le château d'eau qui tient encore sur ses fondations ; ou encore les locaux de l'ancienne Direction générale...
C'est donc ici le site (le chronotope, pour reprendre le Professeur Mamadou Kandji, natif de Sébikotane et ancien « pontin » comme on appelle les anciens pensionnaires de cet établissement), qui accueillait la mythique et légendaire École normale William Ponty entre 1937 et 1965. Mythique pour ce qu'elle fut à l'époque (former les premières élites africaines : instituteurs, agents d'administration et de commerce, médecins) ; légendaire pour l'héritage qu'elle a laissé au point qu'elle a été classée patrimoine historique national en 2007.
La restauration, une antienne
En visite sur le site au mois de juin dernier, le Ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Aliou Sow, a annoncé que les lieux seront restaurés et transformés en complexe éducatif et sportif d'excellence, un cadre physique de retrouvailles des « pontins » et de tous les normaliens en général.
Ce projet réalisé, ce serait une vieille doléance des anciens de cette école et des habitants de Sébi Ponty qui serait ainsi satisfaite. « L'initiative du ministère de la Culture est bonne parce que l'Amicale des Pontins a toujours plaidé pour que ce lieu de mémoire soit préservé. Sébikotane est en train de devenir un environnement carcéral. Et cela risque d'ensevelir et de polluer dangereusement l'esprit de Ponty.
C'est tout un faisceau de souvenirs, d'histoire qui est en train de partir à vau-l'eau. L'avenir, c'est la réhabilitation, la rénovation et la préservation. Les options sont nombreuses, on peut en faire une université, un musée ou un lieu de tourisme », avance le Pr Kandji, ancien Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Ucad et qui fait partie de la dernière promotion (1963-1965) de l'École normale William Ponty, version Sébikotane.
Agnès Gomis, épouse de l'actuel maire de Diamniadio et dont le père, Ambroise Gomis, fut parmi le personnel l'un des premiers à rejoindre l'École William Ponty après son transfert de Gorée à Sébikotane en 1937, embouche la même trompette. La restauration de ce patrimoine est une « urgence », selon celle qui a fait ses humanités à l'école annexe de William Ponty au début des années 1960. « Il faut faire vite et sauver ce qui peut l'être encore. On ne doit pas laisser William Ponty mourir définitivement.
L'amphithéâtre peut devenir un site touristique. Les habitants de Sébi Ponty ont un fort attachement à cette école qui fait leur fierté », dit-elle.
Sentiments ineffables
Djiby Sangole, 53 ans, natif du village de Sébi Ponty, lui, n'a pas connu l'École William Ponty, transférée à Thiès cinq ans avant sa naissance. Mais le site originel, le chérubin qu'il était au milieu des années 1970, en compagnie de ses petits camarades, en avait fait son terrain de jeu. Voir le site se réduire comme peau de chagrin lui fend le coeur. « Cela nous brise le coeur de voir ce qu'est devenu ce site », marmonne-t-il.
En effet, à part le grand amphithéâtre, tous les autres lieux de mémoire de l'ancienne École normale William Ponty, avec le temps, ont connu des requalifications. Le périmètre où se trouvent les dortoirs, la coupole et le château d'eau sont aujourd'hui transformés en Centre de formation pénitentiaire après qu'il a accueilli, pendant des années, un centre de redressement pour mineur ; un autre dortoir a été rasé pour faire place à un collège d'enseignement moyen (Cem) ; les anciens logements pour le personnel sont occupés par des familles sénégalaises ainsi que les bâtiments de l'ancienne Direction générale ; les anciens hangars, avec de profondes modifications, sont devenus la prison de Sébikotane.
Seules les anciennes salles de cours ont gardé leur authenticité étant comprises dans ce qui est aujourd'hui l'école primaire de Sébi Ponty. « Heureusement », souffle Djiby Sangole.
Habitant dans l'une des trois maisons qui restent encore de ce qui constituait le logement du personnel enseignant que son père, Kalidou Diallo, ancien intendant de l'École normale William Ponty a racheté en 1987, Samba Diallo, 70 ans, estime que c'est le transfert de l'école à Thiès, en 1965, qui a sonné le glas de cet établissement de renommée.
Pour lui, quelles qu'en soient les raisons, « William Ponty ne devait jamais être délocalisée ».
« Ce fut une grande erreur », martèle-t-il. Ayant habité dans l'école avec son père et fait l'école annexe, il assure que c'est une fois à Thiès que l'école a enregistré ses premiers cas de décès parmi les élèves, deux notamment ; ce qui n'était jamais arrivé lorsqu'elle était à Sébikotane. Et c'est à Thiès aussi, ajoute-t-il, que les résultats scolaires de l'école ont commencé à dégringoler. « Aux examens, on était toujours à 100 %, une seule année il y a 99 % à cause de l'échec d'un élève d'origine mauritanienne et c'était à Thiès », souligne Samba Diallo.
Celui que tout le monde appelle Baye Bathie a les yeux luisants de nostalgie lorsqu'il évoque ses souvenirs de Ponty, « un sentiment ineffable » qu'il a du mal à exprimer par les justes mots. « C'était une grande école, le milieu du savoir.
On sentait qu'on était dans un milieu studieux. Tout l'environnement, l'atmosphère sentait la recherche du savoir. Cela avait fini par déteindre sur tout le monde, même sur ceux qui ne fréquentaient pas l'école. Il y avait une bonne discipline et une bonne organisation. D'un côté l'école, de l'autre le village où habitait le personnel », se rappelle-t-il. Sa mélancolie est d'autant plus grande qu'il la vit presque au quotidien, lui dont la maison familiale qu'il a héritée de son père est mitoyenne au grand amphithéâtre. « C'est la maison où habitait M. Deschamps, le père du sélectionneur français Didier Deschamps. À l'époque, il était le responsable du volet sportif de l'école », confie Samba Diallo qui, donc, à l'interne comme à l'externe, est en contact permanent avec le spectre de l'École normale William Ponty.
Traces et stigmates de la mémoire de Ponty
Plateaux de Belvédère, cimetière mixte, le village indigène, les trois bâtiments, l'enceinte sportive, la « Roudax »... l'École normale William Ponty, au-delà des bâtiments qui le constituaient, c'est quelques lieux de mémoire qui ont contribué à forger son histoire.
Après Diamniadio, sur la Route nationale 2, juste avant l'hôpital pour enfants, une piste latéritique bifurque à gauche. À cause de la pluie de la veille, dont les eaux l'ont recouverte en partie, et les travaux de construction d'un pont qui enjambera le tracé du Train express régional (Ter), cette route est particulièrement difficile pour les automobilistes. Mais une fois l'obstacle de l'eau stagnante traversé, tout le reste de la chaussée est en parfait état. Cette route, les anciens normaliens l'appelaient « Route d'accès », en apocopée, cela donne « Roudax ».
Elle garde encore cette appellation et conduit directement au site de l'École normale William Ponty en traversant le coeur du village de Sébi Ponty qui, à l'époque, s'appelait le « village indigène ». C'est là-bas qu'habitaient la plupart des membres du personnel africain de l'établissement.
En effet, le transfert de l'école de Gorée à Sébikotane, en 1937, ne concernait pas que les élèves, le personnel enseignant et administratif, mais était également concerné le petit personnel. Parmi eux, des mulâtres et des mulâtresses.
Village de Sébi Ponty, par la grâce de William
C'est la raison pour laquelle, juste à quelques encablures de l'école, l'embryon de ce qui est aujourd'hui Sébi Ponty a été créé, en même temps que l'école. « Le village indigène, les normaliens l'appelaient « La Gaule ». Tout autour, il y avait des carrières pour la construction de la route nationale appelée à l'époque « la route coloniale ». Il y avait aussi des pistes carrossables, quelques ponts suspendus, des chignons géodésiques, des dortoirs... », se rappelle le Pr Mamadou Kandji, natif de Sébikotane et ancien pensionnaire de Ponty.
La « Roudax » et le village de Sébi Ponty font partie aujourd'hui des traces et stigmates qui permettent, en dehors du site principal, d'entretenir la mémoire de l'École normale William Ponty. On compte, parmi ces lieux de mémoire, le Plateau de Belvédère. Il se trouve à quelque deux kilomètres de l'école. On y accède par des chemins de campagne dans une zone escarpée, propice au maraîchage, faite d'une succession de dunes et de vallons. Aujourd'hui en proie à d'interminables conflits fonciers, les lieux sont habités par des Peuls.
À l'entrée du village, un espace surélevé colonisé par un tapis herbacé avec, en contrebas, un lit d'un petit cours d'eau se singularise : on l'appelle « Sébi discours ». Selon Djiby Sangole, habitant de Sébi Ponty, confirmé par le Pr Kandji, c'est à cet endroit qu'étaient célébrées toutes les festivités de l'École normale William Ponty, notamment la fête du 14 juillet, les feux de camp, les bals, les fêtes de fin d'année... Autant d'événements au cours desquels se tenaient des discours...
Nécropole mixte
Au nord de l'école, non loin du site qui accueille le Parc de technologie numérique (Ptn), caché derrière d'épaisses broussailles, on trouve le cimetière mixte. Dans cette nécropole, musulmans et chrétiens cohabitent dans le repos éternel, comme en attestent les épitaphes sur les pierres tombales, avec des noms et patronymes bien en évidence. Sauf quelques tombes anonymes numérotées de 1 à 9 « qui s'inscrivent dans une temporalité qui part de 1924, date de la garnison militaire, jusqu'au départ de l'École de William Ponty en 1965 », estime le Pr Kandji. Aujourd'hui, seuls les chrétiens continuent d'y enterrer leurs morts, les musulmans ont ouvert un autre cimetière. « Il faut inscrire ce cimetière dans l'esprit de Ponty, c'est-à-dire le brassage de toutes les communautés, y compris les communautés post-mortem, l'intégration plurielle en somme », ajoute le Doyen honoraire de la Faculté des Lettres de l'Ucad.
Par le passé, une nécropole fut découverte à l'emplacement du grand amphithéâtre de l'école et fut appelée « cimetière malgache ». Il semblerait qu'il s'agit de restes de soldats malgaches en poste à la garnison militaire qui furent décimés par une épidémie. Tout autour, des baobabs cimetières appelés « Loufs » où les sérères animistes gardaient leurs morts ont existé.
L'École normale William Ponty ayant été installée à la hâte à Sébikotane, le système d'adduction d'eau était loin de pouvoir satisfaire les besoins de la population. C'est ainsi que l'administration coloniale a décidé de mettre en place une station de pompage avec un dispositif mécanique qui aspirait et pompait l'eau vers des pipelines qui, sur un kilomètre, remplissaient le château d'eau qui permettait d'alimenter et l'école et le village indigène. Ce château d'eau est encore visible dans l'enceinte de ce qui est aujourd'hui un centre de formation pénitentiaire.
Parmi les traces et stigmates de la mémoire coloniale liée à l'École normale William Ponty, il y a la gare de Sébikhotane devenue aujourd'hui un lieu de commerce. « L'école a été construite dans le même continuum spatio-temporel que la gare. Dans la politique coloniale, quand les normaliens viennent, ils descendent à la gare et continuent à pied les 2,5 km qui séparent les deux lieux. Il y avait aussi de petits tramways qui empruntaient les rails secondaires et qui prenaient deux ou trois passagers et des marchandises pour le ravitaillement de l'école. La gare avait ses adjuvants, notamment la Poste, le Secco où se faisaient des transactions liées à l'arachide », explique le Pr Kandji.
Camp de base lors des Jeux de l'Amitié de 1963
À l'ouest du site de l'école, un terrain clôturé sert d'aire de football pour le mouvement « navétanes » de la commune de Diamniadio. À l'intérieur, trois anciennes bâtisses tombées en décrépitude, un petit terrain de basket et la relique du bâtiment où étaient fixées les cordes pour les compétitions d'escalade. Voilà ce qui reste de l'ancien terrain de sport de l'École normale William Ponty, témoin de grands moments de sports à la fin des années 1950 et début 1960. « Jeunes, c'est ici que nous avons découvert les Jeux olympiques en miniature : le saut en hauteur, la perche, le javelot, le 100m avec des starting-block... », se rappelle Samba Diallo, natif de Sébi Ponty et fils d'un ancien employé de l'école. Mieux, ajoute le Professeur Mamadou Kandji, « l'équipe nationale du Sénégal a eu à s'entraîner ici et lors des Jeux de l'Amitié de 1963, certaines équipes africaines avaient leur camp de base ici ».
À quelques jets de pierre de cette enceinte sportive, trois bâtisses en ruine disposées en triangle qui portent bien leur nom : les « trois bâtiments ». Ils ont été construits lorsque les failles tectoniques de Sébikotane ont été découvertes sur le site de l'école pour reloger quelques membres du personnel.
Le temps passe, l'esprit de Ponty continue de planer au-dessus de Sébikotane à travers les reliques liées directement ou indirectement à la présence de l'école en ces lieux, entre 1937 et 1965.
PR MAMADOU KANDJI, ANCIEN DOYEN DE LA FAC DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DE L'UCAD
Sébikotanois de naissance et de coeur
Voir le jour à Sébikotane et faire ses humanités d'abord à l'École annexe puis à l'École normale William Ponty, le Pr Kandji doit être le seul pontin à pouvoir se prévaloir d'un tel pedigree. C'est peut-être ce qui explique le fort attachement que l'ancien Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar pour son lieu de naissance et la célèbre école qu'il a accueillie entre 1937 et 1965.
Le temps passe, la mémoire du Pr Mamadou Kandji s'accroche encore aux faits dans les moindres détails. De son passage à l'École William Ponty, d'abord à l'annexe (école primaire) puis à l'École normale où l'on entre par voie de concours, cet éminent professeur de Littérature anglaise n'a presque rien oublié.
Il n'a point besoin de se triturer les méninges pour exposer les souvenirs. Ceux-ci remontent en lui aisément et il les expose clairement, comme pour paraphraser Boileau. Alors toute la passion qu'il a pour Sébikotane qui l'a vu naître « à la fin de la Seconde Guerre mondiale » et la célèbre école qu'il a abritée de 1937 à 1965 se dévoile au grand jour.
Cet attachement atavique, l'ancien Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, aime le mettre en exergue à chaque fois qu'il a l'occasion de parler de ce terroir et de cette école.
Le Doyen honoraire de la Flsh ne se contente pas d'exprimer par la parole cette affection. Il l'a consignée dans différents ouvrages. « Les femmes de Sébikhotane de 1990 à nos jours », « Histoire économique et sociale des générations africaines », « Sébikhotane, territoire d'intégration : histoire des communautés et des mentalités » sont déjà publiés. En ce moment, le Pr Kandji est en train de finaliser « Mémoires de Sébikhotane : des origines à la période postcoloniale », livre dans lequel il revient très largement sur l'École normale William Ponty avec des illustrations et des documents d'archives rares. « J'insiste sur le fait que je suis né à Sébikotane parce que je porte Sébikotane dans mon coeur, je ne me suis jamais exilé de Sébikotane », précise-t-il.
Né donc à Sébikotane, Mamadou Kandji a fait ses études primaires à l'École annexe de William Ponty de 1954 à 1958. Après un passage au Collège normal de Rufisque, il réussit le concours d'entrée à l'École normale William Ponty. Il doit être le seul pensionnaire de l'histoire de cette célèbre école dans ce cas : naître à Sébikotane et faire ses humanités à Ponty. « Le concours était obligatoire, d'abord au niveau de l'Aof, ensuite au niveau national après les indépendances », explique-t-il.
Il est de la promotion 1962-1965, la dernière avant que l'école ne soit transférée à Thiès. Une promotion dans laquelle on retrouve des personnalités connues comme Baba Diao Itoc, l'ancien Ministre de l'Enseignement supérieur Amadou Tidiane Bâ ou encore le Pr Boubacar Keita de la Faculté des Sciences de l'Ucad.
Après le bac donc, celui qui deviendra Professeur titulaire de Littérature anglaise et de l'histoire des idées en Grande-Bretagne prend le chemin de l'Université de Dakar puis de l'Angleterre où il fait un Doctorat en Littérature anglaise.
À son retour à Dakar, il est recruté comme assistant à l'Université de Dakar en 1981. Quelque temps après, il se rend en France, à Rouen exactement, où il fait un Doctorat d'État ès Lettres en Littérature anglaise portant sur tout le 19ème siècle coïncidant à la période victorienne qui fait référence au règne de la reine Victoria.
Après avoir consacré plusieurs années à la littérature anglaise à travers des dizaines d'articles, le Pr Kandji s'est aujourd'hui tourné sur l'histoire africaine, en particulier sur son terroir, Sébikotane.
Parti à la retraite en 2009, il a été Directeur de l'Institut sénégalo-britannique cumulativement avec ses fonctions d'Assesseur de la Faculté des Lettres puis Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de 2000 à 2006. Aujourd'hui, ce poste de Doyen de la Flsh est occupé par un de ses...fils.
Le père a fait des émules.