Revoilà la vieille question sur « la «nationalité exclusive du candidat à la présidence de la République » à quelques encablures d'un scrutin présidentiel. Et pour cause, la récente sortie de Me Moussa Diop, candidat déclaré de la coalition And Gor Yi Jotna sur l'invalidité de la candidature de Karim Wade, du fait de sa nationalité sénégalaise et française suivie de la réplique de l'ancien président du Groupe parlementaire Liberté et Démocratie, Doudou Wade, redonne souffle à ce serpent de mer de la politique sénégalaise. En effet, en 2016, cette question avait été au centre du débat public.
Décidément, le processus électoral pour la présidentielle de 2024 est parti pour être tout sauf un long fleuve tranquille. En effet, alors que des interrogations sur la tenue à date échue de ce scrutin prévu le 25 février prochain persistent du fait des incertitudes sur le calendrier électoral mais aussi la validité des candidatures aussi bien du côté du pouvoir et de l'opposition, voilà que la question de la « nationalité exclusive du candidat à la présidence de la République», s'invite encore dans les discussions.
En effet, invité de l'émission Faram Facce de la télévision Futurs médias (Tfm), le 23 août dernier, Me Moussa Diop, candidat déclaré de la coalition And Gor Yi Jotna a indiqué au sujet de la récente modification du Code électoral qui permet au fils de l'ancien chef de l'Etat et à l'ex-maire de Dakar de recouvrer leur éligibilité, que Karim Wade ne peut être candidat du fait de sa double nationalité sénégalaise et française. « Au-delà des problèmes à régler sur le plan financier, Karim Wade est aussi sous le coup de l'article 28 de la Constitution, qui exige que tout candidat à la présidence de la République soit « exclusivement de nationalité sénégalaise ».
Karim Wade ne peut pas être Président, parce qu'il a la double nationalité, ce n'est pas la peine d'aller au Conseil constitutionnel. Je suis avocat, inscrit au barreau de Paris, j'ai les preuves que Karim Wade n'a pas renoncé à sa nationalité française», avait-il affirmé.
Quelques jours après cette sortie qui semble relancer le débat sur la « nationalité exclusive du candidat à la présidence de la République », c'est au tour de l'ancien président du Groupe parlementaire Liberté et Démocratie, Doudou Wade, de monter au créneau pour apporter la réplique. Précisant que « Karim Wade n'a pas une double nationalité », il a indiqué que Me Moussa Diop s'est trompé ». « Me Moussa Diop est juriste.
Il se dit avocat. Je ne pense pas qu'il soit un avocat des frontières. Il sait que Karim Wade est binational. Il est venu avec ces deux attributs au moment de sa naissance : père sénégalais et mère française.»
Ce débat qui intervient dans un contexte marqué par des interrogations sur le processus électoral pour la présidentielle du 25 février 2024 du fait des incertitudes qui pèsent sur les candidatures à ce scrutin aussi bien du côté du pouvoir que celui de l'opposition, a un air du déjà-vu.
En effet, en 2016, cette question qui est un véritable serpent de mer de la politique sénégalaise était au centre du débat public, trois ans avant la dernière élection présidentielle de 2019. Alimentée par une sortie d'un des avocats de Karim Wade, en l'occurrence Me Seydou Diagne qui avait laissé entendre au sujet de la plainte déposée, le 2 février, auprès du tribunal de Grande instance de Paris, pour dénoncer la «détention arbitraire» de leur client Karim Wade que « Dire que Karim Wade est français est une lapalissade. Sa mère est française ; son père lui-même a la nationalité française ».
Cette sortie avait soulevé une vive controverse poussant ainsi son confrère, Me Amadou Sall, ancien ministre de la Justice, Garde des sceaux, à jouer au sapeur-pompier en prenant la parole pour préciser que « Karim Wade fera sa déclaration d'honneur au moment venu en renonçant à sa nationalité française, conformément à la loi sénégalaise ».
Seulement, nonobstant cette mise au point, les réactions continuent de plus belle obligeant ainsi l'ancien chef de l'Etat libéral, Me Abdoulaye Wade à sortir de sa réserve. Dans une contribution intitulée « Aux observateurs de la scène politique sénégalaise : Bi et double nationalité » rendu publique le 10 Février 2016, l'ancien chef de l'Etat qui a mis en avant ses attributions universitaires en tant qu'agrégé des Facultés de Droit et des Sciences Économiques, Paris, mais aussi ancien Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l'Université de Dakar, à attirer l'attention sur le terme « exclusivement » qui, selon lui, « introduit une impossibilité ».
Dans la foulée, il avait tenu à souligner qu' « Il faut dès le départ distinguer nationalité d'origine et nationalité d'acquisition ». « La nationalité d'origine est celle que l'enfant acquiert automatiquement à sa naissance. Elle peut relever du lieu de naissance (jus soli, droit du sol) ou du lien de sang (jus sanguinis).
L'enfant n'a choisi ni son lieu de naissance ni ses parents. La nationalité qu'il acquiert du fait de ces deux droits s'impose à lui», a-t-il expliqué avant de poursuivre. « La nationalité d'acquisition est la nationalité que l'on acquiert au cours de sa vie. Elle suppose une demande de l'intéressé, ce qui la différencie de la nationalité d'origine car pour avoir celle-ci, l'individu n'a rien demandé. Il est régi, malgré lui, dès sa naissance par les deux droits sus-évoqués, plus ou moins combinés avec d'autres sources du droit de la nationalité ». Loin de s'en tenir là, l'ancien chef de l'Etat a par ailleurs profité de cette tribune pour dénoncer ce débat en se demandant « pourquoi soulever cette objection pour tel candidat et pas pour les autres ? ». « Comment justifier que l'on singularise un candidat plutôt qu'un autre et qu'on lui demande, lui seul, de prouver qu'il n'a aucune autre nationalité que sénégalaise alors que Macky Sall lui-même ne peut pas prouver qu'il n'est pas américain alors que la plupart des Sénégalais sont convaincus qu'il a acquis la nationalité américaine, qu'il est domicilié à Houston où il possède une maison ? Qu'est-ce qui prouve que sa femme et, surtout ses enfants, n'ont pas la nationalité américaine ? »
Quelque mois après cette sortie de l'ancien chef de l'Etat, l'actuel président de la Commission Nationale du Dialogue des Territoires, Benoît-Joseph Sambou, est revenu à la charge en déposant sur la table de la commission cellulaire de la revue du Code électoral une proposition de réécriture des articles 28 de la Constitution et LO 114 du Code électoral. Chargé des élections au sein du parti au pouvoir, l'Alliance pour la République (Apr) et mandataire de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (Bby), il avait préconisé que tout détenteur d'autres nationalités doit renoncer à celles-ci au moins cinq (5) ans avant le jour du scrutin et en fournir la preuve. Coordonnateur d'alors du pôle de l'opposition, Mamadou Diop Decroix avait qualifié cette proposition de « malsaine et dangereuse pour la stabilité du pays » qui n'a pour objectif que d'écarter Karim Wade et Abdoul Mbaye.
Membre du pôle de la majorité, Serigne Mbaye Thiam, Secrétaire national aux élections du Parti socialiste (Ps) s'était lui aussi invité dans ce débat à travers une longue contribution intitulée :« La nationalité exclusive du candidat à la présidence de la République : une question posée et à résoudre ». Dans ce texte rendu public le 19 septembre 2016, l'actuel ministre de l'Eau et de l'Assainissement avait invité à distinguer dans ce débat sur la « nationalité exclusive du candidat à la présidence de la République » trois situations.
La première est, selon lui, que « lorsqu'un candidat à l'élection présidentielle est sénégalais d'origine et détenteur d'une nationalité étrangère par sa naissance, sa candidature n'est valable qu'à la condition de renoncer à sa nationalité étrangère parce qu'il y a effectivement une situation de « binationalité » interdite par l'article 28 de la Constitution ».
Poursuivant son explication, il soulignait au sujet de la deuxième hypothèse que « s'il s'agit, en revanche d'un candidat qui, devenu majeur, a volontairement acquis une nationalité étrangère, peu importe qu'il soit sénégalais de naissance ou naturalisé - ce qui importe, c'est que l'individu soit sénégalais majeur au moment de l'acquisition volontaire de la nationalité étrangère -, on n'est pas juridiquement dans une situation de double nationalité, car l'acquisition de la nationalité étrangère a automatiquement entraîné la perte de la nationalité sénégalaise, sans qu'il y ait besoin d'une formalité particulière à remplir.
Tout débat sur l'article 28 serait alors superflu puisqu'on ne peut imaginer qu'une personne n'ayant pas la nationalité sénégalaise ou l'ayant perdu puisse être candidat à l'élection présidentielle ». S'agissant de la troisième hypothèse, le Secrétaire national aux élections du Parti socialiste expliquait qu'elle concerne plutôt un « étranger qui a acquis la nationalité sénégalaise ». « Le Code de la nationalité n'ayant pas prévu de disposition entraînant une perte automatique de la nationalité étrangère, on est effectivement dans une situation de double nationalité qui n'est pas formellement et expressément interdite.
Simplement, l'article 16-bis, introduit dans le Code de la nationalité par la loi n° 84-10 du 4 janvier 1984, dispose que « la nationalité sénégalaise acquise par décision de l'autorité publique est incompatible avec le maintien d'une autre allégeance ».