En ce temps pluvieux du mois d'août, les plages de Petit-Bassam, sous-quartier de la commune de Port-Bouët, affichent un décor affligeant. Outre les importantes quantités de déchets qui jonchent la bande de sable, les assauts répétés des vagues en furie n'ont laissé aucune chance de survie aux restaurants de fortune érigés aux abords de cet espace de loisirs.
La fermeture de ces lieux de restauration a provoqué tristesse et désolation chez leurs gérants et les serveuses.
« C'est difficile, certes, mais que faire ? Je suis obligée de chercher à m'occuper autrement », susurre Sabine T, 16 ans, serveuse et vendeuse de mouchoirs en papier qui vit amèrement cette situation.
Mais, dans cette galère, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne.
Certains paraissent plus chanceux que d'autres. Épargnés des vagues, des restaurants, continuent, en effet, de recevoir des clients. Grâce K, 17 ans, est serveuse dans un petit maquis. L'endroit exhale alcool et sueur. Mais comment Grâce K. et Sabine T se sont-elles retrouvées sur cette plage pour travailler ? Combien gagnent-elles et quels sont les dangers auxquels s'exposent ces jeunes filles ?
Ce lundi 14 août 2023, nous leur avons rendu visite pour en savoir davantage.
Le sexe comme moyen de subsistance
Sa chemise, couleur verte treillis, déboutonnée laisse apparaître sa poitrine que l'adolescente exhibe volontairement.
Coiffée d'une perruque couleur marron, un piercing au nez, Grâce K. m'accueille avec un large sourire et me propose de la boisson. Je lui en offre aussi. Après avoir avalé deux rasades de bière, elle trouve le courage nécessaire pour exposer la tumultueuse vie qu'elle mène depuis quatre ans qu'elle exerce comme serveuse dans ce restaurant de fortune.
« J'ai abandonné l'école en 2020 alors que je devais reprendre la classe de 5e pour la deuxième fois. Des problèmes familiaux m'ont obligée à abandonner les bancs », affirme-t-elle, un petit trémolo d'émotion dans la voix. La jeune fille entame un long récit de la difficile cohabitation avec son père qui l'a élevée seul, après le décès précoce de sa mère qu'elle n'a pas connue : « j'habitais Marcory avec mon père. Il était très sévère et me battait souvent.
Malheureusement, je n'ai pas connu ma mère. Elle est décédée très tôt. Excédée et n'en pouvant plus, j'ai quitté la maison et je suis venue louer une baraque avec trois amies à 75 000 FCfa ».
Mais consciente qu'elle n'avait quasiment pas de moyens pour supporter le loyer qu'elles payaient à trois, Grâce K. s'est résolue à aller chercher du travail chez une restauratrice installée sur la plage, tout en étant vendeuse de mouchoirs en papier.
La serveuse qui travaille du matin au soir, pour un salaire de misère, ne tardera pas à s'adonner à la prostitution, pour arrondir ses fins de mois : « Nous sommes souvent obligées de nous prostituer pour manger.
Lorsque nous couchons avec nos clients sans protection, le tarif est fixé à 5 000 FCfa. Avec le préservatif, c'est moitié prix, soit 2 500 FCfa ».
Se retournant, elle montre du doigt des baraques qui font office de chambres de passe. Mais il arrive des moments où ces baraques affichent «complet», la plage devient alors un lieu de passe à ciel ouvert, raconte sans la moindre gêne la jeune fille. L'effet de l'alcool ayant inhibé en elle toute honte, Grâce K. confie même que le temps frais de ce mois d'août est une période particulièrement faste pour leur activité.
Grâce K. et Sabine K. ne sont pas les seules à se débrouiller sur la plage de Vridi. Une ribambelle jeunes filles et jeunes garçons, parmi lesquels des mineurs, affluent des sous- quartiers ou des villages de la commune de Port-Bouët : Toviato, Petit-Bassam, Adjouffou, Vridi Canal, Zimbabwe, pour converger vers le bord de mer.
Ils viennent y vendre toutes sortes de marchandises : coco râpé, cacahuète, mouchoirs jetables, jus de fruits et bien d'autres.
Du lever au coucher du soleil, ils déambulent entre les petits maquis et bars. Mais selon Fulbert Lokougnon, le directeur de cabinet du maire de la commune, ces plages ne le sont que de nom, tout comme les maquis et autres installations qu'elles abritent.
Ce sont plutôt des lieux de dépravation où ces jeunes enfants sont des proies faciles pour certains pervers.
Koné Aziz, un chauffeur de taxi résidant à quelques encablures de Petit-Bassam, confirme les dires de ce proche du maire. L'anecdote d'une petite fille de 16 ans venue lui proposer des croquettes est plutôt glaçante.
« Une fillette est venue me proposer, à l'entrée de la plage de Petit-Bassam, des bouteilles de croquettes à acheter. Mais juste après, elle me fit une autre offre, celle-ci est plutôt déroutante : coucher avec elle moyennant la modique somme de 500 FCfa assortie d'une bouteille de bière ». A la fois choqué et pris de compassion pour cette gamine, le chauffeur de taxi lui a offert le quadruple de la somme demandée, tout en lui prodiguant, en bon père de famille, de sages conseils.
Prise de remords, la fillette lui raconte que c'est à la suite d'une fugue chez sa tante qui lui faisait subir des sévices, qu'elle s'est retrouvée dans cet endroit.
Nacy Léontine Zagba, inspectrice d'éducation spécialisée au ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfant, directrice coordonnatrice du Programme de protection de l'enfant et de l'adolescent vulnérable (Ppeav), connaît aussi la situation de ces jeunes filles et garçons : « Il y a beaucoup de prostitution le long du littoral.
Les enfants ont construit des abris de fortune et c'est là qu'ils dorment. Les garçons vivent de chargements de sable qu'ils vendent à 25 000 FCfa, mais aussi de la vente de mouchoirs en papier, les filles, elles, se livrent à la prostitution. »
Vols et viols fréquents sur ces plages
Mise en confiance durant l'entretien, Grâce K. vide peu à peu son sac. Elle se dit consciente du danger qu'elle court, en menant cette vie de débauche.
L'adolescente raconte cette mésaventure vécue en 2022, qui restera gravée dans sa mémoire : « Tantie, j'ai mal », soupire-t-elle, avant de commencer son témoignage : « Deux jeunes sont venus passer du temps à la plage. Je leur ai proposé ma compagnie qu'ils ont acceptée avec empressement. Nous avons tellement bu, que j'étais ivre morte ».
La suite on pouvait facilement l'imaginer, les deux garçons qui n'en demandaient pas mieux, en ont profité pour abuser d'elle. Grâce K. ,qui se dit traumatisée par cet épisode malheureux de sa vie, n'est néanmoins pas décidée à retourner en famille : « Tantie, je ne cherche plus ma famille ; ça ne m'intéresse plus », lance-t-elle résignée.
Amy K., 11 ans, qui habite Vridi canal, n'a jamais eu la chance d'aller à l'école. Elle fait aussi partie de ces nombreux petits vendeurs qui investissent le littoral.
Elle et l'une de ses camarades, ont été sauvées de justesse, d'une tentative de viol, perpétrée par un groupe de jeunes gens en mal de virilité, qui les ont prises en chasse.
Elle a dû son salut à l'agilité de ses jambes, tout comme sa camarade d'infortune, qui s'en est sortie à moitié dénudée par ces mauvais garçons.
Depuis lors, elle rentre chez elle bien avant le coucher du soleil. Malgré les risques, la petite vendeuse ne veut pas laisser son petit commerce qui lui rapporte quotidiennement 2 500 à 5 000 FCfa.
Mais les recettes obtenues par ces jeunes revendeurs et revendeuses font aussi l'objet de convoitise d'individus indélicats qui les dépouillent souvent.
Ismaël K. n'a jamais non plus mis pied dans une salle de classe. Ne sachant ni lire ni écrire, ce petit garçon de 11 ans parcourt tous les jours à pied 3 à 4 km du sous-quartier Zimbawe à Petit-Bassam, à la recherche de sa pitance. « Je coupe les ongles des grandes personnes. Mon employeur refusait parfois de me payer. Sans recours et par peur d'être battu, je rentre tout en pleurs à la maison », relate le gamin.
A l'aide de sa paire de ciseaux rouillée, Ismaël K. coupe les ongles à 200 FCfa. « Quand il y a l'affluence, je gagne parfois 1 500 FCfa par jour », dit-il. Samira, 10 ans, affirme qu'il n'y a pas que ceux qui viennent à la plage qui achètent ses sachets d'eau. « Il y en a qui prennent et boivent nos sachets d'eau et continuent leur chemin, sans payer ». Samira affirme avoir hérité cette activité de sa mère.
Nous avons appris à vendre les cacahuètes auprès d'elle. Aujourd'hui, nous parvenons à subvenir à nos besoins grâce à cette vente.
Des pratiques dénoncées par les pêcheurs
Les viols et la prostitution dont sont victimes les enfants ne sont pas méconnus des habitants du village de Petit-Bassam, qui sont pour la plupart des pêcheurs. Des enfants viennent se balader le long des plages pour y mener le plus vieux métier du monde. « Les conditions dans lesquelles elles le font laissent à désirer. Nous encourageons les parents à surveiller leur progéniture », affirme Sarré Henri, un pêcheur à Petit- Bassam. Les enfants allient pêche et école. Ce sont de bons pêcheurs, fait savoir le pêcheur.
Et de poursuivre: « Ces jeunes filles viennent parfois de très loin, notamment, des communes d'Abobo, de Treichville, Koumassi ou d'ailleurs. Nous formons nos enfants, à l'âge de 17 ans et 18 ans, à la pêche. Ils nous aident même à commercialiser nos poissons dans les autres communes ».
Des cas de noyade enregistrés.
Ces enfants et adolescents sont exposés à plusieurs dangers, dont les noyades.
« Ce matin, nous avons été informés du cas d'une personne qui s'est noyée et que la mer a rejetée. Il y a des cas de noyade d'adultes et d'enfants », informe Henri Kouassi, sauveteur. Malgré les interdictions et sensibilisations aux dangers de la mer, ils refusent parfois d'écouter. Pire, il y en a qui abandonnent leurs marchandises et vont se baigner. « Que faire puisque la police maritime surveille tous les week-ends la plage. Mais dès qu'elle tourne le dos, ils reprennent leurs pratiques. Parfois, des enfants traînent sur la plage et y dorment malgré les risques de maladie », a déploré Henri Kouassi.
Occuper sainement leurs vacances
Pendant que ces petits commerçants envahissent les plages au risque de leur vie, d'autres enfants de leur âge préfèrent rester à la maison pour s'occuper sainement. C'est le cas d'Irié François (10 ans) et de sa soeur, Irié Jacqueline, âgée de 15 ans. A Petit-Bassam, ils vendent à côté de leur mère : « C'est une manière pour eux de passer sainement leurs vacances. Je surveille tous leurs mouvements pour qu'ils ne dérapent pas », déclare la mère, Irié Marina
A longueur de journée, des adolescentes, mineures, promènent leur frêle silhouette sur les plages sablonneuses de Petit-Bassam, proposant cacahuète, coco râpé, toffee de lait de coco et autres. Des amuse-bouche qui attirent des adultes plus enclins à s'amuser avec elles qu'às'offrir ces friandises. Un tour sur ces plages, théâtre de tous les vices : viols, vols, prostitution, alcool, drogue...