Afrique: Investissement dans l'orpaillage au Sud-Ouest - Quelques fonctionnaires s'égarent dans le secteur

Longtemps considéré comme la chasse gardée du monde rural, le secteur de l'orpaillage attire de plus en plus de nouveaux acteurs qui aspirent aussi à un meilleur devenir, au nombre desquels les fonctionnaires. Discrètement, ils s'y investissent dans l'espoir d'arrondir des fins du mois difficiles voire de briller comme le métal jaune.

« Si tu fais...je vais te maudire, tu vas devenir fonctionnaire !» Les populations et en particulier les agents publics vivant dans les localités où l'orpaillage bat son plein, connaissent très bien cette plaisanterie de mauvais goût. Elle est l'oeuvre de certains orpailleurs, nouvellement enrichis, jetant souvent des piques à leurs camarades, à qui, ils souhaitent une vie de « misérable », à l'instar de celles que mèneraient les fonctionnaires.

Certainement indignés par ces attitudes, influencés par la vie de "bling-bling" de certains chercheurs d'or et cherchant à améliorer leurs revenus, des agents publics ont succombé à la tentation du métal jaune.

C'est le cas dans la région du Sud-Ouest. Selon l'Enquête nationale sur le secteur de l'orpaillage (ENSO), réalisée en 2017 par l'Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), l'orpaillage a produit en 2016 dans la localité, 4,7 tonnes d'or estimées à plus de 118 milliards F CFA, contre 9, 5 tonnes sur plan national, générant 232,2 milliards F CFA. Cette manne financière draine beaucoup de monde et des fonctionnaires en toute discrétion n'ont pas voulu rester en retrait. I.O., coiffeur dans la ville de Gaoua, exerce depuis plus de dix ans dans l'orpaillage dans la cité du Bafuji.

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Rencontré dans la nuit du 21 au 22 décembre 2022 dans son salon de coiffure, il avoue avoir collaboré avec le fonctionnaire G.A. (nom d'emprunt) pour exploiter un trou sur le site d'orpaillage de Djikando situé à 10km environ de la ville. « On a investi 150 000 FCFA chacun et nous avons eu 7 millions F CFA », nous laisse entendre notre interlocuteur. Selon lui, chacun a reçu 3,5 millions F CFA, mais son collaborateur a été muté dans une autre région pour nécessité de service.

Il affirme que le travail de l'orpaillage lui a permis de se doter de matériels d'exploitation tels que des machines à moudre les roches, un détecteur d'or et un compresseur d'explosifs. Il fait également savoir que ladite activité lui a permis d'acquérir un champ d'anacardes de 5 hectares, une alimentation et une parcelle. D.Z. est un agent des Forces de défense et de sécurité (FDS), natif de la région du Sud-Ouest.

Il a accepté partager son expérience dans le domaine de l'exploitation artisanale de l'or. Il note avoir contracté en 2016, un prêt bancaire qui lui a permis de payer un appareil de détection de métaux (or) à plus d'un million de francs CFA pour son frère, artisan minier exerçant sur un site minier dans la province du Noumbiel.

Au bout de deux ans, le trou a commencé à produire de l'or. Les retombées ont permis à D.Z. et à son frère de construire un bâtiment plus moderne dans leur concession familiale, de renforcer leurs équipements de travail et de se procurer des engins roulants de leur choix. « J'ai pu m'acheter une parcelle et un véhicule grâce à la contribution de cet investissement », ajoute D.Z., sans toutefois dévoiler le montant global qu'il a engrangé dans l'artisanat minier. Autre lieu, autre réalité.

Il s'agit d'un groupe de fonctionnaires essentiellement composés d'infirmiers et d'enseignants qui ont initié un projet d'exploitation minière en 2021. Cependant, le projet n'a pas abouti, car l'un d'eux nous a fait savoir que la somme de 50 000 FCFA que devait payer chaque membre pour démarrer le projet n'a pas été payée par tous.

Le groupe avait identifié un jeune orpailleur qui serait chargé de l'exécution du projet, si toutefois la contribution des membres du groupe était acquise. Elle servirait à alimenter le personnel sur le terrain en eau, en nourriture et en matériel de creusage.

« Quand le trou allait commencer à produire l'or, le gain serait partagé de façon équitable », explique notre interlocuteur. La même source note que cette initiative aurait permis d'arrondir les fins du mois, car c'est la seule opportunité qu'offre la région. Le vice-président du Syndicat national des artisans miniers de la région du Sud-Ouest et représentant des artisans miniers du site de Djikando, Moussa Sawadogo, que nous avons rencontré, vendredi 23 décembre 2022 à son domicile à Gaoua, nous a fait une confidence. « Il n'y a pas mal de personnes qui investissent dans l'orpaillage. Il y a des commerçants et même des fonctionnaires.

Les commerçants sont nombreux et c'est grâce à l'orpaillage qu'ils ont commencé leur commerce. Ils sont venus dans le commerce à partir de l'orpaillage ». Il souligne que, généralement, les fonctionnaires payent les appareils détecteurs de métaux qu'ils confient à des artisans sur les sites miniers pour la recherche et l'exploitation. « Ils ont des gens qui vont en brousse. Ils ont mis un système en place et chacun gagne sa part.

C'est un business ! Un deal !», lâche-t-il, tout en précisant que ce sont les enseignants et les hommes de tenue qui aiment investir dans ce secteur. « J'en ai connu des fonctionnaires qui s'étaient lancés dans le milieu, mais à un moment donné j'ai perdu leur trace parce qu'ils arrivent à s'en sortir seuls », poursuit M. Sawadogo.

Un secteur pourvoyeur d'emplois

Le secteur de l'artisanat minier emploie et absorbe un grand nombre de jeunes contribuant ainsi à réduire le taux de chômage. Le président de l'Union nationale des artisans miniers du Burkina (UNAMB), Masmoudou Sawadogo, affirme que les intellectuels et les commerçants s'intéressent de plus en plus à l'orpaillage. « Il y a des intellectuels, des gens qui ont leur BAC, la Licence qui sont parmi nous.

Aujourd'hui il n'y a pas cette personne, quel que soit son rang social qui n'est pas dans l'orpaillage. Que ce soit les fonctionnaires, les commerçants ou les partenaires financiers », renchérit-il. Selon M. Sawadogo, les commerçants sont les plus nombreux à investir sur les sites miniers artisanaux dans la province du Poni.

Et certains d'entre eux, la plupart des fonctionnaires, sont des partenaires financiers qui emploient des orpailleurs qui cherchent l'or et ils partagent le gain après avoir vendu le minerai. « On a des commerçants qui sont dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso et qui ont des amis avec qui, ils travaillent ensemble sur le site ; mais comme on ne les voit pas sur le site, on ne peut pas savoir qu'ils sont des orpailleurs. C'est le cas des fonctionnaires et des commerçants. Il faut les voir sur les lieux pour savoir qu'ils sont aussi impliqués dans l'orpaillage.

Chacun travaille en bas », renchérit-il. A l'en croire, les orpailleurs ont la force et l'expérience du terrain, mais n'ont pas de garantie comme les fonctionnaires pour avoir un crédit en banques. C'est ce qui explique les partenariats qu'ils nouent.

« Nous avons des amis commerçants, fonctionnaires, cultivateurs qui peuvent nous soutenir avec les moyens pour qu'on puisse travailler. Si on gagne, on est tous gagnants et si on perd, on est alors tous perdants », confie-t-il. Pour lui, l'activité de l'orpaillage est une activité très rentable et le secteur emploie près de quatre millions de Burkinabè. « Pour la zone de Gaoua, les acteurs sont estimés à environ 700 000 personnes sur près de 82 sites d'orpaillage », précise M. Sawadogo. « Le développement de la région du Sud-Ouest d'aujourd'hui est dû à l'orpaillage. Tous les filles et fils de la région qui partaient en Côte d'Ivoire ne veulent plus partir.

Il y a eu des moments où à partir de 21h à Gaoua, il y avait des coupeurs de route, mais aujourd'hui, on peut circuler à n'importe quelle heure, 24h/24 sans aucune crainte, tout simplement, parce que ces voleurs se sont convertis en orpailleurs sur les sites. Ils travaillent et gagnent leur argent et investissent grâce à l'orpaillage », raconte fièrement le président de l'UNAMB.

Statut incompatible ?

Le Directeur (DG) de l'Agence nationale d'encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS), Jacob Ouédraogo, nous a confirmé que des informations leur parvenant indiquent que des fonctionnaires financent la recherche et la production de l'or à travers le territoire national. Cependant il s'est abstenu de citer des noms. En rappel, l'ANEEMAS est un Etablissement public de l'Etat dont la tutelle technique est assurée par le ministère en charge des mines et des carrières.

Elle a été créée en 2015 à la suite de la liquidation du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP) qui s'occupait de l'encadrement, mais aussi du rachat de la production artisanale de l'or. Elle est mise en place pour réguler le secteur de l'orpaillage qui est en vogue. L'agence est implantée dans cinq régions, dont un bureau dans la région du Centre-Ouest, de la Boucle du Mouhoun, des Hauts-Bassins, des Cascades et quatre bureaux pour la seule région du Sud-Ouest.

Les quatre bureaux dans le Sud-Ouest s'expliquent par le fait que la région produit plus de 50% de la quantité d'or mobilisée dans l'exploitation artisanale au Burkina Faso. « Nous avons constaté qu'il faut implanter des bureaux beaucoup plus proches des acteurs et réduire au maximum l'impact négatif des produits chimiques et des explosifs que certains orpailleurs ont l'habitude d'utiliser.

Nous avons un intérêt particulier pour la région du Sud-Ouest parce qu'elle abrite beaucoup de sites aurifères qui produisent de grandes quantités d'or », explique l'ex-directeur général de l'ANEEMAS, Jacob Ouédraogo.

S'agissant du cas des fonctionnaires, l'ex-DG de la fonction publique, Marcel Ouédraogo, martèle qu'il est interdit aux fonctionnaires de mener l'activité de l'orpaillage soit directement ou indirectement. « Il est strictement interdit à l'agent public de mener une autre activité professionnelle en dehors des exceptions prévues par la loi.

Ces exceptions sont dans le domaine de l'art, la production artistique, la musique, l'agriculture, l'élevage et les prestations intellectuelles », précise-t-il. Pour lui, en dehors de ces exceptions, l'agent public ne peut avoir une autre activité professionnelle sauf s'il prend une disponibilité ou profite des week-ends pour l'exercer. « En la matière, il y a l'obligation d'exécuter personnellement le travail qui vous est confié en tant qu'agent de la fonction publique.

Il y a aussi l'obligation de ponctualité qui demande à ce que vous soyez à l'heure au service et il y a l'obligation d'assiduité qui demande à ce que vous soyez tous les jours au service, et lorsqu'il y a violation de ces obligations, les textes ont prévu des sanctions », conclut l'ex-DG de la fonction publique.

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