Sénégal: Sur les traces de Bamba - Immersion à Darou Salam, cité de la rédemption

- Darou Salam, première cité fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, se découvre comme une mine de trésors matériels et immatériels caractéristiques de la confrérie musulmane mouride du Sénégal.

Située à quatre kilomètres de Touba, elle a été érigée entre 1884 et 1886 par le fondateur du Mouridisme. Il y a passé vingt ans de sa vie. Ses deux enfants, Serigne Mouhamadou Moustapha et Serigne Fallou, respectivement premier et deuxième calife de la communauté mouride, y ont vu le jour.

L'histoire de Darou Salam est aussi liée à celle de son frère cadet, Mame Cheikh Anta Mbacké.

Selon Serigne Mame Balla Guèye, membre du comité scientifique et culturel de Darou Salam et conservateur des lieux, « ce lieu a été indiqué au saint homme par son seigneur, afin qu'il s'y installe ».

En baptisant la cité Darou Salam ou Dar-Salam (cité-de-la-paix, en arabe) « le cheikh entendait contredire la fausse réputation d'homme belliqueux que ses détracteurs, l'administration coloniale et ses supplétifs locaux notamment, lui collaient à la peau », précise-t-il.

A l'en croire, la première case qu'il occupait est devenue aujourd'hui l'emplacement de la mosquée, construite entièrement par un riche homme d'affaires sénégalais, patron d'une grande entreprise spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires. Avec une capacité de 200 places, elle a été inaugurée le 26 novembre 2023.

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S'étalant sur une grande superficie, le bel édifice religieux côtoie le mausolée de Mame Cheikh Anta Mbacké, frère cadet du cheikh, connu également sous le nom de Borom Gawane.

D'après le conservateur, « le mausolée se trouve exactement là où le cheikh rangeait ses exemplaires du Coran et ses khassidas, (poèmes et panégyriques en l'honneur du prophète de l'islam, Ndlr) ».

« C'est là que le prophète lui est apparu », renseigne-t-il, avant d'ajouter : « Le mausolée est un lieu par excellence d'exaucement de voeux ».

Et ce n'est pas cette étudiante dakaroise rencontrée sur les lieux qui dira le contraire. N.S, qui veut garder l'anonymat, est inscrite en master 2 informatique dans une université parisienne.

La Dakaroise, habituée du Magal, passe actuellement ses vacances au Sénégal. Cette année, elle est revenue au pays plus tôt, comme si elle entendait une voix l'appeler. « Venir à Darou Salam, c'est... automatique », bégaie-t-elle presque.

« C'est comme un appel, une invite. C'est quelque chose d'inexplicable pour moi », dit-elle, marchant pieds nus, au sortir de sa visite de la mosquée et du mausolée.

Ses parents sont originaires de Darou Salam où des membres de sa famille décédés, reposent dans le cimetière de la cité non loin de la mosquée et du mausolée de Mame Cheikh Anta.

À Darou Salam, le rituel de N.S est immuable : « Quand je viens ici, je visite la mosquée, puis le mausolée de Mame Cheikh Anta et enfin le cimetière où reposent mes parents et grands-parents », dit-elle, l'émotion se lisant sur son visage.

« Si demain je meurs, c'est mon souhait d'être enterrée ici », ajoute-t-elle.

En fait, il y a chez les mourides et pas seulement, une croyance fortement ancrée selon laquelle une personne inhumée dans ce cimetière bénéficie de la rédemption auprès de son Seigneur.

Serigne Codé Sall, le responsable du cimetière soutient cela sans ambages. « Quiconque est inhumé ici bénéficiera du salut éternel », dit le vieil homme avec la ferveur du disciple inconditionnel.

C'est ainsi que, informe-t-il, «de partout du Sénégal et du monde, des gens font tout pour avoir ici des sépultures pour leurs défunts. Des corps sont même rapatriés du cimetière de Touba à celui de Darou Salam ».

Lien fraternel et spirituel

Bien que fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, la cité de Darou Salam est intimement liée à Mame Cheikh Anta Mbacké. Les deux saints hommes entretenaient une relation plus que fraternelle. On aurait dit deux faces d'une même pièce. D'ailleurs, les personnes qui tiennent aux symboles y verraient une certaine mystique.

En effet, le cheikh était âgé de quinze ans de plus que son jeune frère. Et quand il quitta ce monde en 1927, Mame Cheikh Anta Mbacké le rejoignit quinze ans plus tard.

Intimement liés, « leur relation a débuté lorsque Mame Cheikh Anta n'avait que 6 ans », indique Serigne Balla Guèye, le conservateur de la mosquée de Darou Salam.

Par son érudition, à l'ombre de son frère aîné, la relation mystique et fraternelle entre Borom Gawane et Borom Touba - leur surnom respectif, confirme l'adage selon lequel « beau sang ne saurait mentir ».

Ainsi, on raconte que Mame Cheikh Anta Mbacké, doté d'une grande intelligence, était le premier à mémoriser les khassaides de Serigne Touba.

Il avait prié pour son homonyme, le savant sénégalais Cheikh Anta Diop, à qui il avait prédit qu'il serait le meilleur de ses condisciples dans ses études aussi bien à l'école coranique qu'à l'école française. Une prédiction qui s'est réalisée, au vu de la connaissance encyclopédique du célèbre savant sénégalais.

Négociant fortuné, on dit qu'il était l'argentier de la communauté mouride. C'est pourquoi, on l'appelait également « Borom dërëm ak ngërëm » (L'homme riche et béni, Ndlr).

Quand le cheikh est rentré d'exil, en 1902, et s'est rendu à Darou Salam, l'accueil qu'il lui réserve est grandiose. »Serigne Touba en a été content », confie Serigne Balla Guèye.

La richesse de Borom Gawane, autre nom de Mame Cheikh Anta, n'avait de mesure que les histoires racontées sur ses largesses et ses dépenses faramineuses au service de ses semblables et pour la satisfaction du cheikh.

Il achetait chaque article, produit ou objet par douzaine, selon la légende. Le conservateur Serigne Balla Guèye raconte qu'un jour qu'il roulait en voiture, celle du commandant de cercle le dépassa. Piqué dans sa fierté, « il en acheta douze du même modèle pour démontrer sa puissance financière et montrer à ses coreligionnaires et concitoyens qu'ils ne devraient éprouver aucun complexe vis-à-vis du colon blanc ».

En entendant cette anecdote, l'on ne peut s'empêcher de penser à cette harangue de Cheikh Ahmadou Bamba inscrite dans Jawartu, un de ses poèmes : « N'abusez pas de ma condition d'homme noir, pour ne pas profiter de moi »

Destins liés

Le destin de Mame Cheikh Anta Mbacké semble lié à celui du cheikh, à qui il a rendu visite en 1900, quand ce dernier avait été déporté au Gabon.

Ainsi connut-il le même sort, puisqu'il fut arrêté à Diourbel et exilé à Ségou, au Mali, en 1930, « sur les ordres de Blaise Diagne » qui, selon le conservateur de la mosquée et du mausolée de Darou Salam, « n'avait pas apprécié son soutien à Ngalandou Diouf », son ancien allié devenu son adversaire, lors de l'élection du député du Sénégal, en 1928. Il y reste cinq ans avant d'être élargi. Il décède en 1940.

Aujourd'hui, lieu de pèlerinage, Darou Salam regorge de « trésors » qui retracent l'histoire du mouridisme, de son fondateur et de ses descendants.

Dans une pièce réhabilitée en dur, le visiteur peut toucher le lit sur lequel Serigne Touba s'asseyait, recevant ses hôtes, des disciples venus faire acte d'allégeance, à son retour d'exil.

A côté, une autre avec un lit ayant appartenu à Serigne Fallou, ou encore cette pièce avec divers objets leur ayant appartenu, de même qu'une étoffe ayant servi à couvrir la Kaaba, que Mame Cheikh Anta Mbacké a rapporté de son pèlerinage à La Macque, en 1928.

Par ce qu'elle représente dans le Mouridisme, c'est à Darou Salam que tous les khalifes généraux effectuent leur première sortie après leur intronisation.

Suffisant pour mesurer la grande affection qu'éprouvent les disciples pour cette cité fondée par Khadimou Rassoul (Serviteur du prophète) et confiée à son frère cadet.

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