Libye: Le centre-ville de Benghazi a subi «une destruction irréversible et intentionnelle», selon l'ONU

interview

Selon un rapport d'un groupe d'expert de l'ONU, plus de 22 000 personnes ont été expulsées de leur domicile au centre-ville de Benghazi cette année. Ces habitants disent avoir été menacés et contraints de renoncer à leurs biens ou à leurs titres de propriété, selon le rapport, pour que les maisons soient ensuite détruites très rapidement. Une destruction qui « se généralise de manière alarmante ».

C'est au nom de la reconstruction de la ville que l'armée nationale libyenne et la brigade dirigée par Saddam Haftar chassent les habitants de leurs habitations, selon des témoins qui tiennent à rester anonymes par peur de représailles. Les zones exploitées sont toujours interdites au public et les démolitions intentionnelles, notamment de quartiers historiques, de sites patrimoniaux protégés et de nombreuses unités résidentielles, « ont déjà causé des dommages irréparables à l'architecture urbaine et au patrimoine vivant de la ville », ont déclaré les experts.

Explications avec Alexandra Xanthaki, du Haut-commissariat aux droits de l'homme de l'ONU. Elle est aussi rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels et a travaillé sur le rapport.

RFI : Quelle est l'appréciation des experts des Nations unies de la situation au centre-ville de Benghazi ?

Alexandra Xanthaki : Nous croyons qu'il y a eu diverses violations des droits de l'homme et c'est ce sur quoi nous attendons que le gouvernement parallèle nous réponde. Nous avons des informations sur la destruction illégale de bâtiments et de maisons et d'une destruction intentionnelle du patrimoine. Cela a contraint les gens à quitter leurs maisons vouées à la démolition et toute liberté d'expression a été réprimée, parfois d'une manière abusive, comme avec de la détention arbitraire pour les protestataires.

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Ces expulsions semblent se produire sans aucune base légale et sans aucun ordre de démolition ni aucune consultation préalable avec les résidents. Nous parlons ici de plus de 22 000 habitants expulsés du centre-ville de Benghazi par les groupes militaires et dans un délai très court. Certains propriétaires ont reçu des compensations, certes, mais insuffisantes en échange de leur titre de propriété. D'autres ont été chassés sans aucune compensation. Nous assistons à une destruction irréparable et substantielle de sites patrimoniaux importants et de bâtiments qui expriment les caractères historiques de la ville.

Quel impact cette large destruction a-t-elle sur les droits humains des habitants du centre-ville ?

Comme vous pouvez l'imaginer, il y a un impact énorme, tant pour ceux qui sont touchés directement que pour le reste des résidents de la ville. Le droit au logement a été bafoué. Les expulsions sont normalement interdites et doivent respecter les règles internationales des droits de l'homme. Elles doivent être accompagnées de mesures afin de reloger ces habitants dans des logements de qualité et à valeur égale avec une garantie de protection juridique. Et s'il y a compensation, elle doit être adéquate.

Il s'agit d'une destruction irréversible et intentionnelle du patrimoine urbain, du patrimoine architectural et du patrimoine vivant. Tout est parti. Cela prive tous les résidents de la ville et toutes les personnes vivant en Libye du droit d'accéder et de jouir du patrimoine commun, y compris le droit de savoir et de comprendre l'histoire spécifique de cette ville. Il s'agit également de la vie commune, du droit de participer à cette vie, cela a un impact important sur la vie et spécifiquement sur la vie culturelle. Il n'y a eu aucune information, aucune communication publique sur le processus d'élaboration de ce projet.

Ces derniers temps, les tentatives pacifiques de protestation se sont heurtées à des mesures d'interdiction des rassemblements, aux intimidations, aux menaces, certains ont même été arbitrairement arrêtés pour les forcer à se taire.

Cette destruction du patrimoine et de sites historiques de Benghazi auront certainement un effet néfaste durable sur la ville ?

Oui, et ça ne reviendra jamais. C'est une perte d'identité, de la mémoire et de culture essentielle. Car qu'est-ce que la culture ? C'est supposé être un lien qui rattache le passé au présent d'une manière qui donne la possibilité de rêver l'avenir. Ce qui se passe maintenant, c'est que toute cette mémoire, tout ce passé est détruit. C'est terrible et nous voyons que cette destruction du patrimoine culturel est intentionnelle. C'est quelque chose que nous avons déjà vu et, malheureusement, nous le voyons encore dans les conflits ethniques.

Que demandez-vous aux forces armées de Khalifa Haftar et aux autorités de l'est libyen ?

En général, selon les procédures spécifiques des Nations unies en matière de communication, nous invitons les autorités à engager le dialogue. Nous demandons aux autorités de nous dire ce qu'il s'est passé. Nous leur faisons savoir que nous savons, que le monde sait ce qu'ils ont fait. Nous leur demandons sur quelle base légale se sont-ils appuyés ? Ont-ils fait une enquête indépendante sur ce qui s'est passé ? Comment cette destruction a été mené et planifié ? Est-ce qu'il y a eu des mesures préventives et protectrices prises pour préserver les sites culturelles et les ouvrages historiques dans la zone où il y a des destructions et des démolitions intentionnelles. Et nous leur disons que si ce que nous entendons de la société civile est vrai, alors ils ont violé une partie importante des obligations légales auquel ils ont souscrit en vertu du droit internationale et des droits humains. Et enfin, nous les interrogeons sur le droit au retour des personnes déplacées. Ont-ils le droit de revenir, de se réinstaller ? Et quelles sont les mesures que le gouvernement a prises pour que ces gens aient la même qualité de vie.

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