Il faut veiller à ce que les violations fassent l'objet d'un suivi et de rapports continus, tout en s'assurant que les responsables rendent compte de leurs actes
Le 30 août, au Conseil de sécurité des Nations Unies, la Russie a porté un coup sévère à la protection des droits humains au Mali en utilisant son droit de véto contre une résolution qui aurait reconduit les sanctions à l'encontre de huit personnes soupçonnées d'avoir saboté un accord de paix ; cette résolution aurait aussi prorogé le mandat d'un groupe d'experts chargé de surveiller les abus commis par des groupes armés et par les forces de sécurité maliennes.
Dans son dernier rapport, daté du 3 août, le Groupe d'experts s'est dit préoccupé par les « violences sexuelles liées au conflit » dans les régions de Mopti et de Ménaka au Mali, « notamment celles impliquant les partenaires de sécurité étrangers des Forces armées maliennes ». Dans ses précédents rapports, le Groupe d'experts avait déjà dénoncé de graves violations des droits humains, notamment des attaques contre des civils par les forces maliennes, et le recrutement d'enfants par des groupes armés.
Human Rights Watch a également enquêté sur de graves abus dans le pays. Un rapport publié en juillet fait état d'abus commis par des membres de l'armée malienne et des combattants étrangers qui leur sont associés, apparemment issus du groupe Wagner lié à la Russie, notamment des exécutions sommaires et des disparitions forcées au cours d'opérations anti-insurrectionnelles dans le centre du Mali.
La décision de mettre fin aux activités du Groupe d'experts risque de nuire aux efforts visant à mettre en oeuvre l'obligation de rendre des comptes pour les abus liés au conflit, dans un pays déjà marqué par le rétrécissement de l'espace civique et par une répression accrue de la dissidence et des médias indépendants.
En février, les autorités maliennes ont accusé le directeur de la division des Droits de l'homme de la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali (Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali, MINUSMA), d'« agissements subversifs », et lui ont ordonné de quitter le pays. Puis en juin, le ministre malien des Affaires étrangères a demandé au Conseil de sécurité le retrait pur et simple de la MINUSMA, et a rejeté un rapport de l'ONU accusant des soldats maliens et des combattants du groupe Wagner d'avoir tué plus de 500 personnes lors d'une opération militaire en mars 2022. La mission devra donc quitter le Mali le 31 décembre.
Déjà en 2002, la Russie avait empêché le Conseil de sécurité de soutenir la décision de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) d'imposer des sanctions contre les dirigeants du Mali, après que les autorités militaires maliennes eurent annoncé qu'elles repousseraient l'organisation d'élections jusqu'en 2026.
Alors que le travail du Groupe d'experts se termine et que la MINUSMA s'apprête à quitter le pays, il est essentiel que les autorités maliennes continuent de travailler avec les institutions des droits humains, notamment la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), le Bureau des droits de l'homme des Nations Unies et l'Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali. Lors de sa session d'octobre, la CADHP devrait exprimer publiquement ses préoccupations sur les graves abus qui ont cours au Mali et travailler avec la Commission nationale des droits de l'homme de ce pays pour recueillir des preuves de violations graves, et faire des recommandations pour s'assurer que les droits soient protégés et que les auteurs d'abus rendent compte de leurs actes.
Chercheuse senior sur le Sahel