Sénégal: Popenguine - Une cohésion religieuse nouée par les liens du sang

7 Septembre 2023

Lorsqu'on parle de Popenguine, on pense automatiquement au pèlerinage marial qui s'y déroule, chaque année, lors de la Pentecôte. Cet événement religieux et cette localité ont fini de se confondre. Mais loin d'être un sanctuaire catholique, Popenguine se révèle, en réalité, une chapelle où musulmans et chrétiens vivent leur différence dans une symbiose rare. Pour comprendre ce modèle achevé de cohabitation religieuse, il faut interroger l'histoire qui repose sur des dynamiques familiales.

On l'aurait appelé « Pays du matin calme » (l'autre nom de la Corée du Sud) qu'il ne s'agirait pas de l'usurpation. Comme ce pays asiatique, Popenguine coche toutes les cases pour mériter ce statut. Sans forcer le trait. Beauté naturelle, relief accidenté entre monts et ravins, nature généreuse en cette saison des pluies, plage de sable fin du côté de la Réserve naturelle avec les falaises du Cap de Naze qui se dessinent en arrière-plan, dressées comme une vigie. Un calme de cathédrale qui jure d'avec le bourdonnement qui s'empare de la localité, telle une ruche, lors du pèlerinage marial qui s'y tient, tous les ans, lors de la Pentecôte. De temps à autre, des notes du Coran s'échappent du haut-parleur de la grande mosquée en chantier, alternant avec le gazouillis des oiseaux. Une impression de sérénité se dégage de Popenguine qui ne manque point d'interpeler les non-résidents.

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Comme si cette zone est faite pour la méditation, l'adoration, la retraite spirituelle. « Les gens qui viennent ici occasionnellement ne cessent de nous le répéter : "vous ne vous rendez pas compte du calme qu'il y a ici qu'on ne trouve nulle part". C'est une belle opportunité que nous avons. Être ici est une grâce. Ma conviction est que les Évangélistes qui sont venus ici ont bien choisi cet endroit. Ils étaient certainement guidés par l'Esprit Saint, car Popenguine est devenu un lieu de prédilection, de ressourcement pour la foi des chrétiens du Sénégal et du monde entier », confie le Père Christian Marie Diamacoune, Curé de la paroisse, Notre Dame de la Délivrande de Popenguine.

Endroit où il fait bon vivre

En effet, la présence de l'église à Popenguine date de 1885 qui coïncide avec l'arrivée des premiers missionnaires. Ils ont d'abord atterri à Guéréo, une petite localité voisine séparée de Popenguine par les falaises du Cap de Naze. Longeant la côte, ils ont découvert Popenguine qui leur rappelait leurs propres origines, selon le Père Christian Marie Diamacoune. « Ils ont donc fait venir la Vierge de chez eux, notre Dame de la délivrande de Louvres, de France. Ce sont ces missionnaires qui ont donc apporté l'évangile ici », ajoute-t-il. Trois ans plus tard, en 1888, le premier pèlerinage marial se tenait.

Mais, à l'époque, Popenguine était loin d'être une terre intacte. C'était déjà habité. Si le Père Diamacoune parle de « population essentiellement musulmane », l'Imam Cheikh Ciss, lui, parle de « majorité d'animistes et d'une minorité de musulmans ». Toujours est-il que les missionnaires réussirent à convertir quelques habitants. D'ailleurs, les noms des premiers baptisés sont gravés sur un tableau à l'intérieur de la belle église qui trône à quelques jets de pierre du sanctuaire marial où se déroule le pèlerinage. Parmi eux, « les parents du Cardinal Hyacinthe Thiandoum », précise le Curé de la paroisse.

Une localité au rythme de conversions et de reconversions

La famille du Cardinal Thiandoum est l'incarnation de ce qu'est devenu, aujourd'hui, Popenguine : le symbole achevé de l'entente islamo-chrétien. Pour en comprendre les ressorts, il ne faut pas aller loin. Il suffit de rester dans le quartier Cuupaam. À partir de l'église, quelques pas suffisent pour atteindre la mosquée Tafsir Khaly Sarr, premier lieu de culte musulman de Popenguine. Elle est contiguë à la maison du père du Cardinal Thiandoum qui s'appelait Fary Thiandoum. L'église, la mosquée et cette maison sont disposées sur le même périmètre en une forme de triangle. « Celui qui a offert l'assiette foncière pour la construction de l'église est le même qui a offert le terrain pour la construction de cette mosquée : il s'appelait Alassane Gaskel.

Il était chrétien et s'est reconverti à l'Islam et fut imam dans cette mosquée. Il était en même temps l'oncle du Cardinal Thiandoum », explique Abdou Karim Ndiaye, Surveillant général du lycée de Popenguine. Il ajoute que le grand-frère du Cardinal Hyacinthe Thiandoum, Jacques (Souleymane de son nom de converti), était musulman et sa femme est la grande soeur de l'Imam Ciss. « Moi, par exemple, tous mes oncles sont des chrétiens, j'en ai six ou sept. L'Imam Ciss, c'est la même chose. Ce phénomène de conversion et de reconversion ne nous empêche pas de vivre en parfaite harmonie, rien ne peut remettre en cause notre parenté », soutient Abdou Karim Ndiaye.

L'enseignant met cette belle cohabitation sur le compte de « l'intelligence sociale de la notabilité de Popenguine ». Selon lui, les anciens étaient pleins de sagesse et imbus de valeurs d'ouverture et de tolérance. Il aime à rappeler cette déclaration faite un jour aux responsables de la paroisse par le Cardinal Hyacinthe Thiandoum : « il faut toujours privilégier les liens familiaux, de sang, en cas de survenu de conflits, car, quels que soient les problèmes, ici, nous sommes tous des parents ».

Imam Cheikh Ciss dont la grande soeur était l'épouse du grand frère du Cardinal Hyacinthe Thiandoum ne veut pas entendre parler de dialogue entre musulmans et chrétiens à Popenguine, pour la simple et bonne raison que, pour lui, le « dialogue, c'est entre des gens qui voudraient s'entendre et arrondir les angles », ce qui n'est pas le cas à Popenguine, entre les deux communautés religieuses. « Nous sommes d'abord des parents liés par le sang, avec, chacun, sa foi. Ensuite nous partageons la localité. Nos liens de parenté sont plus forts que toute autre considération. Moi-même, certains de mes oncles sont catholiques, ma mère est musulmane. Le même jour, un de mes oncles catholiques est décédé le matin, le soir ma mère est décédée, ironie du sort, ils étaient les meilleurs amis », raconte-t-il.

Le Père Christian Marie Diamacoune embouche la même trompette. Curé de la paroisse depuis 2019, il a pu constater et vivre la dimension de tolérance présente à Popenguine. Et cela se comprend parfaitement, selon lui. « On met en avant plus les liens familiaux, de sang que la foi. Nous ne pouvons pas nous séparer alors que nous sommes de la même lignée. Cette conception a beaucoup facilité la cohabitation à Popenguine. On peut considérer la localité comme le lieu phare du dialogue islamo-chrétien au Sénégal », pense-t-il. Par exemple, ajoute-t-il, pendant le pèlerinage, c'est tout Popenguine qui est concerné par l'accueil. Des musulmans laissent leur maison ou accueillent des gens qu'ils ne connaissent même pas, assure-t-il.

L'Imam Ciss fait chorus. « On fait tout ensemble. Pour la construction de la grande mosquée, les chrétiens s'investissent largement. Durant les travaux, impossible de faire la différence entre le musulman et le chrétien. Même chose pour les cimetières. Quand on les construisait, chaque communauté a apporté sa pierre à l'édifice. Pour le débroussaillage, c'est la même chose. Le nettoiement de l'Église aussi idem. Nos anciens ont jeté les bases de ce vivre-ensemble, nous l'entretenons ».

PAPE NDIASSÉ NDIAYE, NOTABLE, ANCIEN ADJUDANT DE GENDARMERIE À LA RETRAITE

« Être Popenguinois, confère un statut particulier »

Il est l'un des derniers patriarches de Popenguine. Pape Ndiassé Ndiaye, 91 ans, dont la famille est installée à Popenguine depuis la nuit des temps, « entre 1.600 et 1.700 » et à laquelle appartient le célèbre Armand Ndiaye (son grand-frère) fut un digne ambassadeur de cette localité. En tant qu'ancien gendarme, partout où il a servi, il était toujours fier de dire qu'il est de Popenguine. Et, se rappelle-t-il, certains ne manquaient jamais de l'interpeler sur la cohabitation entre musulmans et chrétiens dans cette contrée. « J'avais l'impression que les gens étaient fascinés par le modèle du vivre-ensemble à Popenguine. Un Popenguinois, dans une assistance, il a un statut spécial », soutient-il.

Mais parfois, il était obligé de faire face à quelques préjugés du genre « tous les gens de Popenguine sont des catholiques » ou bien encore « à Popenguine, quand un musulman prie quelque part, on ramasse le sable de l'endroit où il priait ». « Je répondais par un sourire et je m'efforçais de leur expliquer qu'il s'agit de rumeurs mal fondées, qu'à Popenguine, musulmans et chrétiens vivent en parfaite intelligence. Certains considèrent cela comme de la tolérance, mais c'est plus que ça, nous nous respectons. Et je me dis qu'au moins, servir hors de Popenguine pendant des années, m'a permis d'enlever des préjugés dans la tête de certains », souligne Pape Ndiassé Ndiaye, lui dont le père, Mamadou, est né à Popenguine en 1894 dont le grand-père aussi qui s'appelait Gora est né à Popenguine. Et dans la famille Ndiaye, on retrouve aussi bien des chrétiens que des musulmans.

« Ici, c'est une banalité. Même au sein de ma propre famille. Quand vous parlez ici d'islamo-chrétien, vous n'irez pas loin, on vous freine, il n'y a aucune barrière religieuse », martèle l'ancien adjudant de la Gendarmerie.

Kumba Cuupaam et la Vierge Noire, les figures féminines protectrices de Popenguine

À Popenguine, deux figures féminines occupent une place prépondérante dans l'histoire de la localité. Il s'agit du génie tutélaire Kumba Cuupaam dont un quartier (là où se situent la paroisse et le sanctuaire marial), porte le nom ainsi qu'un campement touristique. L'esprit de ce génie se cacherait aux abords de la Réserve naturelle, quelque part dans les falaises du Cap de Naze qui sépare Popenguine et Guéréo. L'autre figure féminine est la Vierge noire qui trône à l'intérieur de l'église Notre-Dame de la Délivrande aux pieds de laquelle, depuis 1888, date du premier pèlerinage, des milliers de pèlerins viennent se recueillir.

Mais dans l'histoire de Popenguine, comme dans la plupart des localités en pays Sérère Saafen, le relief a été important dans l'implantation des populations dans la zone, selon Abdou Karim Ndiaye. « Le choix de la zone peut s'expliquer par un souci de se protéger. Dans l'histoire, les Sérères Saafi s'implantent d'habitude dans les bas versants pour se protéger des razzias, des attaques », explique-t-il. Toujours est-il que le premier site d'implantation dans la zone est Popenguine Sérère, à un km de l'actuel Popenguine que certains appellent aussi Popenguine Escale. « Tous les habitants de Popenguine viendraient de Popenguine Sérère. Les premières familles à s'être établies à Popenguine seraient des Sène, Diouf, Ndoye et sont tous originaires de là-bas », indique le Père Christian Marie Diamacoune. Mais il y a une autre version qui veut qu'avant les Sérères Saafi, les Socés ont été les premiers à habiter la zone. C'est ce que soutient l'Imam Cheikh Ciss. Sur l'origine du nom « Popenguine » aussi, il y a différentes versions. Mais la plus répandue veut que « celui qui est venu ici en premier a dit " fof na deuk fi" en sérère saafi cela donne "fof guen dikk" », avance l'Imam Ciss.

Mon beau village: Ndayane

Ici naquit la légende portée par le conte

La commune de Popenguine-Ndayane englobe les deux localités phares. Ndayane est densément peuplé, mais n'est pas assez connu comme Popenguine. Les habitants espèrent que le nouveau port en construction contribuera à faire mieux connaître cette localité dont la création repose sur une légende imaginaire populaire bien ancrée.

Tout un mythe s'est bâti autour de Ndayane. Cette légende portée par le conte « Xalé ba demone guédjou Ndayane » est tirée de l'histoire « La cuillère sale » de Birago Diop. Selon la tradition orale rapportée par l'historien et écrivain Badara Sène, « Ndayane » serait la déformation de « Ndey Ann ». « Ndey Ann, en deux mots. Nos aïeuls, partis de la Mecque, ont rapporté en Égypte cette expression qui renvoie à l'eau », explique-t-il. D'ailleurs, poursuit Badara Sène, « Ann » signifie en Sérère saafi « boire de l'eau ».

Ndayane, insiste Badara Sène, a été habité d'abord par les Mandingues. À l'époque, indique l'historien, « lorsqu'ils étudiaient en science théologique, ils voyaient une lumière. Elle marquait une évolution ou une ascendance pour les érudits mandingues. Ainsi, ils ont décidé de suivre la lumière qui apparait vers l'ouest. Ils ne marchaient que la nuit. Arrivés à Popenguine, au lieu de marcher la nuit et de se reposer le jour, ils décident de continuer la marche. Une fois à Toubab Dialaw la nuit, ils se rendent compte que la lumière est derrière eux. Ils ont alors fait demi-tour », narre-t-il avant de marquer qu'une fois sur la berge, la lumière est de plus en plus vive. Ils savent qu'ils ont trouvé leur destination. Mais, malheureusement, ils n'ont pas écrit la date, renseigne Badara Sène. Ainsi est marquée la première naissance de Ndayane faite par les mandingues sur la base de la lumière.

Une naissance par le feu

La deuxième naissance de cette localité est liée à Lambaye. Mame Ndierno, un adolescent vivant dans le Baol, avait une grave plaie à la jambe qui avait du mal à guérir. Il a été soigné partout en vain. Son papa était obligé de lui trouver une niche devant la maison et personne ne pouvait le voir. « Un visiteur de son père l'a interpellé sur la situation de son fils. L'homme en question lui dit que cet adolescent trouvera la guérison, mais ce ne sera pas dans cette contrée », explique Baye Badou Sène qui conte l'histoire de son ancêtre. C'est ainsi que Mame Ndierno décide de suivre le soleil. On lui avait déjà indiqué qu'il serait guéri dès lors qu'il verra une créature en furie tel un serpent qui ondule, mais qui reste insaisissable, tellement elle est immense.

Dans son long périple, Mame Ndierno arrive à Popenguine sérère, il continue de mener son aventure. C'est delà que, sur la colline du Cap de Naze, l'océan atlantique se montre à lui. Cette découverte le fait sourire, il a enfin trouvé son lieu de délivrance. Il voit comment l'eau se déchaine tel un serpent et comment il est long et large, il sourit, car il sait qu'il sera guéri sur ces terres.

La fatigue l'ayant gagné, il se repose au pied d'un arbre. En ce moment, une créature s'approche de sa plaie et lui effleure la jambe. Il entrouvre ses yeux et remarque qu'il ne s'agit pas d'un humain. Mame Ndierno venait de faire connaissance avec Kumba Cuupaam, le génie protecteur de Popenguine.

La créature surnaturelle guérit sa plaie et propose de le raccompagner. Arrivé à un cailcédrat, Kumba Cuupaam l'interpelle : « ta richesse se trouve ici entre les deux eaux, mais avant de l'avoir, il faudra mettre ta main sur le feu. Regarde bien cet arbre, ce sera notre frontière. Mais, préviens toute ta famille. Que les femmes qui doivent rejoindre leur foyer ne passent pas par ici, sinon elles n'enfanteront jamais, si elles sont enceintes, elles perdront leur enfant ». Cette sommation est toujours respectée par les habitants de Ndayane, si l'on en croit Badara Sène.

La zone abritant l'actuel village de Ndayane est issue d'un feu de brousse causé par Mame Ndierno qui s'essayait à la grillade de poissons. Ainsi est marquée la deuxième naissance de Ndayane par le feu.

L'historien non moins écrivain Badara Sène est d'avis qu'on ne peut dissocier Mame Cheikh Oumar Foutiyou de Ndayane. Le grand érudit est passé par ici, où il a foré plusieurs puits. D'ailleurs, une de ses mosquées s'y trouve. En plus, il est apparu à plusieurs reprises aux habitants de la zone.

Aujourd'hui, la popularité de Popenguine a emporté Ndayane qui souffre d'une méconnaissance. Mais, depuis que le nouveau port porte son nom, la ville connaît une renaissance. Comme une troisième naissance.

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