En plus des attaques parasitaires comme les mouches de fruits et le dessèchement des manguiers, les producteurs fruitiers du Kénédougou subissent de plein fouet la crise sécuritaire que traverse le pays. La campagne de mangue qui vient de s'achever a été difficile. Faute de pouvoir écouler leurs productions dans les localités habituelles du Burkina Faso et au Niger voisin, ces producteurs vivent dans le désarroi. Rencontre avec ces infortunés du Verger du Burkina.
Le Kénédougou (Orodara) est connu pour être le Verger du Burkina du fait de sa grande production de divers produits fruitiers, notamment des mangues. Selon les chiffres du ministère en charge de l'agriculture, la mangue représente à elle seule, environ 58% des vergers nationaux. Sur une estimation de 360 000 tonnes de mangue par an au niveau national, plus de la moitié de la production provient de la province du Kénédougou. Ainsi, des dizaines de camions de tout gabarit envahissaient Orodara et ses vergers, pour acheter les mangues à destination d'autres localités et pays demandeurs.
Seulement, depuis peu, le commerce de mangue au Kénédougou ne connait plus ses beaux jours d'antan. Dans la province, la filière était en plein essor, a rappelé Paul Ouédraogo, président d'honneur de l'Association interprofessionnelle de la mangue du Burkina (APROMAB) et promoteur d'une unité de transformation de mangue installée au secteur 5 de Orodara. Les principales communes de production, a-t-il cité, sont Kourinion, Orodara, Djigouèra, Koloko, Kangala et Samogohiri. A l'entendre, le nord de la province, notamment les communes de Sindo, N'Dorola et Morolaba qui sont beaucoup affectées du fait du terrorisme qui a rendu ces zones difficilement accessibles. De plus, a-t-il signifié, la campagne de commercialisation 2022-2023 a été peu fructueuse parce que certaines zones demanderesses de mangue comme Dori, Djibo et Ouahigouya sont difficile d'accès.
Des unités de transformations fermées
Par conséquent, cette saison, les commerçants de mangue n'ont pas afflué dans la cité des Vergers, foi de Souleymane Konaté, directeur de la Coopérative agricole du Kénédougou (COOPAKE), une unité de transformation de mangue, qui indique que la situation est « extrêmement préoccupante ». « Aujourd'hui, lorsqu'on va dans les vergers, on se rend compte qu'il y a des mangues qui n'ont pas encore été récoltées et qui pourrissent sur les manguiers. Nos mangues sont disponibles mais aucun producteur n'est prêt à prendre le risque de les convoyer à l'extérieur du pays à cause de l'insécurité », a-t-il renchéri. M. Konaté évoque ainsi la fermeture de certaines unités de transformation de mangue, avec à la clé, des chômages techniques. Et ce, parce que les zones de production de la mangue à destination de ces unités de transformation vivent l'insécurité.
Mais de l'avis du président d'honneur de l'APROMAB, Paul Ouédraogo, la fermeture de certaines unités pendant cette campagne est aussi liée à la forte production de la campagne de 2021-2022 qui n'a pas permis de vendre les stocks à cause de la crise entre la Russie et l'Ukraine, des pays de destination de la mangue séchée. Si à la COOPAKE, les travailleurs ont de quoi s'occuper, à l'unité « Ouatt » de transformation de mangue créée en 2020, les activités sont à l'arrêt. L'unité a mis les clés sous le paillasson et par conséquent ses 20 employés sont au chômage. Le promoteur, Lancina Ouattara, par ailleurs membre du bureau des Professionnels de la transformation de la mangue du Burkina (PTRAMAB), dit avoir constaté également cette année, une baisse de la commande et la non ouverture de certaines entreprises de transformation de mangue.
La route du Niger parsemée d'embuches
A l'écouter, sur les 21 unités de transformation installées dans la commune urbaine de Orodara, seules dix ont pu fonctionner cette année et les onze autres, dont sa structure, sont restées fermées. « C'est un véritable coup dur. Tout mon personnel est au chômage technique », a-t-il déploré. Nagnèré Koné (67ans), exerce dans la filière mangue depuis plus d'une vingtaine d'années. Assise dans son salon, l'air désespérée et le regard effacé, dame Koné tourne depuis un bon moment la tête de gauche à droite avant de nous raconter la mésaventure qu'elle a vécue cette année sur la route de Niamey (Niger). « Un matin, j'ai reçu un coup de fil d'un de nos collaborateurs m'annonçant le départ d'un convoi sécurisé pour le Niger. Le même jour, j'ai fait charger 60 tonnes de mangue pour aller vendre là-bas. A Kaya, le convoi a été bloqué pour des raisons sécuritaires et y a passé une semaine avant d'être autorisé à partir.
Arrivé à Niamey, les mangues chargées étaient hors d'usage et nous étions obligés de les jeter dans un trou. Cela nous a fait perdre un bénéfice de 7,5 millions F CFA », a-t-elle lâché avec amertume. Pour la campagne écoulée, Mme Koné déclare avoir déjà enregistré une perte de 15 millions F CFA dans la vente des mangues à cause de l'insécurité. Elle dit passer des nuits blanches parce qu'elle ne sait à quel saint se vouer pour rembourser cet argent qu'elle aurait emprunté auprès d'une institution financière. Lassina Traoré, un autre exportateur de mangue à destination du Niger affirme avoir également perdu tout son chargement de fruit lors de ce même convoi. « Toute la perte est estimée à plus de 5 millions F CFA », a-t-il explique. L'autre difficulté évoquée par Lassina Traoré concerne le contournement de la route, pour aller au Niger avec les mangues au lieu de passer par Kaya et Dori. A ses dires, à cause de l'insécurité, les exportateurs de mangue du Kénédougoou passent maintenant par le Togo et ensuite le Bénin pour accéder au marché nigérien. « C'est un circuit très long et coûteux pour nous », a-t-il estimé.
Des prix imposés par les acheteurs
Lundi 31 juillet 2023. Nous sommes en plein coeur de Koloko. Une commune de la province du Kénédougou et frontalière avec la République du Mali où vivent plus de 19 384 âmes majoritairement des Sénoufos. L'hivernage bat son plein et dans cette localité, le constat est le même qu'à Orodara. Moussa Nana, producteur fruitier de son état et Siaka Traoré, lui aussi producteur et exportateur de mangue, expliquent que cette année, la situation est pire que les années antérieures. Avant, a rappelé M. Traoré, les mangues quittaient Koloko via Orodara pour Ouahigouya, Zorgho et Pouytenga. Mais à cause de l'insécurité, les acheteurs ont peur de venir à Koloko. « C'est ce qui explique que quand les acheteurs viennent, ils imposent leurs prix et l'on ne peut pas refuser de peur de voir pourrir les mangues dans les vergers », a-t-il signifié. Tout comme lui, Awa Traoré est une vendeuse de mangue. De tous ses voeux, elle appelle la victoire des forces combattantes sur le terrorisme afin de reprendre ses affaires. Awa Traoré accuse également l'état de dégradation « très avancée » de la route Orodara-Bobo qui dissuade les transporteurs.
Le Kénédougou et les mangues
« Les mangues ne s'achètent plus comme auparavant. Les localités où on partait vendre les mangues sont bloquées pour fait de terrorisme mais aussi de l'état dégradant de la RN 8. Vivement que cette guerre finisse », a-t-elle insisté. Pour le directeur provincial en charge de l'agriculture du Kénédougou, Gassi Lougué, la campagne de mangue 2022-2023 est relativement stationnaire avec une tendance à la baisse par rapport aux années antérieures, notamment la campagne 2021-2022. En termes de chiffres, a-t-il précisé, la production de la province est estimée à 17 864,469 tonnes contre 18 665,416 tonnes la saison écoulée. Plus de la moitié de cette production, a-t-il renchéri, est consommée frais et le reste transformé en mangue séchée et en jus (purée). En matière de transformation, les unités de séchage de mangue sont au nombre de 21 dans la province dont 16 installées à Orodara.
Sur le plan financier, Gassi Lougué affirme que les différents acteurs et structures n'ont pas voulu révéler leurs chiffres d'affaires et leur état de santé financière. Mais la filière mangue, a-t-il dit, est assujettie à des difficultés dépendant de plusieurs facteurs. Il s'agit des facteurs d'ordres biotique et phylogénétique (attaques parasitaires et dessèchement des manguiers), mais aussi structurel. M. Lougué a fait savoir que l'insécurité a beaucoup impacté cette année la filière mangue dans la province. « Les attaques terroristes de courant avril-mai 2023 ont empêché certains producteurs de la zone de Sindo de récolter une partie de leur production », a-t-il étayé. Et de renchérir qu'auparavant, le Kénédougou approvisionnait en mangue des régions comme le Nord, le Centre-Nord et le Sahel. Ces localités, a-t-il ajouté, sont devenues des zones à fort défi sécuritaire donc moins fréquentées par les commerçants et les acheteurs de mangue. Aux dires de M. Lougué, les producteurs évoquent par conséquent une baisse du nombre d'acheteurs et des prix d'achat moins encourageants que les années passées.