Afrique: Sanctions au Niger - « Il faut rapidement rompre avec toute logique de punition collective »

Air France
communiqué de presse

Suite au changement de situation politique du Niger intervenu le 26 juillet, une série de sanctions a été mise en place à l'initiative de l'organisation régionale de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, de l'Union économique et monétaire Ouest africaine et d'autres partenaires bilatéraux et multilatéraux. Elles sont à la fois ciblées, telles que les interdictions de voyage et gel des avoirs qui s'appliquent à des individus, et collectives comme la fermeture des frontières terrestres et aériennes, la suspension des relations commerciales et bancaires régionales, qui impactent l'économie du pays et sa population. Dans un contexte humanitaire plus que fragile, où le système de santé avec l'appui de partenaires comme MSF prend en charge 400 000 enfants sévèrement malnutris chaque année, de telles mesures suscitent de fortes inquiétudes. Les explications de Moctar Daouda Abass, responsable des opérations de MSF au Niger.

Quels sont les premiers effets visibles sur la population de la série de sanctions économiques et commerciales imposées depuis un mois au Niger ?

Il y a tout d'abord des craintes sur les risques de flambée des prix des denrées alimentaires alors que nous traversons la période de soudure agricole, c'est-à-dire le moment où les prix sont déjà habituellement au plus haut, avec beaucoup de difficultés rencontrées par les familles les plus pauvres pour subvenir à leurs besoins. Une partie des céréales consommées au Niger est importée des pays voisins comme le Nigeria, le Bénin, le Togo et le Ghana, tandis que de nombreuses denrées exportées vers le Nigeria transitent par le Niger ou y sont produites comme le mil, les haricots et d'autres denrées. Des camions de vivres et de marchandises sont actuellement bloqués aux frontières du Nigeria et du Bénin, et la mise à l'arrêt de ce commerce régional ne peut qu'aggraver les niveaux déjà élevés d'insécurité alimentaire au Niger mais aussi dans toute la région affectée. 3,3 millions de personnes, soit 13 % de la population nigérienne, font face à une situation d'insécurité alimentaire sévère.

Autre sujet de préoccupation, les difficultés d'approvisionnement en produits essentiels, comme les médicaments, et en énergie : 70 % de l'électricité du pays était achetée l'année dernière au Nigeria. Le système de santé dépend en partie de l'approvisionnement en électricité, pour faire fonctionner les hôpitaux, pour la chaîne de froid des vaccins et d'autres matériels. De nombreux centres hospitaliers disposent de groupes électrogènes, mais l'accès au carburant et la maintenance peuvent devenir problématiques lorsqu'ils sont la seule source d'énergie disponible.

Est-ce que nos équipes redoutent de possibles pénuries de médicaments et de produits nutritionnels au Niger ?

Nos équipes restent mobilisées pour maintenir leurs activités médicales en partenariat avec le ministère de la Santé et répondent aux besoins les plus urgents en capitale et dans les régions de Maradi, Zinder, Tahoua, Diffa, Agadez et Tillabéry. À l'heure actuelle, nous fonctionnons avec nos stocks disponibles dans le pays et plusieurs de nos containers de médicaments et divers matériels sont bloqués au Bénin. Les frontières terrestres ont été fermées puis rouvertes avec le Burkina Faso, le Mali et l'Algérie et d'autres pays début août, et le Niger a également rouvert son espace aérien aux vols commerciaux depuis le début de la semaine.

Cette évolution devrait fournir de nouvelles pistes pour se réapprovisionner et pour renouveler nos équipes, que ce soit pour le personnel international travaillant au Niger ou pour les employés nigériens travaillant avec MSF à l'étranger. Compte tenu d'une récente annonce restreignant les déplacements et activités des organisations humanitaires à l'intérieur du pays, nous espérons également être en mesure de poursuivre nos activités médicales vitales, d'autant plus en cette période critique, sans entraves et en partenariat avec le ministère de la Santé.

C'est la pleine saison du pic de la malnutrition et du paludisme, avec des inondations importantes et des risques d'épidémies. Au-delà des programmes MSF et des structures de santé avec lesquelles nous travaillons, des ruptures d'approvisionnement et des suspensions d'activités dans la prise en charge de ces maladies seraient vraiment dramatiques. L'Unicef déclare ainsi qu'une vingtaine de leurs containers à destination du Niger sont bloqués au Bénin avec des équipements essentiels pour la vaccination des enfants et qu'une trentaine sont toujours en mer avec des stocks de nourriture thérapeutique prête à l'emploi et d'autres intrants.

Dans ce contexte, quelles sont les demandes portées par MSF ?

Les mesures qui visent à asphyxier l'économie d'un pays, l'exemple le plus extrême étant celui d'un embargo complet, pénalisent avant tout les populations et en particulier les. plus précaires. Les progrès réalisés au Niger en matière de lutte contre les principales causes de mortalité, notamment infantiles, sont importants mais très fragiles - ils tiennent en partie à la circulation des biens, à des financements multilatéraux et au déploiement massif d'aliments thérapeutiques prêts à l'emploi.

Il faut donc rapidement rompre avec toute logique de punition collective et garantir que les sanctions n'aggravent pas la situation de la population. C'est ce qu'a rappelé l'Union africaine dans un communiqué de son Conseil de paix et de sécurité qui demande à « minimiser leur effet disproportionné sur les citoyens du Niger » tandis que le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies et de nombreuses autres organisations humanitaires appellent à la mise en place d'exemptions humanitaires.

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