Le relèvement de 25 points de base du principal taux directeur auquel la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest prête ses ressources aux banques commerciales pour le porter à 3,00%, à compter du 16 mars 2023, fait débat.
Face à cette politique qui devrait contribuer, en principe, à ramener l'inflation dans l'intervalle cible de la Banque centrale (1% à 3%) sur le moyen terme, Sud quotidien recueille l'éclairage de deux économistes, respectivement monétariste et keynésien. Regards croisés de Cheikh Ahmed Bamba Diagne et Ndongo Samba Sylla sur la politique monétaire de la Bceao.
Le Comité de politique monétaire (Cpm) de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (Bceao) a relevé de 25 points de base le principal taux directeur auquel la Banque centrale prête ses ressources aux banques pour le porter à 3,00%, à compter du 16 mars 2023. Une politique qui devrait contribuer à ramener l'inflation dans l'intervalle cible de la Banque centrale (1% à 3%) sur le moyen terme. Et ce, bien que le taux d'inflation dans l'Union ait commencé à baisser. Pour Cheikh Ahmed Bamba Diagne, enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad), partisan du monétarisme, une doctrine économique qui préconise un contrôle strict de l'émission monétaire pour supprimer l'inflation, la Bceao est bien dans son rôle de maitrise de l'inflation.
« Ce que la Banque centrale a fait, c'est ce qu'on attend d'une banque centrale ». Parce que, soutient-il, « la mission principale et primordiale d'une Banque centrale, c'est la maitrise de l'inflation ». Dans notre zone, la Banque centrale cherche à maitriser l'inflation à moins de 2% alors qu'elle est à 4,25%. Donc, cet objectif n'est pas encore atteint. Dans son développement, l'enseignant-chercheur rappelle que la Banque centrale a quatre instruments de politique monétaire et parmi ces instruments, le premier instrument à être utilisé, c'est la politique du taux directeur. A l'en croire, « d'après la théorie économique, l'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ». A chaque fois qu'on constate qu'il y a une inflation, c'est parce qu'il y a une présence massive de monnaie sur le marché.
Autrement dit, la masse monétaire est importante sur le marché. Alors, « si la masse monétaire est importante sur le marché, les prix augmentent », explique l'économiste. A l'en suivre, l'objectif de la Banque centrale étant de lutter contre la hausse des prix (inflation), elle est dans l'obligation d'augmenter son taux directeur. Le taux directeur est le taux que la Bc prête aux banques commerciales au besoin. Alors, « si la Banque centrale augmente son taux directeur, les banques commerciales sont obligées elles aussi d'augmenter leurs taux d'intérêt. Si la Banque centrale augmente son taux d'intérêt, le coût du crédit devient cher.
Et si le coût du crédit devient cher, la liquidité prêtable diminue. Et si la liquidité prêtable diminue, la consommation diminue. Et si la consommation diminue, l'investissement diminue. Et si l'investissement diminue, la production diminue. Et si la production diminue, la demande diminue. Et si la demande diminue, les prix baissent ». Donc, l'objectif de la Banque centrale, « c'est de baisser les prix en augmentant le taux directeur de 25 points », fait savoir Cheikh Ahmed Bamba Diagne qui rappelle pour préciser que la Banque centrale a utilisé un de ses quatre dispositifs.
Si la Banque centrale n'arrive pas à atteindre le premier objectif, elle utilise le second instrument qu'est l'Open market. L'open market n'est rien d'autre qu'une opération de politique monétaire par laquelle la banque centrale se rend sur le marché interbancaire pour acheter ou vendre des obligations publiques (titres de dette publique) de manière ferme.
Dans ses explications, l'économiste et non moins Directeur scientifique du Laboratoire d'analyse de recherche économique et monétaire (Larem) à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar est convaincu que la Bceao est dans son rôle. Parce que dit-il : « La Banque centrale à quatre instruments de politique monétaire, à savoir la politique du taux directeur ou politique d'escompte, la politique d'open market, la politique des réserves obligatoires, et la politique d'encadrement du prix ». En termes clairs, explique l'économiste, « Si le vendeur d'oignon a osé augmenter le prix, c'est parce qu'il y a de l'argent. A défaut, il ne le ferait jamais ».
Depuis 2021, le taux d'inflation est monté jusqu'à 11% mais grâce à la politique monétaire de la Banque centrale, l'inflation a été ramenée à un peu plus de 4%, a fait noter le monétariste.
Ndongo Samba Sylla limite les banques centrales
Prenant le contre-pied du monétariste, l'économiste du développement Ndongo Samba Sylla, non moins keynésien, une théorie économique qui affirme que l'intervention active des gouvernements dans l'économie et la politique monétaire sont les meilleurs moyens d'assurer la croissance économique a d'emblée relevé pour sa part le problème de transmission des canaux de la politique monétaire. C'est-à dire, soutient-il, « la Banque centrale peut prendre ces mesures mais celles-ci ne vont pas forcément se répercuter dans l'économie telles que souhaitées ou prévues par la Banque centrale ». Le deuxième fait, c'est l'arrimage du franc CFA à l'Euro qui influe sur notre politique monétaire.
En clair : « Quand la Banque centrale européenne (Bce) augmente ses taux, la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (Bceao) d'une certaine mesure est obligée de suivre la tendance », explique Ndonga Samba Sylla, économiste et directeur de la recherche à la Fondation Rosa Luxembourg. L'économiste de rappeler pour expliquer la politique monétaire de la Bceao qui semble bien proche de celle de la Banque centrale européenne, que « depuis juillet 2022, la Banque centrale européenne (Bce) n'a cessé d'augmenter ses taux d'intérêt et la Bceao semble bien s'inscrire dans cette logique ».
Comparativement, « le taux minimum de la Bce est passé de 00% en 2019 à 5% en juillet 2022 et depuis août 2023, le taux est ressorti à 4,25% », a argumenté l'économiste.
Concrètement « quand on est arrimé à une monnaie fixe, on est tenu de suivre la tendance donnée par la banque centrale d'ancrage qui émet la monnaie euro. Et c'est ce que la Bceao fait ».
Selon Ndongo samba Sylla, « les banques centrales ne sont pas les organes les mieux placées pour combattre l'inflation ». Beaucoup de gens pensent que la politique monétaire est un instrument efficace pour lutter contre l'inflation. Ça ne l'est pas. « Parce qu'il y a une inflation tirée par la demande », argumente l'économiste. Cette inflation explique qu'il y a trop de dépenses effectuées par les ménages, l'Etat, les entreprises. D'une certaine manière, toute nouvelle dépense peut créer de l'inflation. Et dans ce cas, la Banque centrale peut se dire que je vais augmenter les taux pour dissuader les crédits.
Lesquels vont faire baisser la demande. Et sous certaines hypothèses, « cette politique monétaire peut marcher », explique M. Sylla. Par ailleurs, l'inflation que l'on a observée partout dans le monde, est une inflation tirée par les coûts. Cette inflation vient de l'offre et non de la demande. Par exemple, l'inflation qu'on a observée au Sénégal et un peu partout dans le monde et ce depuis la pandémie et l'invasion Russe en Ukraine ayant entrainé une guerre qui a joué sur les coûts de certains produits comme le gaz, le pétrole, les céréales entre autres. Donc, « ce type d'inflation, la politique monétaire n'y peut rien », soutient l'économiste.
Concrètement, quand on a une inflation qui est due à l'offre, la politique monétaire n'est pas l'instrument le plus adapté. Autrement dit, ce que les Banques centrales font aujourd'hui, c'est peut-être pour stabiliser leurs taux de change ou pour défendre la parité de l'euro dans le cadre du franc CFA. Mais, ça ne peut pas réduire l'inflation »