Face aux défis de l'emploi et de l'inclusion financière des femmes et des jeunes, le Président Macky Sall a pensé et mis en place, en 2018, la Délégation générale à l'entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (Der/Fj).
Ayant pris les rênes de cette structure il y a un peu plus d'un an, Mame Aby Sèye essaie de consolider les acquis et d'imprimer sa marque pour une Der plus conquérante sur le terrain de la stimulation de l'écosystème entrepreneurial, dans un contexte de recrudescence de l'émigration clandestine. Entretien.
Après cinq années d'activité au service des entrepreneurs, quel bilan faites-vous de l'impact de la Der/Fj sur l'écosystème entrepreneurial au Sénégal ?
Nous avons été investis de la mission de stimuler l'écosystème entrepreneurial, accompagner les initiatives de création d'emplois et créer des solutions aux besoins des populations sur l'ensemble du territoire national. Au cours de nos cinq années d'existence, nos actions ont engendré des changements significatifs dans l'écosystème sénégalais.
Les impacts de nos interventions se manifestent notamment par un tissu économique renforcé, des centaines de milliers d'entrepreneurs formalisés, bancarisés et accompagnés, un accès aux financements démocratisé grâce à des procédures agiles et une contribution à la structuration des chaînes de valeur dans des secteurs clés du Plan Sénégal émergent, tels que l'agriculture, la pêche, l'artisanat, etc.
Plus de 240 000 Sénégalais ont bénéficié de notre accompagnement à travers tout le pays, pour un financement total estimé à 116 milliards de FCfa et l'octroi de plus de 500 000 crédits, dont 80 % ont été accordés aux femmes. Cependant, la demande reste toujours croissante. Cela nous motive à poursuivre la création de partenariats stratégiques pour mieux répondre aux besoins en constante évolution des entrepreneurs du Sénégal.
Vous parlez de plus de 240 000 personnes financées. Quels sont les critères de sélection des projets éligibles aux financements de la Der/Fj ?
La Der/Fj cible des projets à fort potentiel de croissance dans des secteurs prioritaires du Pse comme l'agriculture, le numérique, le tourisme... Les femmes âgées de plus de 18 ans et les hommes de 18 à 40 ans sont éligibles. La localisation du projet est également prise en compte pour une représentation territoriale équitable.
Les projets sont évalués par nos experts sectoriels, sur la base de leur pertinence et de leur viabilité, avec des visites sur le terrain et des entretiens avec les promoteurs. Les personnes vivant avec un handicap bénéficient d'un soutien financier à taux zéro. Les demandes de financement se font au niveau des Pôles emploi et entrepreneuriat dans les 46 départements ou sur notre site lors des appels à projets.
Comment la Der/Fj envisage-t-elle de renforcer son accompagnement non financier pour les entrepreneurs ?
À la Der/Fj, l'accompagnement non financier comprend la formalisation, la formation, l'assistance technique et l'animation de l'écosystème. Nous jugeons nécessaire cet accompagnement pour outiller nos promoteurs à une meilleure gestion de leurs investissements et pérenniser leurs entreprises. Notre Guichet unique de formalisation des entreprises (Gufe) facilite la création d'entreprise en prenant en charge les frais liés à l'enregistrement de celle-ci.
Nos formations couvrent divers domaines allant du management à la finance, avec plus de 12 000 bénéficiaires formés à date. Pour renforcer notre intervention, nous mettons en place des programmes non financiers toujours plus proches de nos bénéficiaires. C'est le cas du programme « Be Yes » qui, en partenariat avec la Fondation Mastercard, offre des espaces d'émulation et des incubateurs pour stimuler la créativité entrepreneuriale dans tout le Sénégal.
Ces approches complémentaires à nos services financiers permettent à nos bénéficiaires d'accéder à des réseaux professionnels, rencontrer des investisseurs, découvrir de nouveaux marchés à travers des missions d'immersion, renforcer leur expertise et développer leur entreprise.
Le Projet d'appui et de valorisation des initiatives entrepreneuriales (Pavie) a été lancé en 2020. Pourriez-vous partager les réalisations clés de ce programme et son rôle dans la promotion de l'entrepreneuriat ?
Le Pavie I, lancé en 2020, en collaboration avec la Bad et l'Afd, est une conséquence de notre stratégie de partenariats à l'effet de lever des ressources pour l'entrepreneuriat. Le programme vise à promouvoir l'auto-emploi et soutenir la croissance des Mpme au Sénégal. Ce programme d'envergure est venu renforcer nos interventions et nous permettre d'atteindre plus de cibles.
C'est à travers le Pavie I que nous contribuons à la structuration des chaînes de valeur dans des secteurs porteurs et que nous avons pu adresser des filières qui étaient peu ou pas exploitées, telles que le lait, l'anacarde, la menuiserie, le cuir, etc. À ce jour, le Pavie I a financé plus de 12 000 initiatives entrepreneuriales pour un montant total de 61 milliards de FCfa. Cette initiative a favorisé la création de près de 65 000 emplois directs et indirects.
Grâce à la formation sur « Métier et Gestion d'entreprise », 1597 personnes ont été formées et 1853 Mpme et Pme ont été immatriculées. Ces résultats encourageants nous mettent dans la perspective du Pavie 2 pour consolider nos acquis et continuer d'accompagner les initiatives entrepreneuriales au Sénégal.
Le nano-crédit est souvent cité comme une innovation marquante de la Der/Fj. Quels sont ses avantages et l'impact qu'il a eu sur les jeunes entrepreneurs ?
Le nano-crédit, une composante du Programme « Xëyu Ndaw Ñi », est une innovation significative de la Der/Fj pour l'autonomisation économique des jeunes entrepreneurs. Adapté aux besoins des populations vulnérables, il offre des opportunités de financements rapides et flexibles en s'appuyant sur l'environnement socioéconomique que sont les marchés traditionnels, les quais de pêche, etc.
Son innovation majeure réside dans un processus entièrement digitalisé permettant des financements et des remboursements via des portefeuilles électroniques. Ce dispositif contribue à créer un historique de crédits à une cible économiquement dynamique et structurée, mais qui était à risque et négligée par les institutions financières traditionnelles.
Ainsi, 157 517 entrepreneurs ont bénéficié du nano-crédit pour un volume de financement de 40 milliards de FCfa, dont plus de 30 milliards de FCfa ont déjà été remboursés. Après trois années de mise en place, nous menons actuellement une évaluation indépendante pour mieux comprendre les effets et les impacts du nano-crédit.
Comment la Der/Fj compte-t-elle contribuer au renforcement des infrastructures de stockage, un élément essentiel pour le développement durable de l'agriculture ?
En agissant sur les chaînes de valeur agricoles, le constat a été que les difficultés d'accès aux marchés sont, en partie, dues aux conditions de conservation des productions. Pour renforcer ce maillon faible, la Der/Fj a lancé un programme de construction de huit unités de stockage dans le nord, le centre et le sud du pays. Cette initiative vise à améliorer la conservation des produits agricoles, réduire les pertes post-récolte, garantir un approvisionnement constant en produits locaux, proposer des produits de qualité et contribuer à renforcer la chaîne de valeur agricole, et donc, la rendre plus prospère et durable.
La territorialisation est un axe important de votre action. Comment la Der/Fj s'assure-t-elle d'atteindre les entrepreneurs dans toutes les régions du Sénégal ?
De Sindian à Goxu Mbacc, de la Médina à Makacolibantang, les interventions de la Der/Fj respectent l'équité territoriale. La Der/Fj accorde une grande importance à la territorialisation de son action. Nous traduisons notre slogan, « À vos côtés, où que vous soyez », par la mise en place d'un réseau de déploiement territorial avec 164 représentants répartis dans les 14 régions et les 46 départements du pays, à travers nos agents dans les Pôles emplois et entrepreneuriat, nos coordonnateurs départementaux et nos agents présents dans les 80 points de nano-crédit.
Ces points focaux agissent comme des relais locaux pour conseiller et guider les entrepreneurs sur le terrain. En outre, nous collaborons étroitement avec les collectivités locales afin d'atteindre efficacement les zones les plus éloignées du Sénégal. Cette approche nous permet de nous imprégner des réalités et des potentialités territoriales, d'assurer une présence et un accompagnement dans toutes les régions et de mettre à disposition et à proximité de nos cibles des personnes à l'écoute et maîtrisant les langues locales pour faciliter et personnaliser leur parcours entrepreneurial.
Face aux défis migratoires, comment la Der/Fj intègre-t-elle sa mission dans le contexte actuel pour encourager les jeunes à investir localement dans leurs projets ?
L'actualité de ces derniers mois requiert une analyse plus profonde dépassant les conjectures. Ce phénomène migratoire s'avère être le résultat de plusieurs facteurs : politique mondiale, changements géopolitiques, aléas climatiques... Autant de facteurs dont les incidences ne sont pas encore complètement maîtrisées. Nous partageons la douleur avec tous nos compatriotes sénégalais et présentons nos condoléances à toutes ces familles affectées. Comme rappelé à l'entame de cet échange, la Der/Fj a été créée face aux défis du chômage.
La problématique donc de donner à nos forces vives les moyens de réussir est la base même de nos interventions dont nous avons parlé. Concrètement, notre soutien vise à créer des opportunités économiques à partir de nos richesses locales -raison pour laquelle nous ne finançons pas la commercialisation de produits importés- à encourager les jeunes à s'inscrire dans des secteurs d'activités primaires et les sédentariser afin de mieux valoriser nos potentiels forts et jeunes.
En parallèle, nous sommes membres du Comité interministériel de lutte contre l'émigration clandestine et contribuons aux stratégies nationales de prévention et de réinsertion des migrants grâce aux cinq ans d'expérience aux côtés de nos bénéficiaires. Le Fonds diaspora de la Der/Fj, qui a été structuré dans une logique de soutien aux Sénégalais de l'étranger pour un retour avec accompagnement et sécurisation des investissements, encourage également le transfert de compétences de la « 15e » région qui attire tant nos jeunes, pour le bénéfice de ceux qui sont restés.
Pour clôturer, quelles sont les perspectives de la Der/Fj, notamment en ce qui concerne le Pavie II et de futurs projets ?
La Der/Fj a bâti un parcours solide de cinq années qui lui a permis de mieux comprendre les attentes des parties prenantes. Et notre quête d'excellence continue. Nous sommes en phase de finalisation du Pavie I tout en travaillant sur la conception du Pavie II. Nous avons entamé le Programme de renforcement de la sécurité alimentaire avec la Coopération luxembourgeoise et nous continuons de travailler à de nouveaux partenariats pour capitaliser des ressources et créer de nouveaux programmes pour toujours mieux accompagner nos compatriotes.
Dans la continuité, le Mohamed Ben Zayid Center, fruit de notre partenariat avec le Fonds Khalifa, prend forme pour devenir un hub régional d'innovation et d'entrepreneuriat en Afrique de l'Ouest. Nous consolidons nos acquis pour élargir notre impact, en restant un instrument clé dans le développement économique au Sénégal, et pour servir d'exemple aux régions voisines qui nous ont déjà approchés pour dupliquer le modèle d'intervention de cette belle initiative du Chef de l'État.