Nombre d'analystes estiment que le secteur de l'écoconstruction connaîtra un développement spectaculaire dans les prochaines années, à Madagascar. Plusieurs raisons justifient ce point de vue : changement climatique, tendance à privilégier les matériaux locaux, montée en puissance des « architectes écologistes »...
L'écoconstruction intègre différents domaines comme l'architecture, la construction, les territoires accueillant les ouvrages, la population et la culture locale et surtout des contraintes légales, économiques, sociologiques, techniques et climatiques qui entourent chaque projet. Le sujet englobe la responsabilité sociétale et environnementale de chaque acteur, allant du commanditaire, architecte, constructeurs, jusqu'aux utilisateurs finaux du bâti, mais impliquant, dès l'amont, de chaque projet toutes les ressources techniques, économiques, culturelles, sociales et naturelles.
À Madagascar, comme dans d'autres pays, l'écoconstruction engage tous les acteurs pour un secteur mieux orienté vers la durabilité. La Grande ile fait, en effet, partie des pays les plus exposés au changement climatique et ses conséquences. Cette situation invite ainsi les autorités et les professionnels à accélérer l'adaptation du secteur de la construction et de l'architecture aux contraintes actuelles.
Mais le cas particulier de Madagascar soulève également la question économique dans le sens où, par tradition, le pays consomme pour le secteur de la construction un certain nombre de produits provenant de ressources naturelles non-renouvelables, notamment le bois de forêt.
Ce qui apporte une pression non négligeable sur la déforestation avancée du pays, à un taux de 75% de forêts disparues, à une grande majorité imputée à la culture sur brûlis. Parallèlement, le pays importe une grande partie des matériaux de construction avec une grande quantité de produits qui ne respectent pas les normes en vigueur, et encore moins les exigences de plus en plus fortes des bâtiments éco-responsables.
A citer l'utilisation excessive de produits chimiques pour le traitement de bois, de métal, et surtout de peinture à composition chimique, sans oublier l'empreinte carbone découlant de la production et des trajets inscrits par la provenance de ces produits (Asie, Moyen-Orient, Europe, ...). Toutefois, malgré un certain nombre de faiblesses, Madagascar voit son secteur de l'écoconstruction gagner progressivement du terrain. Certains prévisionnistes s'attendent même à un boom du secteur dans moins de cinq ans. « Un autre point essentiel qui appelle à l'orientation du secteur vers l'écoconstruction, est l'urbanisation galopante constatée. Antananarivo, la capitale, et plusieurs autres grandes villes sont concernées par cette question.
L'application de divers plans d'urbanisme, dédiés à chaque ville par tous les acteurs, tend à s'améliorer, suivant les projets d'infrastructures de l'État et des acteurs économiques privés, mais le respect pratique de ces plans souffrent d'une pression économique illustrée par les constructions illicites et celles, pourtant autorisées, qui manquent de vision à long terme, notamment concernant la nature des constructions (matériaux, implantation, voirie, accessibilité et impact en termes de flux de mobilité...) et les rejets de ces bâtiments en terme d'assainissement », explique Lova Tovoson, jeune ingénieur en BTP qui est consultant pour un cabinet d'études depuis trois ans.
Début de solution La population d'Antananarivo était de deux cent cinquante-deux mille, en 1960, année où la plupart des infrastructures de la capitale étaient réalisées. Actuellement, la capitale malgache abrite plus de trois millions d'habitants qui utilisent quotidiennement la majorité de ces infrastructures héritées de 1960, avec de petits apports épisodiques comme quelques rues à quatre voies et les routes périphériques qui se sont construites sur 20 ans.
Au milieu de ces infrastructures évoluent des constructions, légales ou illicites, qui mettent une pression énorme en matière de circulation, d'énergie, d'assainissement et de pollution. L'ensemble de cette situation met l'écoconstruction, comme l'une des meilleures solutions, mais appelant à l'implication des pouvoirs publics à réformer les codes d'urbanisme et la législation des constructions. Le but étant de maîtriser de nouveau la croissance des villes à travers les nouvelles constructions et, surtout, de se projeter vers des constructions éco-responsables qui aideront à adoucir les effets de la saturation urbaine et la raréfaction des ressources naturelles.
Dans ce sens, l'option de l'écoconstruction suppose la maîtrise des projets de construction qui intègrent des composants intrinsèques au thème : la gouvernance responsable impliquant des efforts de la part des pouvoirs publics en matière de législation qui vise la durabilité, la performance économique, l'environnement qui engage la lutte contre le changement climatique, l'utilisation optimisée des énergies et des ressources naturelles, la maîtrise des pollutions et le respect de la biodiversité, la qualité de vie.
Mais cette situation a également attiré les professionnels de la construction et les donneurs d'ordre à réagir. Quelques projets privés et des initiatives institutionnelles appuyées par des bailleurs de fonds ont mis l'écoconstruction sous les projecteurs. On citera, entre autres exemples, le Fonds Routier, un organisme public dont le siège à Antananarivo a été conçu par le jeune architecte Rado Rakotoseheno, associé au cabinet Trano Architecture avec l'architecte Joan Razafimaharo.
Ce bâtiment de 1 200m² construit sur deux étages a fait l'objet d'un cahier des charges strict, notamment en matière d'écoconstruction. Des efforts importants ont été mis en oeuvre par les concepteurs et le donneur d'ordre afin de l'orienter vers des objectifs pragmatiques, afin de sensibiliser d'autres initiatives vers ce type de construction. Des panneaux solaires sont ainsi placés sur le site afin de permettre au bâtiment de produire et de consommer de l'électricité pour son usage exclusif, pour l'éclairage, les machines et pour toutes les prises électriques. L'énergie du réseau public de la Jirama prend le relai, la nuit, pour stocker l'énergie accumulée par les batteries.
Ce principe, appelé « on grid », permet de réduire de manière considérable la facture d'électricité du bâtiment, tout en tirant une indépendance progressive de la fourniture au réseau public. Le bâtiment implanté à Alarobia, à Antananarivo, très dynamique en matière de nouvelles constructions (hôtels, commerces, bureaux), est construite avec des briques en terre compressée qui évite la brique cuite artisanale, très polluante à la cuisson, et le béton qui est plus coûteux.
Le climat permet l'installation d'une ventilation naturelle pour l'ensemble de la construction, avec des brise-soleils en façade afin d'atténuer l'ensoleillement intérieur en été. Le cahier des charges prévoit également de récolter les eaux pluviales pour l'usage exclusif du bâtiment. Réalisme et pragmatisme L'heure est ainsi à l'écoconstruction optimale.
L'enjeu est désormais pour les concepteurs et les réalisateurs d'apporter un réalisme et un pragmatisme face à la situation socioéconomique de la Grande ile en matière de construction. Et les projets se multiplient pour convaincre les professionnels du secteur et les autorités que les solutions existent si la législation est cohérente face aux contraintes subies, de surcroît si celles-ci proviennent de la nature et du climat.
Selon les spécialistes, les principes fondamentaux de construction écologique sont reliés à l'utilisation rationnelle et durable des ressources, une bonne balance des équilibres sociaux dans le contexte où l'on construit et une maîtrise du cycle de vie du bâtiment. Il y a aussi une certaine approche pragmatique à maintenir durant tout le processus de construction. Celle-ci n'est pas perceptible dans les grandes démonstrations que l'on publie dans la presse et les concours.
La plupart du temps, les architectes investis dans ces stratégies doivent balancer entre le bon usage des ressources, les besoins du programme et le contexte. Construire en milieu tropical semble présenter des conditions idoines, mais il s'avère que les phénomènes de changements climatiques, les lacunes technologiques et la méconnaissance des donneurs d'ouvrage rendent ces constructions encore rares pour des pays comme Madagascar. L'écoconstruction, sous sa forme la plus épurée, se pratique le plus souvent à l'échelle de l'auto-construction.
Pour l'architecte Joan Razafimaharo, les projets prônant le respect de l'environnement doivent surtout être programmés sous le scope des propriétés structurelles du bâti, de l'assemblage des matériaux à résister sinon à durer le plus longtemps possible nécessitant un entretien minimal et une technicité accessible. Elle ajoute que la diversité et la richesse culturelle des communautés du pays se sont toujours adaptées aux différentes réalités en termes climatiques et paysagers.
« Nous avons d'ailleurs réussi à préserver le pays Zafimaniry par leur culture au Patrimoine de l'Unesco sans connaître entièrement l'étendue de leur savoir-faire dans la maîtrise du bois. Nous ne pouvons pas revendiquer les dernières constructions sur les grands axes et collines malgaches comme possédant des caractéristiques architecturales remarquables. Leur point commun étant d'ailleurs l'absence des techniques et styles intrinsèques malgaches. »
Construction écologique - Miser sur les innovations et les traditions...
Si Madagascar veut voir son secteur de la construction écologique ou écoconstruction se développer sur de bonnes bases, il doit trouver des solutions à ses lacunes dans les innovations technologiques et le déni des traditions locales. « Un constat incontestable quand on sait que le pays dépend complètement de l'importation et de l'utilisation à outrance du béton, en pastichant des façades et des aménagements d'influence étrangère », explique un architecte qui a passé plusieurs années en Amérique. Il déplore « les façades 'mur-rideau' nécessitant des milliers d'euros par an en énergie pour la climatisation qui pullulent surtout dans les villes littorales à climat tropical humide.
Des coins de pays où la ventilation naturelle et principes écologiques ont longtemps dominé même durant la colonisation, mais vite oubliés ». Outre la nécessité d'innover tout en préservant les traditions, il y a également le besoin d'ouvrir une école d'architecture pour assurer la transmission des modes constructifs et l'aménagement et le développement de réflexions qui permettent ainsi leur pérennité et l'innovation. Une réalité que connaît beaucoup de pays en Afrique où le patrimoine disparaît au prix de la modernité.
Or, les lacunes de la pauvreté ne dispensent en rien l'obligation pour la société de continuer à s'épanouir et à promouvoir les pratiques ancestrales à l'exemple de la terre crue devenue un matériau de prestige dans les pays occidentaux, mais peu maîtrisé par les ouvriers et les techniciens locaux. Les professionnels du secteur de la construction soutiennent également que la priorité en matière d'écoconstruction est de faire respecter les textes dont celui qui régit la profession de l'architecture. « Il est fondamental de se lancer dans la rédaction de règlements de construction en cohérence avec les réalités du pays.
Des textes qui établissent de bonnes bases pour des constructions résilients et durables », soutient-on. On plaide, enfin, que l'exemplarité vienne du donneur d'ouvrage privé qui pratique sans conseil et se trouve être le plus grand exploitant de matériaux non durables au pays. « L'exploitation anarchique de sable des rivières et la cuisson de briques qui déciment les forêts en même temps que l'importation à outrance de produits étrangers rendent le secteur difficile à juguler sans cadre normatif. »
L'ECO-CONSTRUCTION EN CHIFFRES
VERBATIM
Joan Razafimaharo, architecte, fondatrice de Trano Architecture
« La terminologie dans le domaine de l'écoconstruction est très vaste. Il y a déjà cette diversité lexicale, mais surtout différentes pratiques pour construire dans les techniques les plus rigoureuses et intégrées. Les principes fondamentaux de construction écologique ou d'écoconstruction sont reliés à l'utilisation rationnelle et durable des ressources, une bonne balance des équilibres sociaux dans le contexte où l'on construit, et une maîtrise du cycle de vie du bâtiment. »
Arthur Besse, fondateur d'Eko Kaza
« Pour nous, l'écoconstruction rime également avec le développement socioéconomique des communautés locales. Ce genre de modèle économique est très important pour les jeunes entrepreneurs malgaches, car cela permet de rajouter beaucoup de valeurs ajoutées, sans apports extérieurs importants. Tout ce que l'on utilise est fait à Madagascar. Cela permet de créer des emplois et des liens sociaux forts. »