Sénégal: Cité Ibrahima Sarr - Le soulagement des familles de cheminots après deux décennies d'incertitude

Thiès — La décision du président de la république d'offrir à titre gracieux plus de 150 logements composant la cité Ibrahima Sarr (ex-Ballabey) aux cheminots qui les occupent, et matérialisée le 24 août dernier par la remise des premiers titres de propriété, a soulagé plus d'une centaine de familles restées une vingtaine d'années dans l'incertitude.

« C'est d'abord une fierté et quelque chose d'extrêmement important, parce que nous allons (dépasser) les moments de séparation très durs entre les familles », dit Ahmadou Sarr, trouvé dans son domicile à la cité Ibrahima Sarr, séparée de la direction des chemins de fer par la route de Fandéne.

Auparavant, après une cohabitation de 10 à 20 ans, le père cheminot devait quitter son logement dans les six mois qui suivaient sa retraite. « Cette séparation était difficile, que celui-là reste à Thiès, rentre au Fouta ou en Casamance. Les enfants étaient les plus touchés par cette situation », indique l'ancien chef de gare de Dakar, puis de Thiès.

« C'est terminé, nous pouvons dire que, sauf volonté expresse d'une famille de vendre sa maison et partir, c'est un voisinage à jamais que seule la mort pourra séparer ». Aujourd'hui, « c'est un sentiment de fierté et de bonheur et de reconnaissance à l'endroit particulièrement du chef de l'Etat qui a accédé à une demande » de longue date, qui anime les habitants de la cité, dit ce syndicaliste.

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Comme s'il avait encore du mal à y croire, il ne cesse de répéter : « cet évènement est formidable ». « Cela veut dire, a-t-il dit, que le Président nous a entendus et nous a répondu de la meilleure manière, au-delà de nos attentes ».

Les cheminots s'attendaient, au meilleur des cas selon lui, à ce que les maisons leur soient cédées à des prix forfaitaires. « Le geste du chef de l'Etat nous est allé droit au coeur », poursuit-il, ajoutant qu'après les dix logements distribués, ils comptent « finaliser très rapidement le reste avec le gouverneur, pour avoir les titres de logement définitifs le plus rapidement possible ».

Un travail de longue haleine

Relevant un « flottement de 4 à 5 logements » entre le rapport du liquidateur, qui faisait état de 160 logements et les 155 recensés sur instruction du gouverneur, il a évoqué la nécessité d'y voir clair, pour savoir s'il y a omission et s'il est possible de la « rectifier rapidement ».

« Si ce n'est pas possible pour le moment, il va falloir s'adresser au chef de l'Etat », poursuit-il, précisant qu'il y a une construction sur laquelle les gens ne s'accordent pas s'il s'agit ou non d'un logement. « L'essentiel pour nous est de savoir ce qui a été retenu et ce qui ne l'a pas été et pourquoi », dit le responsable.

Ahmadou Sarr tient toutefois à souligner que cette décision n'a pas été prise ex-nihilo. C'est le fruit d'un « travail de longue haleine ». Avec la loi de finance de 1993, les chemins de fer avaient diminué leur prise en charge de l'entretien de Ballabey. La cité qui recevait chaque année 140 millions FCA, avait vu sa subvention réduite jusqu'à 40 millions. Les habitants s'étaient organisés pour surveiller leur environnement et essayer de survivre convenablement.

Malgré les difficultés, ils avaient sollicité le Président Abdoulaye Wade pour qu'il leur donne ces logements qui commençaient à être vétustes et dont certains commençaient même à être amortis. Ils s'étaient inspirés d'une action similaire du Président Senghor au profit de cheminots, ou encore du Président Abdou Diouf, qui avait aussi cédé des maisons à des enseignants au quartier 10-ème, ainsi que d'autres sites de chemins de fer.

« On s'est dit : +Pourquoi pas nous ?+ ; c'est de là que l'idée est partie. L'association s'est fait le porte-étendard de cette cause, mais n'avait pas la force de frappe nécessaire. Les organisations syndicales, la plus grande force des chemins de fer, se sont alors saisi de la question.

En 2001, le syndicat du personnel d'encadrement, alors dirigé par Abdoulaye Ndiéguène Ndoye, et qui était affilié à la centrale COGES, pose le problème lors du dépôt du cahier des doléances, à l'occasion de la fête du 1-er mai.

Le chef de l'Etat Abdoulaye Wade donne son accord de principe et suggère que ce point figure parmi les mesures d'accompagnement, en vue de la privatisation des chemins de fer. Des négociations s'étaient tenues dans ce sens les 2, 9 et 13 septembre 2001, entre deux organisations syndicales et les ministères concernés.

Il s'agissait, d'une part, de l'alliance syndicale entre l'UDTS que représentait Ahmadou Sarr, en tant que secrétaire général du Syndicat ferroviaire indépendant et démocratique du Sénégal et la COGES, et d'autre part, de la CNTS et de l'UNSAS, constituées en intersyndicale.

« Je vais traduire en acte concret la volonté de M. le Président de la République », avait assuré le ministre Youssouph Sakho à l'alliance syndicale, raconte Ahmadou Sarr. Cette « fameuse phrase », dans l'entendement des syndicalistes, signifiait qu'il travaillerait à rétrocéder les logements aux cheminots. Le terme avait, par la suite, évolué, passant de « rétrocession » à « cession », relève-t-il.

« Le chef de l'Etat (Macky Sall) est allé plus loin : il nous dit : +je vous donne+. Donc, les logements nous ont été donnés à titre gracieux. C'est l'expression qui figure sur les attestations », relève Sarr.

Ce dossier a « fait du chemin », contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, insiste-t-il, non sans ajouter : « nous avons fait un argumentaire précis, (déposé) des mémorandums qui ont retracé pratiquement tout ce qu'il fallait faire : l'argumentaire, l'historique et la foi qu'on avait en la capacité du Président de la République ».

Tous ces documents avaient été transmis au Président Abdoulaye Wade d'abord, ensuite au Président Macky Sall qui avait pris le relais. Même la Cour des comptes avait fait état en 2011, de cette rétrocession des logements aux habitants de la Cité.

Ahmadou Sarr se remémore les conseils de Alioune Badara Samb, ancien préfet de Thiès et actuel gouverneur de Saint-Louis, après l'accord de principe du Président Wade de donner aux cheminots les logements qu'ils occupaient. Il leur avait suggéré de chercher des documents consacrant cette décision, pour éviter des problèmes à leurs enfants, puisque les bénéficiaires directs étaient « appelés à disparaître ».

En 2014, le chef de l'Etat relance le dossier, en demandant au liquidateur de l'ex-SNCS d'étudier les voies et moyens pour donner les logements aux cheminots sous forme de vente, de location, etc. La conclusion du liquidateur qui proposait des prix contre lesquels les habitations seraient cédées à leurs occupants, n'agréait, cependant, pas aux syndicalistes.

Lors de la privatisation, le repreneur, en faisant le point sur les actifs qu'il pouvait utiliser pour son exploitation, estimait qu'il n'avait pas besoin de la cité Ballabey, qui faisait, dès lors, partie du patrimoine non concédé de l'Etat.

« Il nous fallait ceindre les reins, serrer la ceinture et démultiplier les actions et les contacts et c'est ce que nous avons fait jusqu'à ce que, étape par étape, le Président soit très sensible et dise que les gens avaient assez attendu ». Les habitants devaient, à leur niveau, s'organiser pour recevoir ces habitations. C'est alors que l'Association des habitants de Ballabey a vu le jour, obtenant son récépissé en 2008.

C'est cette année-même de la cité a été érigée en quartier, mentionnée en premier dans le décret créant la commune d'arrondissement de Thiès Est, sur les 70 quartiers, même, si beaucoup continuent à penser qu'elle est toujours une propriété des chemins de fer.

En tant qu'adjoint, Ahmadou Sarr a été porté à la tête de cette structure en 2012, en remplacement du président décédé. La communauté lui a renouvelé sa confiance, avec comme objectif de se battre pour qu'ils aient la cité. L'association fait aussi office de conseil de quartier.

« C'est pourquoi ils n'ont jamais voulu penser à renouveler le bureau. A chaque fois que nous demandions à aller en renouvellement, ils nous disaient : 'écoutez, il ne faut pas nous créer des problèmes, vous êtes là, vous connaissez le dossier plus que tout le monde, continuez ».

Une « légitimité » qui facilite au bureau la mobilisation du quartier à chaque fois que de besoin. Le jour de la remise symbolique des premiers titres aux ayants-droit, tout Ballabey avait répondu présent, se réjouit-il.

Le secrétaire général de l'association, Souleymane Bâ, raconte que les membres de la structure versaient des cotisations mensuelles, pour prendre en charge les problèmes de la cité, qui même si elle recevait l'eau gratuitement à partir d'un forage qui y est installé, et payait des montants symboliques pour le courant qu'elle recevait en industriel, devait supporter d'autres charges. D'ailleurs, ils ont dû par la suite, installer des compteurs électriques.

De décembre 2015 à novembre 2017, le forage de la cité est tombé en panne, du fait d'une pompe défectueuse. Mansour Faye alors ministre de l'Hydraulique, avait demandé à la SONEES de prendre en charge cette question sociale, vu qu'en plus des habitats, Ballabey abrite une école maternelle, une école primaire, un collège, un centre de formation professionnelle et un campus universitaire.

En attendant de remplacer la pompe, la cité était ravitaillée gratuitement en eau chaque jour par des citernes. Quand le ministre avait acheté une pompe à 8 à 9 millions à l'étranger, c'est l'association qui avait déchargé à l'arrivée. La zone était maintenant circonscrite comme appartenant à l'Etat et non aux chemins de fer. Aujourd'hui, même si la cité se plaint d'un réseau de distribution vétuste, elle continue à bénéficier, comme les chemins de fer d'une eau gratuite.

Dans la gestion de ce dossier, le bureau a su faire preuve de diplomatie, de patience, de sagesse et de tact. « Le syndicaliste a deux facettes : il peut négocier diplomatiquement comme il peut négocier vigoureusement. Il y a la force de l'argument et l'argument de la force. Nous, nous avons préféré la force de l'argument », explique Ahmadou Sarr.

D'ailleurs, il ne saurait en être autrement, d'autant plus qu'ils ont été mandatés par des populations « paisibles calmes et sereines » qui ont toujours choisi la voie douce. « Même si nous avons emprunté la voie diplomatique, nous avons utilisé des termes vrais (pour décrire) une situation vraie, que beaucoup avaient oubliée, (et) qu'il fallait remettre en surface », note-t-il. D'ailleurs, les cheminots ont fait preuve de « renoncement tacite », à propos des indemnisations auxquelles ils avaient droit au moment du plan social qui a consacré le départ de plus de 200 d'entre eux.

Mansour Faye a certainement été sensible à tout cela, en promettant de demander au Président de la République de leur accorder une audience, une fois de retour de voyage, comme l'association l'avait sollicité, lors de la remise des titres de logement.

Le secrétaire général de l'association des habitants de la Cité Ballabey Souleymane Bâ raconte que le gouverneur a attiré leur attention sur la portée du geste du chef de l'Etat en ces termes : « est-ce que vous savez ce que le Président a fait pour vous ? il vous a donné les logements et le foncier ».

« Nous tenons à rencontrer le Président de la République, pour lui dire que les habitants de Ballabey sont contents de lui, pour avoir concrétisé une affaire qui était (en latence) depuis des années », dit-il, avant d'ajouter : « nous avons 159 logements ici ». Environ 1.400 personnes vivent dans la cité, y compris les enfants des cheminots, leurs époux et épouses. La cité accueille aussi les pensionnaires des structures scolaires de la cité.

En raison du statut de Ballabey depuis 2008, tout investissement que la municipalité devra y réaliser, devra au préalable, obtenir le consentement de son conseil de quartier, relève M. Sarr. Bien qu'ayant été informé « après coup » par la mairie, le conseil a fermé les yeux sur le poste de santé qu'elle érige dans le quartier, d'autant plus qu'il fait partie d'une liste de huit infrastructures que la cité avait prévues dans ses espaces libres.

Nous avions pensé à un poste de santé, ils nous l'ont amené, il n'y a pas de problème, mais dorénavant pour tout ce qu'ils veulent faire dans notre quartier, qu'ils discutent avec nous », dit Ahmadou Sarr. L'association entend faire part des besoins du quartier aux autorités municipales, pour solliciter leur accompagnement. Elle n'exclut pas, le cas contraire, de mettre à profit ses relations à l'international, dans le cadre du syndicalisme, pour améliorer le cadre de vie.

Le quartier qui regorge de compétences, n'envie aucune autre circonscription, dit-il, relevant que « 80% des travailleurs de la cité sont de l'échelle A dans la fonction publique » et « 80% du reste sont au plafond de l'échelle B », affirme-t-il, soulignant la bonne représentation des cheminots dans les conseils municipaux de Thiès.

Huit sites avaient été identifiés dans la cité, pour construire un poste de santé, un foyer de femmes, une épicerie, un siège social de l'association, un espace de promenade pour personnes âgées, un foyer de jeunes. Il invite la municipalité à les accompagner dans cette planification, plutôt que de prendre des initiatives isolées.

Sarr prévient tous ceux qui ont des visées sur le foncier de Ballabey. Ils n'ont qu'à « déchanter », dit-il, qu'à précisant que l'association a toujours demandé dans ses mémorandums, les logements et l'environnement.

La cité remonte au débuts des années 1900. Après l'inauguration des chemins de fer en 1885, les travaux de la cité devant héberger les cheminots démarrent en 1902. Les deux logements à étage qui accueillaient les célibataires, ont été livrés en 205. En 1920, le premier lot de 9 logements a été terminé, avant qu'en 1928, le reste des habitations soient construit, poursuit Ahmadou Sarr.

Valoriser le sentiment d'appartenance à Ballabey

Les délais d'amortissement de 60 et 80 ans ont été atteints depuis presque les années 90, renseigne-t-il, soulignant le rôle de cheminots dans la sauvegarde de la cité, et qui a été un argument de taille dans les plaidoyers de l'association. "Si personne n'habitait cette cité, elle serait en ce moment tombée en ruines", relève-t-il, soutenant que les cheminots avaient "reconstruit" la cité. Mieux, en plus de l'avoir sauvée du délabrement, ils l'ont embellie et réfectionnée.

« Peut-être le chef de l'Etat s'est dit que ces gens-là sont braves, alors je la leur donne », dit-il en souriant.

Cent-soixante logements de différentes dimensions, dont des constructions en étage, constituent la cité Ibrahima Sarr. L'hôtel du rail actuellement occupé par les étudiants en guise de campus universitaire était le logement des célibataires des chemins de fer.

Ce sont des bâtiments de type colonial, avec des toitures en tuiles. « Nous aurions préféré qu'on conserve ces tuiles », dit Sarr, qui craint que les bénéficiaires ne soient tentés de les transformer pour en faire des maisons à étages, avec le risque de faire disparaître ce style, qui est un « patrimoine extrêmement important ».

Tous ceux qui ont habité cette cité, y compris les Blancs dont les parents travaillaient aux chemins de fer avant l'indépendance, ont encore le « sentiment d'appartenir à Ballabey ». Certains d'entre eux sont revenus voir leur royaume d'enfance. Il raconte avoir rencontré un vieux couple, qui passait devant sa maison, en regardant avec intérêt le bâtiment.

« Ils m'ont salué. Je leur ai dit :' vous avez habité ici ?', Madame est née ici », m'a rétorqué le mari. Il ne se sont pas fait prier quand il leur a proposé de visiter le domicile. La dame racontait comment ils occupaient la maison, se souvenant même de l'endroit où s'asseyait sa mère.

D'anciens habitants sénégalais de la cité certains viennent aussi avec leurs enfants pour la leur faire découvrir. Comme cette famille Guèye maintenant basée aux Etats-Unis qui sont venus chez lui. L'un d'entre eux est un artiste. Chacun aimerait revisiter son royaume d'enfance, et le fait qu'il reste en l'état vous donne cette possibilité.

Il ne manque pas d'idées pour valoriser ce lien que peut constituer Ballabey entre plusieurs générations. Il évoque par exemple une journée dédiée aux anciens habitants. Ce serait, à travers ce que les Bambaras appellent le Jatigui, une occasion de permettre à ces derniers de visiter le quartier et de nouer des relations avec les familles occupant la maison où ils ont habité.

Souleymane Bâ magnifie la solidité des constructions, bâties de telle sorte qu'il est difficile de les transformer, avec des murs de 40 cm d'épaisseur. Un jour, raconte-t-il, des maçons qui ont voulu creuser dans le mur, n'y sont arrivés qu'avec un marteau-piqueur. Sarr vante aussi l'architecture de ces résidences. Entre le plafond surélevé - assurant ainsi une bonne aération du bâtiment - et la toiture en tuiles, il y a un grenier, explique-t-il, non sans ajouter les bâtisseurs de ces maisons ont "vraiment bien travaillé".

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