Burkina Faso: Autonomisation des femmes handicapées - Une coopérative redonne l'espoir

12 Septembre 2023

A Bobo-Dioulasso, dans la région des Hauts-Bassins, des femmes handicapées, majoritairement malvoyantes, ont créé « La coopérative des handicapées espoir des Hauts-Bassins ». Evoluant dans le business de la mode locale, ces femmes ont entamé, un processus d'autonomisation qui impacte positivement leur vie et celle de leurs proches. En se tournant vers l'auto- emploi, elles créent les conditions pour se préserver de l'isolement et du chômage qui frappent 76% des personnes handicapées, selon les résultats d'une étude nationale multisectorielle sur la situation des personnes handicapées réalisée en 2008.

l est 9 heures, ce jeudi 18 mai 2023 au siège de « La coopérative des handicapées espoir des Hauts-Bassins », située au secteur 31 de la ville de Bobo-Dioulasso. Des femmes, membres de la coopérative, toutes des personnes vivant avec un handicap sont à pied-d'oeuvre pour leurs tâches quotidiennes. En dépit de leurs handicaps, les 77 femmes membres de la coopérative tentent de se faire une place dans le monde du travail. Organisées en petits groupes, certaines tissent des pagnes, tandis que d'autres font de la teinture.

Deux autres groupes, installés à l'entrée principale de la cour d'environ 600 m2, confectionnent des sacs, des chaussures et d'autres articles. Elles ont un seul objectif : satisfaire à tout prix l'un de leurs plus gros clients, Hamidou Ouédraogo venu de la Côte d'Ivoire. Celui-ci a lancé une commande évaluée à plus de 700 000 F CFA. L'ambiance est au rendez-vous. Lorie Nikiema, une handicapée visuelle, la trentaine révolue, manipule avec dextérité sa machine à tisser.

« C'est comme si le bon Dieu m'avait donné une nouvelle famille et un autre souffle de vie. Je passe toutes mes journées ici à travailler. Je suis très contente d'être parmi mes collègues », explique- t-elle, tout sourire. Quelques années auparavant, la souriante dame était dans la tourmente. « J'étais sans formation, sans emploi et sans le moindre sou. Je me sentais isolée », se remémore-t-elle.

Aujourd'hui, cela relève du passé. Lorie a rejoint le groupe des femmes handicapées en 2020, où, elle a acquis de nouvelles connaissances dans plusieurs métiers. Elle tisse, coud des vêtements et fabrique des objets de décoration. « Grâce à ces activités, j'ai un revenu. Ce qui me permet de subvenir à mes besoins. Sans quémander, j'arrive à me soigner et à me vêtir. Je suis celle qui, en quelque sorte, a pris le relais en famille. Je scolarise certains de mes jeunes frères afin qu'ils puissent avoir une meilleure vie », confie-t-elle avec fierté. Grâce à la mode locale dans laquelle Lorie Nikiema et ses camarades évoluent, ces femmes, autrefois délaissées, arrivent à tirer leurs marrons du feu.

A côté de Lorie, sous un autre hangar, Ruth Sanou vient de finir le tissage de plusieurs pagnes et se prépare à rejoindre l'équipe qui confectionne les sacs, les habits et les objets de décoration. Ruth a perdu la vue à l'âge de trois ans. « Une année après mon mariage, mon époux Inoussa Bamogo, lui aussi malvoyant, a perdu son emploi pour des raisons de santé », explique-t-elle. M. Bamogo, travaillait dans la ferme d'un particulier. Mais réduit à l'inactivité par la maladie, son patron a fini par le remercier. Cela a été alors la descente aux enfers.

« Lorsque mon mari a perdu son emploi, c'était très dur pour nous. Nous ne parvenions plus à faire face aux dépenses du foyer, ni même à payer les ordonnances », relate-t-elle un brin triste. Aujourd'hui, une petite lueur d'espoir renait dans la famille. « Tout n'est pas encore rose, vu que mon époux est toujours au chômage. Mais avec mes modestes revenus obtenus à la coopérative, nous arrivons à subvenir à nos petits besoins et scolariser nos deux gamins », poursuit Mme Bamogo, les yeux embués de larmes.

Un rêve d'autonomie

Pourtant, à ses débuts, la coopérative ne présageait pas autant d'espoirs et de succès. Tout est parti de la ferme volonté d'une jeune écolière de 20 ans, Alice Sanou, de rester débout malgré les écueils de la vie. Frappée par un handicap visuel en 2010 alors qu'elle préparait son examen de baccalauréat série D, Alice Sanou a eu l'idée de mettre en place un projet visant à produire ses propres articles grâce au soutien de son père.

Elle sera confrontée plusieurs années durant à des déceptions dans l'achat-vente de pagnes locaux. En 2019, comme par un « coup de chance » le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), lance un programme en faveur des jeunes et des femmes et naturellement, Alice postule. Son projet est retenu et aussitôt s'ensuit une phase de formation "intense" de 6 mois.

La création d'une entreprise au capital de 5 millions de F CFA était également nécessaire. Mais comment mobiliser une telle somme ? « A l'époque, un tel montant était hors de portée. J'ai alors ouvert des actions à raison de 10 000 F CFA par action », raconte Alice Sanou. Après avoir acquis des connaissances dans le domaine de la transformation du textile, la jeune dame songe à fédérer les femmes vivant avec un handicap visuel afin de mutualiser les ressources et mettre en place une organisation. En 2020, l'organisation est donc formalisée au bout d'une grande persévérance.

Le PNUD débloque 2 millions F CFA et la coopérative des femmes handicapées voit ainsi le jour. « Avec cette somme, nous avons acquis nos premiers équipements et commencé la production, puisqu'une année auparavant, nous avions été formées dans le métier de tissage par la direction régionale de l'action sociale », rappelle Mme Sanou. A l'instar des autres membres, la coopérative confère à Alice Sanou une certaine autonomie.

La lycéenne d'antan qui croyait avoir tout perdu à cause de son handicap et de l'arrêt soudain de sa scolarité a aujourd'hui repris confiance en elle. Elle est à présent mariée et mère d'une fille. La coopérative ne profite pas qu'à des femmes handicapées. On y trouve aussi des femmes qui ont fui les attaques terroristes. Manki Sawadogo et sa famille ont quitté, la commune rurale de Doutié, située dans la région des Cascades à la suite d'une incursion d'Hommes armés qui ont intimé l'ordre aux populations de quitter les lieux au plus vite.

Cela fait deux ans qu'elle a trouvé refuge avec sa famille à Bobo-Dioulasso. Au début, pour prendre soin de ses cinq enfants, payer le loyer et soutenir son mari au chômage, Manki faisait la lessive et la vaisselle dans des domiciles de la ville de Sya. « Avec toutes ces charges, le peu d'argent que je gagnais en faisant la lessive et la vaisselle n'arrivait pas à couvrir les dépenses de la maison. Une de mes connaissances m'a alors conduite à la coopérative et les femmes ont bien voulu m'accepter au sein de leur organisation où j'ai appris plusieurs métiers », explique-t-elle.

Un exemple qui fait tache d'huile

Tout comme Manki, elles sont environ une trentaine de femmes déplacées internes à avoir intégrer la coopérative ces dernières années. Pour faciliter leur insertion sociale et soulager leurs souffrances, la direction provinciale en charge de l'action sociale accompagne par moment la coopérative en lui fournissant des vivres.

« Très souvent, ces femmes déplacées internes ont des bébés et nous leur apportons de temps en temps des vivres pour leur permettre de calmer leurs enfants afin que les

mamans puissent mieux se concentrer et suivre les travaux », explique le directeur provincial en charge de l'action sociale du Houet, Issaka Abem. Cette direction fait partie des structures au niveau local qui ont contribué à la mise en place de la coopérative depuis 2019 et continue à l'accompagner.

« Nous avons, par le biais de certains partenaires, formé les premières femmes dans les métiers de tissage, de teinture, de fabrication de sacs. Aujourd'hui, encore, nous organisons la formation des membres sur des périodes de six mois. Nous les appuyons aussi en termes de conseils, d'orientation et de facilitation dans la mise en oeuvre et l'exécution de leurs activités et dans la recherche de partenariat », détaille le directeur provincial.

Avec le soutien de l'action sociale, du conseil régional, du projet "Tuuma" et d'autres organismes internationaux, les femmes handicapées sont devenues des businesswomans. Elles confectionnent des articles divers qu'elles commercialisent et les bénéfices qui en résultent leur permettent de garantir leur autonomie et de soutenir leurs proches. L'initiative a aussi développé un fort sentiment de confiance en elles. Preuve de la dextérité et de la qualité des produits de ces femmes, la coopérative possède des points de vente au Mali, au Togo, au Gabon, au Maroc et au Congo.

Elle participe aussi à plusieurs manifestations culturelles internationales dont le Festival international de Sikasso (FISKO) au Mali et le Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO). Pour le directeur provincial en charge de l'action sociale, la coopérative des femmes handicapées est « un exemple qui fait tache d'huile au niveau de la région et donne envie d'étendre le modèle un peu partout ».

Il en veut pour preuve les récompenses décernées à cette organisation pour magnifier les efforts de ses membres. Le dernier exemple en date étant le prix remporté, le 10 juin 2023 à l'occasion de la IVe édition du concours "femme d'honneur Sodigaz" et qui a permis à la coopérative de bénéficie

r d'un chèque de deux millions CFA avec à la clé une attestation de mérite. En moins de quatre années d'existence, cette organisation féminine a réussi à se faire connaitre sur le plan international et à soutenir près d'une centaine de femmes, autrefois laissées pour compte.

Alice Sanou et ses camarades estiment qu'au sein de l'organisation qu'elles ont mise en place, elles ont trouvé une source de fierté et de dignité dans leur travail, faisant de la structure un espoir pour plusieurs dizaines de famille. A la lumière de ces réussites, la responsable entend développer d'autres initiatives plus ambitieuses afin de faciliter l'insertion sociale d'autres personnes laissées-pour-compte.

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