Dans le cadre de sa campagne «Nos vacances pour l'école», la Cosydep a organisé hier, jeudi 14 septembre, une table ronde autour du thème «L'éducation en contexte de crises : Regards croisés d'experts externes». Philosophes, professeurs d'universités, acteurs de la protection sociale, juristes, environnementalistes, économistes, entre autres, ont indiqué des pistes d'actions préventives et curatives, en vue de garantir le fonctionnement normal des lieux d'éducation et de formation, dans un contexte de crises multiformes. Alors que le Sénégal s'achemine vers une élection présidentielle, le directeur exécutif de la Cosydep, Cheikh Mbow a invité les acteurs politiques à épargner l'école pour qu'on ait une année scolaire apaisée.
Qu'il s'agisse de pandémie, de changements climatiques ou encore d'instabilités politiques, les crises ont des effets néfastes sur les systèmes éducatifs : interruption d'apprentissages, réduction du filet de protection des enfants, amplification des inégalités, entre autres. C'est ce qui motive l'organisation par la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l'éducation (Cosydep) d'une table ronde sur le thème « L'éducation en contexte de crises : Regards croisés d'experts externes » hier, jeudi 14 septembre. L'objectif est de réfléchir sur les crises actuelles et d'anticiper les étapes à venir afin de repenser une politique scolaire qui répondrait à une situation de crise.
Pour l'historien Pr Mbaye Thiam, on n'enseigne pas en situation de crise. « Au Sénégal, on est en train de nous forcer à croire qu'on peut étudier en situation de crise mais ce n'est pas vrai. Donc, il faut déconstruire cette tentative d'inventer derrière des objectifs plus ou moins idéologiques, politiques. Les concepts de crise endémique, cyclique semblent être la norme dans notre société aujourd'hui au point que les militants de l'école, après avoir connu 40 jours de grève, disent : on sauve l'année scolaire mais une année scolaire, on ne la sauve pas, on l'a conduite parce qu'on ne l'a pas paramétrée par hasard », a-t-il fait savoir. L'historien souligne que c'est le système même qui détermine « de manière endogène » les situations de crise.
« Ce sont les acteurs du système qui instruisent la politique de crise à l'intérieur du système », a soutenu Pr Mbaye Thiam. L'historien qui pointe du doigt les acteurs, leur forme d'organisation et leur mode de fonctionnement qui sont devenues « acceptables » dans le système éducatif, poursuit : « Pourquoi on veut faire entrer dans la tête des sénégalais qu'en année électorale, il faut qu'il y ait grève scolaire ? Pourquoi dans ce pays, on aurait peur de nous interroger sur l'impact de nos convictions socio religieuses dans le fonctionnement du calendrier scolaire ? Ce n'est pas normal que les gens ne vont pas à l'école. On est le seul pays au monde qui respecte scrupuleusement les fêtes du calendrier chrétien et les fêtes du calendrier musulman ».
« Enseigner dans les langues du terroir »
Allant plus loin même, Pr Mbaye Thiam pense qu'il faut « inventer » l'école sénégalaise. « Il n'y a pas d'école sénégalaise. Ce qu'on a, ce sont des résidus de l'école de Jules Ferry plus ou moins tropicalisée. Ma conviction intime est que tant qu'on n'enseignera pas dans les langues du terroir, on n'a pas notre école nationale parce que l'école est d'abord d'extraction historique et culturelle », a-t-il indiqué. Sur l'introduction et l'enseignement en langues locales au Sénégal, l'ancien recteur de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, Pr Abdou Salam Sall embouche la même trompette que le Pr Mbaye Thiam.
Selon lui, il faut commencer l'éducation par la langue du terroir de l'enfant pour le développement des sciences et de la technologie dans l'éducation. « Si on veut que nos enfants soient de bons scientifiques, on commence l'éducation par la langue du terroir pour deux raisons : il y a un capital qu'on a à la maison qu'on doit transposer à l'école mais surtout nos langues utilisent deux systèmes de numération, la base 5 et 10 alors que le système francophone n'utilise qu'une seule base, 10», a-t-il souligné. A l'en croire, « l'expérience prouve que les enfants qui ont fait l'éducation à partir de leur langue de terroir, sont meilleurs non seulement en sciences même en français ».
Toujours, pour le développement des sciences et de la technologie dans l'éducation, l'ancien recteur de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar formule d'autres recommandations. «Il faut qu'à tous les niveaux qu'on ait des enseignants des sciences qualifiés. Dès lors qu'on n'a pas des enseignants qualifiés, il faut rencontrer les capacités des enseignants qui sont dans le système. On peut les former. Il faut rendre disponible sur le web les enseignements de toutes les sciences notamment des mathématiques», a fait savoir Pr Abdou Salam Sall.
« L'Etat est responsable de la mise en oeuvre du droit à l'éducation »
Pour sa part, Pr Amsatou Sidibé, professeur de droit agrégée des universités, l'Etat, la famille et la société civile doivent jouer chacun son rôle pour assurer le droit à l'éducation à l'enfant. « Il faut que l'Etat soit conscient qu'il est le principal responsable et qu'il est redevable. On ne peut pas avoir une éducation de qualité lorsque dans la famille même, on n'est pas suffisamment outillés pour assurer l'éducation de l'enfant. L'enfant naît dans la famille, grandit dans la famille donc l'éducation de base dans la famille est fondamentale », a fait savoir Pr Amsatou Sidibé. Elle ajoute que « le secteur privé doit mettre la main à la pâte par les moyens dont il dispose pour aider les familles, l'école et l'université ». En ce qui concerne la société civile, Pr Amsatou Sow Sidibé souligne qu'elle doit observer et mettre le doigt sur la situation et dénoncer. « La société civile doit être armée pour dire non à toute cette violation du droit à l'éducation », a-t-elle dit.
Selon la Cosydep, les recommandations issues de la table ronde feront l'objet d'un rapport de synthèse qui sera diffusé auprès des décideurs et de tous ceux qui sont intéressés par le suivi. Parmi ces recommandations, il y a aussi la mobilisation des ressources et la protection sociale.