La réalisatrice et écrivaine Laurence est décédée avant-hier nuit. C'est une nouvelle qui est subie tel un couperet par sa surprise et sa tristesse. La Franco-Sénégalaise est une figure notable et attachante de la culture à Dakar.
Laurence Gavron est décédée, dans la nuit du mercredi, à Paris. La nouvelle de la mort de cette cinéaste, journaliste et écrivaine franco-sénégalaise a affligé le Sénégal culturel. Son enterrement est prévu le lundi 18 septembre, informent ses deux enfants dans un post Facebook. « Elle a su se créer un destin peu commun sur plusieurs continents, en plusieurs langues, grâce à ses nombreuses passions, une curiosité et une énergie rares. Elle fut inspirée par beaucoup et en inspirera plus encore. Le monde ne sera plus jamais le même et son souvenir nous aidera à dépasser l'ennui que son absence nous impose. (...) Elle était Parisienne, Dakaroise, New-yorkaise, Juive, Ashkénaze, Sereer, Pulaar. Elle était cinéaste, écrivaine, photographe, gourmande, cultivée, rayonnante », signent ses enfants pour saluer sa mémoire.
« Sérère bu xees », naturalisée Sénégalaise en 2007 et singulière par sa crinière rousse bouclée, était une figure intellectuelle et artistique remarquable à tout point. Son personnage souriant, sympathique, narquois et généreux avait fini par complètement se mêler au quotidien du Sénégal, où elle vivait régulièrement depuis 2002. Elle s'était d'ailleurs aussi bien identifiée à ce pays qu'elle a contribué à fixer sa mémoire à travers le cinéma documentaire. Pour cela, elle a sublimé la tradition orale à travers les portraits de différentes voix et identités remarquables. Elle a ainsi réalisé « Ndiaga Mbaye, Le Maître de la parole » (2001), « Samba Diabaré Samb, Le Gardien du temple » (2006) et « Yandé Codou Sène, La Diva sérère » (2007).
Une décennie avant cette série, elle réalisait « Ninki Nanka, Le Prince de Colobane » (1991) qui dresse le portrait du réalisateur Djibril Diop Mambéty à travers le plateau de tournage de « Hyènes ». Par ces réalisations, Laurence Gavron a présenté au public les intimités de ces modèles, leurs histoires et surtout l'essence de leur art. Ainsi a-t-elle participé à sauvegarder leurs mémoires et à dire des pans importants de notre Histoire. Le cinéma de Laurence Gavron est par ailleurs un hommage aux communautés. En 2000, elle fait le film « Sur les traces des mangeurs de coquillages » sur les amas coquillers des îles du Saloum.
Sociologue des Sénégalais
En 2005, elle signe le poignant « Saudade à Dakar » qui révèle les états d'âme et les divers sourires de la forte communauté capverdienne qui habite la capitale sénégalaise. Après un film sur les rythmes de l'assiko (2008), elle enchaine « Juifs noirs, Les Racines de l'olivier » (2015) et « Si Loin du Vietnam » (2016). Le second est une réelle découverte de la petite population vietnamienne qui fait partie de la figure de Dakar depuis le retour des soldats sénégalais de la guerre vietnamienne.
Laurence Gavron, écrivaine, était également une sociologue des Sénégalais. Sa fascinante compréhension de cette société transpirait dans sa trilogie de romans policiers, notamment dans le premier de la série « Boy Dakar » (2008). Ce livre est une intéressante et charmante radioscopie de nos moeurs. Avec son humour décapant et sa plume enchanteresse, Laurence Gavron expose subtilement nos roueries, nos duplicités, nos croyances ancrées comme fébriles, mais aussi notre humanisme, notre sociabilité et nos faveurs. L'excellent « Fouta Street » (2017), qui réaffirme son intelligence sociale par un exposé de la société Halpulaar en toile de fond, et « Hivernage » (2009) complètent la trilogie littéraire. « Hivernage » devait d'ailleurs être adapté au cinéma, et être ainsi son premier long-métrage fiction. Elle a aussi été auteure du roman « Marabout d'ficelle » (2000). L'oeuvre de Laurence Gavron est aussi et surtout une ode à la liberté, à l'humanité et au libre mouvement spirituel et conditionnel.
Passionnée de cinéma depuis toujours, Laurence Gavron a suivi des études en Lettres modernes, spécialisation Cinématographie. Elle a suivi les cours de l'emblématique Jean Rouch à la Cinémathèque française, vers la fin des années 1970. Elle réalise son tout premier film documentaire avec la télévision allemande en 1979, « Just Like Eddie », qui est un portrait de l'acteur Eddie Constantine. Elle rédige ensuite des critiques de cinéma et divers articles au compte de revues et journaux français, s'ouvrant ainsi les voies du journalisme. Elle était assistante de réalisation sur l'émission « Cinéma, Cinémas » à Antenne 2. Elle travaille comme journaliste et réalisatrice à Antenne 2 (plus tard renommée France 2), où elle met en scène de nombreux sujets, reportages et interviews. Elle a aussi réalisé pour Arte 3 des soirées thématiques : « Ciné-Venise, La Mostra » (1992), « Paris-Berlin Cinéma » (1993) et « Y a pas de problème » pour le cinéma africain (1995).