Sénégal: Un universitaire et un cinéaste saluent l'engagement de Laurence Gavron

Dakar — Le cinéaste sénégalais Mamadou Sellou Diallo et le professeur de lettres Ibrahima Wane saluent l'engagement dans la construction de la mémoire et surtout dans l'appropriation et la transmission de cette dernière dont a fait preuve la cinéaste franco-sénégalaise Laurence Gavron, décédée jeudi dernier à Paris, à l'âge de 68 ans.

Laurence Gavron, inhumée lundi à Bagneux (France), »s'est frayée un chemin avec un engagement éthique d'accompagner et de construire la mémoire", magnifie le premier dans un entretien téléphonique avec l'APS.

Mamadou Sellou Diallo avait animé en mai 2022 une causerie organisée par le Festival du documentaire de Saint-Louis en hommage à Laurence Gavron. Une rétrospective avait alors permis de présenter toute sa filmographie.

Diallo estime que la disparition de Laurence Gavron est "une grande perte", expliquant qu'elle fait partie de ces cinéastes qui travaillent sur les relations sociales.

Plusieurs de ses films ont été dédiés à des "trésors humains vivants", à l'image de "Samba Diabaré Samb, le gardien du temple" (2006) ou encore de "Yandé Codou Sène, la diva Sérère" (2008) et "Ndiaga Mbaye, le maître de la parole" (2004), rappelle Mamadou Sellou Diallo qui enseigne le cinéma à l'université Gaston-Berger de Saint-Louis.

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"Elle s'est frayée un chemin dans ce qui nous lie. Son cinéma est un cinéma de relation, un cinéma humain", analyse-t-il, ajoutant que la réalisatrice franco-sénégalaise, qui a obtenu la nationalité sénégalaise en 2008, a aussi étendu sa curiosité vers des communautés vivant au Sénégal.

Il s'agit de ses films sur les communautés libanaise, cap-verdienne ou encore vietnamienne établies à Dakar avec respectivement les documentaires "Naar bi, loin du Liban" (1999), "Saudade à Dakar" (2005), "Si loin du Vietnam" (2016).

»Laurence Gavron a senti au contact de certaines figures du patrimoine immatériel sénégalais qu'il avait là un gisement important qu'il fallait explorer et permettre aux populations, et surtout, aux nouvelles générations de se l'approprier et permettre au monde de le découvrir. C'est ce qui a produit cette série autour des trésors de la tradition. Elle a vraiment essayé de montrer la richesse et la diversité de la culture sénégalaise et surtout, d'ouvrir les voies de sa transmission aux générations futures », a pour sa part témoigné le professeur de lettres Ibrahima Wane.

»Hyènes », le déclic

Il explique que le déclic de ses films est parti du plateau de tournage du film »Hyènes » (1992) du réalisateur Djibril Diop Mambety, où Laurence Gavron a fait le making off avec "Ninki Nanka, le Prince de Colobane", 1991 - portrait du cinéaste Djibril Diop Mambety- et a rencontré Ndiaga Mbaye. Sur le plateau de tournage du film qu'il dédie à Ndiaga Mbaye, le maître de la parole, elle rencontre Samba Diabaré Samb et Boucounta Ndiaye, selon Wane. Il relève que c'est à partir de là que la cinéaste a senti l'importance de ce patrimoine dont étaient porteur ces personnalités.

»Elle était impressionnée par la figure, la personnalité de Samba Diabaré Samb et les valeurs de dignité, de générosité qu'il chante. (...). Elle a fait Yandé Codou la diva sérère, qui avait été rappelée au-devant de la scène par le centenaire Léopold Sédar Senghor. Elle voulait faire Doudou Ndiaye Coumba Rose mais y à renoncer quand elle a appris qu'un autre réalisateur avait ce projet », fait savoir Wane, professeur de lettres à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD).

Pour Ibrahima Wane, Laurence Gavron a véritablement fait »toute une archéologie du patrimoine » qui, aujourd'hui, est une oeuvre précieuse, parce que toutes ces personnalités ont disparu. Il ajoute que la réalisatrice franco-sénégalaise vivait profondément la culture sénégalaise et »elle se considérait comme une Sérère et en tant que Sérère, elle prenait les Peuls comme ses cousins à plaisanterie à qui elle a consacré une exposition photos et un livre ».

Si les films de Laurence Gavron qui se faisait appeler familièrement "Sérère bou khess" (La Sérère blanche) exhument la mémoire sénégalaise à travers des personnages gardiens des traditions, ses livres campent le décor de Dakar, à l'image de ses polars "Boy Dakar" (Le Masque, 2008), "Hivernage" (Le Masque, 2009) et "Fouta Street" (Le Masque, 2017 - Prix du roman d'aventures 2017).

Son projet de film documentaire sur le fondateur de la revue »Présence Africaine », Alioune Diop, s'inscrit dans cette construction de la mémoire, avait-elle dit à Saint-Louis lors d'une causerie organisée en mai 2022.

Laurence Gavron, née à Paris en 1955, repose au cimetière de Bagneux, conformément à l'annonce faite lundi par ses enfants, Georgia et Nathan Schafer, dans une note émouvante.

Ils espèrent organiser dans les mois à venir une cérémonie à Dakar, ville "qui l'avait adoptée, transformée, sénégalisée", disent-ils, annonçant la projection, à cette occasion, des films dans lesquels elle exprime sa reconnaissance et son amour pour le Sénégal.

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