Congo-Kinshasa: Mboka Kongo - Décolonisation et Renaissance de notre nation. 3° Le système politico-administratif congolais demeure colonial

La colonisation, c'est connu, est un régime d'occupation militaire étrangère d'un territoire d'autrui. Il surfe sur la séparation des personnes séparées à travers le mur racial, Blancs contre Noirs, qu'il a érigé. Pour lui, les Noirs ne peuvent pas se diriger eux-mêmes. Ils sont des enfants qui ont besoin de Maîtres. Même en milieu urbain où elle avait confiné la population soi-disant pour échapper à la malédiction villageoise, le pouvoir restait entre ses mains. La population devait vivre dans les milieux populaires, et les colons en ville, c'est-à-dire dans la ville de la ville, lieu de vie des Blancs.

C'est ce qui explique qu'à Kinshasa, le centre-ville est demeuré le lieu du pouvoir et qu'il soit si interdit aux Congolais jusqu'à ce jour. D'ailleurs une loi régulièrement évoquée stipule que les manifestations de la population sont interdites à la Gombe, le Centre-ville ou la ville, lieu des institutions. La question est donc de savoir si dans ce contexte, on peut parler d'un pouvoir réellement congolais ? En quoi le régime congolais actuel, celui mis en place depuis l'indépendance, est-il différent du régime colonial séparatiste ? Tel est l'objet de ce propos dont le but est de susciter le débat sur notre gestion du pays en sachant qu'il nous appartient et que c'est nous de définir son mode de fonctionnement.

Le journaliste belge François Ryckmans avait mené une enquête auprès des Congolais à l'occasion de quarante ans de l'indépendance. Elle avait révélé que pour les Congolais la période coloniale ne fut guère le paradis qu'elle prétendait être. Loin de là. Au contraire la quasi-totalité des Congolais voulaient s'affranchir de la lourde tutelle coloniale. L'un des épisodes de cette horreur c'était le fameux couvre-feu de 21h à Kinshasa et le no man's land, la zone neutre entre la ville des Blancs et la cité des Noirs ( François Rychmans, 2010, p. 16 ; 43).

En ce qui concerne l'administration et la direction du pays, à l'heure coloniale, la décision politique la concernant, était du ressort de la Belgique et se prenait en petit comité à Bruxelles. C'est auprès du Roi Léopold II, dans sa cour, donc à ses pieds, qu'étaient logées les institutions qui gouvernaient véritablement le pays. Car le Congo sous-occupation belge n'a jamais eu de gouvernement.

Quand l'Etat belge - où se situe vraiment la différence entre la Belgique et son roi concernant le Congo - reprit le Congo à son roi, la décision administrative du pays demeura toujours à Bruxelles auprès du Ministère des colonies. Au Congo, il n'y avait qu'un gouverneur pour ce vaste territoire considéré comme une province belge et 3.208 fonctionnaires parmi lesquels le gouverneur général, les administrateurs territoriaux, les chefs des secteurs jusqu'aux fonctionnaires (Guy Vanthemsche, 2010, 66-67).

L'actuel bâtiment de la fonction publique a été construit au plus près de la résidence du gouverneur général belge qui est l'actuel Palais de la Nation, haut lieu de la décision politique congolaise. Cela veut dire que la structure administrative du Congo devenu indépendant demeure en son état colonial. Et pour le simple citoyen qui observe la scène de loin, le président de la République du Congo, joue la même fonction que le gouverneur général du Congo-belge, vu qu'il travaille dans le même lieu et le même environnement. Or la caractéristique du pouvoir colonial belge au Congo est la non-participation des Congolais, eux-mêmes, à la gestion de leur pays.

Ils sont des spectateurs et non des acteurs. Cela veut dire qu'en réalité, malgré le fait d'avoir acquis l'indépendance, le Congolais lambda ne se considère pas comme acteur dans la gestion politico-administrative de son pays, mais comme un spectateur. C'est d'ailleurs ce qui se remarque dans le rapport qui lie le Congolais avec ses dirigeants, qui qu'ils soient. Il est dans un rapport de Maître à Esclave. Il est toujours à la place du colonisé qu'il fut sous l'administration belge, les dirigeants ayant pris la place qu'occupaient le gouverneur général et son administration coloniale.

Cette considération des citoyens d'assister de loin à la gestion de leur pays est préjudiciable à la bonne marche de celui-ci. Car les dirigeants sont perçus, à leurs yeux, comme des étrangers venus leur confisquer leur pays pour s'en servir à leur seul avantage. Ce sentiment est alimenté par le fait que la plupart des ministères de la République se retrouvent dans le périmètre du Palais de la Nation, lequel est un bâtiment retranché que la population perçoit à peine. Le périmètre est lui-même excentrique par rapport à l'ensemble de la ville et bien plus encore du pays. Or la plupart des démarches administratives importantes doivent s'y dérouler.

C'est par exemple le cas de l'octroi des différents arrêtés ministériels, comme ceux nommant les chefs coutumiers, les arrêtés concernant l'engagement, les nominations, les permutations, la mise en retraite ou la paie des agents de l'Etat, les passeports, les arrêtés judiciaires, ceux sur la gestion des eaux et forêts, etc. Cela veut dire que pour toute démarche administrative importante non seulement tout Kinshasa doit se rabattre vers ce périmètre situé à mille lieux et difficile d'accès, mais surtout que toute la population congolaise quelque soit le lieu où elle se trouve, pour bénéficier des services de l'État, doit se soumettre au même exercice.

On comprend dès lors pourquoi il y a des files interminables devant certains ministères et aussi pourquoi bien de Congolais de Kinshasa doivent partir de chez eux dans les premières heures du matin pour essayer de rejoindre ce haut lieu ; mais aussi pourquoi de nombreux Congolais désertent leurs milieux pendant des mois abandonnant parfois femmes et enfants dans le but d'obtenir tel ou tel document auprès des ministères de la République, de leur propre pays.

Ce n'est pas tout. Le régime administratif et politique du pays est un copier-coller de celui de la colonisation. Depuis l'indépendance de notre pays en 1960 jusqu'à ce jour les nominations et les délimitations des provinces sont celles contenues dans le décret du 07 juillet 1895 qui avait divisé l'E.I.C. en 15 districts appelés « les districts de l'E.I.C. » qui sont : Boma, Banana, Matadi, Cataractes, Stanley pool, Kwango, Équateur, Lac Léopold II, Oubangui, Gangula, Uélé, Aruwimi, Stanleyfalls, Kasaï et Lualaba. Les nouvelles provinces de 1963 n'étaient pas différentes des anciens districts de l'E.I.C. et du Congo-belge, à savoir : Congo-central, Cuvette-centrale, Haut-Congo, Katanga-oriental, Kivu-central, Kwango, Kwilu, Léopoldville, Lomami, Lualaba, Kibali-Ituri, Mai-Ndombe, Maniema, Moyen Congo, Nord-Katanga, Nord-Kivu, Sankuru, Sud-Kasaï, Oubangui, Uélé et Unité-Kasaïenne.

La dernière réforme de 2015 ne fut guère différente. Là, pour les 26 nouvelles provinces, on reprenait exactement les mêmes districts coloniaux et on recommençait encore et encore : Bas-Uélé, Équateur, Haut-Katanga, Haut Lomami, Haut Uélé, Ituri, Kasaï, Kasaï-Oriental, Kwango, Kwilu, Lomami, Lualaba, Lulua, Mai-Ndombe, Mongala, Nord-Ubangi, Sankuru, Sud-Ubangi, Tanganyika, Tshopo, Tshuapa, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema, Kinshasa, Kongo Central. La nomenclature de la plupart de ces provinces est tirée des rivières et non de nos peuples ignorés. Car pour le pouvoir belge qui l'avait adoptée, les rivières congolaises, ce vaste réseau ferroviaire posé là, étaient de loin plus importantes que les populations qui les avaient nommées.

Ce sont ces rivières et leurs noms qui étaient importants et non les peuples qui les avaient nommés. Or c'est cette même nomenclature qui est reprise jusqu'à ce jour au point que de nombreux habitants de nos provinces sont en réalité des habitants des rivières. On parle de Ubangiens, des Sankurois, des Lualabiens, des Mongalois, des Kwilois ou des Kwangolais au détriment des noms ancestraux élogieux de nos peuples millénaires.

Mais il y a pire. Dans une étude sur l'administration territoriale congolaise, Jéthro Kombo Yetilo alerte l'opinion nationale sur le danger de la sous-administration chronique et pathologique que connait le pays suite à l'éloignement de l'Administration par rapport aux administrés ainsi qu'à une mauvaise répartition géographique des effectifs dans l'Administration publique à cause de la centralisation exagérée de la Fonction Publique. Cette situation s'est aggravée avec la loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées.

Cette loi qui s'est ajoutée à la longue série de 500 décrets, lois et ordonnances portant sur l'organisation territoriale du pays depuis la colonisation, a divisé le pays en deux camps ennemis. Il y a d'un côté des Entités Administratives Décentralisées (EAD) dotées de la personnalité juridique tendant vers une autonomie financière (jamais arrivée) et les entités dépourvues de la personnalité juridique. La province, la ville, le territoire et la collectivité sont les heureux élus appartenant au premier groupe tandis que le District, le Groupement, le Village et le Quartier sont les damnés qui se retrouvent dans le second groupe (Jéthro Kombo Yetilo, 2010, p. 105 ss).

Ceci démontre à suffisance le manque d'intérêt que notre administration et notre système politique accordent aux villages et aux quartiers. Et pourtant c'est bien là que vivent la grande majorité de notre population. Il est donc temps de corriger tout cela. Car il n'y a aucune obligation aujourd'hui à poursuivre l'application sans sourciller du régime colonial. Ce pays nous appartient. C'est à nous de lui donner une orientation qui rejoint les aspirations et les attentes de notre peuple.

Professeur Kentey Pini-Pini Nsasay

Université de Bandundu (Uniband) et Institut Africain d'Études Prospectives (Inadep).

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