Le Pr Shanda Tonme trouve injuste la suppression des visas aux étudiants maliens, nigériens et du Burkina Faso. Dans une lettre parvenue ce jour à la rédaction de camer.be, le médiateur universel interpelle le président français.
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Son Excellence Monsieur Emanuel Macron
Président de la République française
Palais de l'Elysée, Paris
Par les bienveillants soins de SEM. L'ambassadeur de France au Cameroun
Ultime et vibrant plaidoyer aux fins de révision de votre décision de supprimer le visa aux étudiants ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger
Excellence Monsieur le Président de la république,
Sujet ordinaire de la nation Camerounaise, citoyen du monde, critique attentif des moindres faits et gestes marquants des jeux et des enjeux du monde et humaniste de l'universel alerte, il est notoire, avec regrets, que je m'exprime plus dans la langue française et consigne ses pensées dans l'écriture presque uniquement cette langue. En conséquence, je revendique explicitement ou implicitement, à tort ou à raison, adroitement ou maladroitement le partage de l'immense patrimoine culturel de votre pays. Ce patrimoine, je le porte et le préserve aux mêmes titres que les autres, et jamais avec une quelconque discrimination en dépit d'un lourd catalogue historique de préjudices, de supplices, de critiques, d'accusations et de querelles.
Monsieur le Président,
Au moment où je me saisis de ma plume pour vous écrire, je mesure la responsabilité qui est la mienne, le sort ambivalent que pourrait connaître non seulement mon audace, mon intégrité physique, morale et même matérielle. J'ai conscience de m'adresser à un grand homme dans le monde, un homme puissant, le président de la France, une grande puissance planétaire et berceau d'une somme d'inventions et de créations qui ont constitué pour l'humanité, des avancées gravées en lettres d'or dans le cahier mémoriel de l'universalité intelligible.
Je me veux honnête, franc, fraternel, sincère et par ailleurs conséquent en révélant ce que la France est en moi, en nous, pour nous et avec nous dans l'histoire et dans le présent. Je l'ai dit et continue de le dire par mes nombreux ouvrages, dont certains mettent spécialement en exergue la contribution de votre pays à la construction du moi actuel. J'ai été étudiant chez vous, chez la France, dans la France, en France, et je suis reparti formé et formaté en plusieurs valeurs, de plusieurs façons, pour travailler à bâtir mon pays, à continuer le monde. Arrivé clandestinement par les voies périlleuses, votre pays m'a offert l'opportunité de survivre et de conquérir les plus hauts lauriers académiques. Ma reconnaissance est sans limites et éternelle.
Si malgré tout cela, jamais je ne me présenterai comme un fils de la France ni comme un citoyen de la France, jamais non plus je ne m'éloignerai de la France tout comme d'ailleurs je ne le ferai par rapport à aucun autre pays, sans travestir ce qui fonde l'universalité et la coexistence des nations, coexistence incontournable dans un monde dorénavant unifié par la technologie et la dissémination des intelligences, soudé par les connaissances et des savoirs.
Monsieur le Président,
Un adage bantou commande à ceux qui sollicitent l'attention du roi, du patriarche ou du chef investi des pouvoirs des bénédictions et commandeur des rites de purification et de réparation, de satisfaire au préalable à tous les protocoles d'usage tels que consacrés par les traditions séculaires. Je me livre donc à vous, je me rends à l'évidence et me soumets à tous les protocoles, obtenant ainsi la garantie de votre écoute, de votre considération et surtout de votre précieuse attention.
Je viens quémander votre permission, en citoyen du monde ordinaire troublé, en Africain fier, mais fragilisé et bouleversé à la fois, par cette triste, curieuse et impensable nouvelle répandue comme la traînée de poudre d'un grand malheur, d'une faute, d'une défaillance, de la chute d'un avion de ligne rempli de passagers de toutes les nations depuis une altitude de dix mille mètres. Je crois raisonnablement être de ceux qui peuvent s'interroger, s'ennuyer, s'embêter et se morfondre à l'annonce d'un événement venant de France, concernant la France, impactant la France. J'ai encore le souvenir de la nuit de ce terrible incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris, et ma précipitation pour déposer dès la levée du jour, mon chèque à l'ambassade France pour sa reconstruction. Vous vérifierez que je suis bien parmi les premiers à avoir fait ce geste, puisque j'ai reçu tout un document officiel à propos, tout un symbole.
Monsieur le Président,
Vous avez décidé, à la suite des incompréhensions somme toute normales dans les relations entre Etats résultant de changement de régime, de punir des étudiants ou plutôt de vous venger sur d'innocents enfants, en leur supprimant le visa d'entrer et de séjour dans votre pays. Je n'ai pas souvenance dans les événements des cinquante dernières années qui ont marqué les rapports entre les nations, d'une telle décision. Même au plus dur de la crise entre le régime révolutionnaire de l'Iran islamique avec les Etats unis, l'exécutif américain n'avait pas osé recourir à une telle mesure. Que reste-t-il de la France si elle devient le premier fossoyeur de sa propre culture et le principal artisan du sabotage de la diffusion des sciences et des techniques par la langue française ? En dépit des crises et des conflits, des guerres chaudes et froides de même que des discordances de toute nature, les triomphes de demain dépendent des sagesses d'aujourd'hui, intégrées par des visionnaires qui savent comprendre qu'aucune situation n'est jamais définitivement perdue ou compromise, et que les animosités d'aujourd'hui préparent sans doute les amicalités plus solides des lendemains.
Monsieur le Président,
Ce qui est en cause dans la relation de l'Afrique avec la France, ne saurait se résumer en une animosité totale ni en un rejet complet assimilable à de la fracture. Ce qui est attendu, c'est une autre manière de se parler et de se considérer, de travailler ensemble et de coopérer en laissant de côté ou en bannissant pour toujours, les doctrines et les idéologies d'infériorisation, de subordination et d'exploitation élaborées et appliquées durant des siècles. Personne ne sortira la France de la carte du monde, et personne n'empêchera un bout de plastique jeté dans la mer à Marseille d'atteindre les côtes africaines. L'élite africaine est composée à plus de 20% de francophiles et l'histoire qui l'a voulu ainsi, ne s'effacera pas d'un coup de crayon vengeur. Le café, la banane, le pétrole et moult autres produits d'Afrique continueront à circuler sur le territoire français, et Air France traversera toujours le ciel africain même sans destination fixe.
Qui eut cru qu'une Rwandaise serait quelques années après les affres du génocide dont on dit la France quelque peu responsable, portée à la tête de l'organisation internationale de la francophonie (OIF) ? Votre décision a-t-elle suffisamment pris en compte le souci de préserver les lauriers contemporains de la diplomatie française, le lancement du dialogue nord-sud à l'avenue Kléber à Paris par Valery Giscard d'Estaing, fondation initiatique et prémonitoire des termes de référence d'un nouvel ordre économique international, le sauvetage de la direction palestinienne et de son chef Yasser Arafat au Liban en 1982 par François Mitterrand, l'opposition ferme contre l'invasion de l'Irak par Jacques Chirac et l'intervention mémorable de Dominique De Villepin à ce sujet au conseil de sécurité de l'ONU ?
Quand vous montrez aujourd'hui ce visage, que doit-on retenir des promesses décomplexées du jeune président de 39 ans arrivant à l'Elysée avec un esprit angélique, et partisan d'une autre relation avec l'Afrique ? Que devrait-on déduire comme conclusion, de l'exercice dans lequel vous avez embarqué l'intellectuel Achille Bembé, jurant et martelant une sorte de refondation et d'abandon des rapports incestueux ? La France aurait-elle perdu le génie de la tolérance, de la justice, de l'égalité et de la fraternité ?
Monsieur le Président,
Comment expliquerez-vous aux prochaines générations, que vous avez renoncé à favoriser la formation sur votre sol, des milliers d'ambassadeurs certains, potentiels promoteurs et défenseurs de la culture française, en fermant les portes de la France académique à des jeunes prodigues qui ont librement choisi la France, la langue française et les valeurs de référence scientifiques et techniques françaises ? Je veux rester confiant que le pouvoir, les prérogatives, et les avantages qu'emporte et consacre la faculté de faire la guerre et de décréter la paix, continuent de guider plutôt positivement les grands dirigeants du monde, pour nous enseigner la retenue et le discernement. Tout un président de la France, la grande France, la France des glorieuses, des Pasteur et autres noms emblématiques, ne s'acharnera pas sur de pauvres enfants déjà en difficulté dans un destin malmené par la nature, par l'histoire et par des rapports des forces dont la substance et les enjeux leur échappent complètement.
Non, Monsieur le Président, Eifel n'aurait jamais réalisé sa merveilleuse tour qui est l'un des monuments les plus visités au monde, s'il avait un seul instant porté en ses entrailles et caché dans ses méninges, la tentation d'exclusion et de chasse aux sorcières. Je veux encore me rassurer que c'est bien le président de la France qui a donné l'ordre, qui a décidé, et je veux mieux, être convaincu que le peuple de France qui s'exprime à travers ses représentants parlementaires, partage la démarche.
Pour tout ce que vous représentez devant le citoyen ordinaire que je suis, la voix de tous ceux qui ont pensé à vous interpeller fraternellement et amicalement, j'implore votre plus profond humanité, afin que vous reveniez sur votre décision, non pas parce que sans la France l'Afrique et ses enfants n'auraient aucune autre alternative, mais parce que l'Afrique sans la France, c'est l'Afrique avec le monde sans une partie du monde, et que la France sans l'Afrique, c'est son destin sans une partie de son destin, un destin incomplet et travesti. Le monde est irrémédiablement solidaire de toutes les causes bonnes et mauvaises, et c'est logiquement à travers le brassage de la jeunesse sans couleurs, ni haines ni rancunes, ni frontières et ni autres subjectivismes, que s'opère cette solidarité.
Auriez-vous consciemment décidé de vous opposer à ce brassage ? Je ne le pense pas. Le destin et les intérêts nationaux de la France, valent bien plus que les rapports mêmes les plus conflictuels qui soient, avec trois nations, avec un continent, avec deux rivages de mer. Et puis, voudrait-on inciter des jeunes coincés dans une vie d'immigré difficile à se révolter contre les autorités de leur pays, que l'histoire nous apprendrait vite que c'est souvent l'inverse qui s'est produit, en l'occurrence l'exacerbation du nationalisme radicalisant chez ces derniers et la précipitation de leur ralliement à la cause de la patrie, vécue dans l'hypothèse d'un complot impérialiste, d'une inacceptable agression.
Je vous remercie d'avance, Excellence Monsieur le Président, pour votre diligente attention, et surtout pour la promptitude avec laquelle, vous accepterez de vous faire violence, afin de revenir sur votre décision.
Ma plus haute considération vous est acquise, témoignage final de fraternité.
Avec l'espoir raisonnable et légitime, de relations pérennes mutuellement respectueuses et mutuellement bénéfiques entre l'Afrique et la France