Congo-Kinshasa: « L'impasse la plus totale » pour les déplacés à Goma

communiqué de presse

Plus d'un million de personnes ont fui les combats liés à la résurgence du groupe armé M23 dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Actuellement, des centaines de milliers d'entre elles vivent dans le dénuement le plus total dans des camps surpeuplés à Goma, chef-lieu de la province, et ses alentours. Claire Magone, directrice générale de MSF, s'y est rendue fin juillet. Dans cet entretien, elle revient sur l'ampleur des besoins, l'état de la mobilisation des acteurs de l'aide et la prévalence des violences sexuelles.

Quelle est la situation dans les camps autour de Goma ?

Les centaines de milliers de personnes qui sont arrivées à Goma à partir de mars 2022 sont dans l'impasse la plus totale. Une série de déplacements les y a amenées et elles n'ont aujourd'hui strictement aucune perspective. L'expression qui revient le plus souvent pour décrire la situation dans les camps, c'est l'indignité de l'accueil. Ce sont des populations livrées à elles-mêmes avec peu d'attention, peu d'assistance et exposées dans tous les sens du terme : aux maladies, à la malnutrition, aux intempéries parce qu'elles vivent dans des abris indignes, mais aussi à toute forme de violence, que la promiscuité extrême favorise.

Les familles s'entassent et survivent comme elles le peuvent dans des camps insalubres et saturés. Les propriétaires de terres autour de Goma refusent de donner accès à des terrains et on attend toujours que l'engagement du gouvernement à mettre à disposition 115 hectares pour les personnes déplacées se concrétise. C'est une impasse faute de perspective, mais c'est aussi une impasse physique, géographique : ce sont des gens qui avaient déjà tout perdu en route, qui ne trouvent rien en arrivant et qui vivent dans un dénuement total.

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En mai, MSF avait lancé l'alerte sur un nombre particulièrement élevé de violences sexuelles. Une récente étude menée dans les camps* révèle que 70 femmes victimes d'agressions sexuelles se présentent chaque jour dans les structures mises en place par MSF. Quel est le constat aujourd'hui?

L'exploitation et les violences sexuelles sont directement alimentées par les conditions de vie et le manque d'assistance. La plupart des femmes déplacées des camps de Goma vivent à la merci d'intrusions dans des abris de fortune composés de feuillage et de bouts de plastique. Nombre d'entre elles se font agresser quand elles vont chercher du bois à l'extérieur des camps ; d'autres sont prises dans des réseaux d'exploitation - dans des « maisons de tolérance » en ville ou à l'intérieur des camps - ou soumises à des formes de chantage sexuel à l'intérieur des camps.

Exemple parlant, les points d'eau - y compris ceux mis en place par MSF - sont utilisés aussi bien par les familles des camps, que par des hommes armés qui peuvent faire croire à une femme qui va chercher de l'eau que ce sont eux qui en conditionnent l'accès.

Avoir conscience du déséquilibre dans la relation entre des femmes qui n'ont rien et des hommes qui détiennent une forme de pouvoir (hommes en armes, mais aussi chefs de blocs dans les camps, recruteurs, soignants, gardiens...) doit nous maintenir en alerte permanente sur des abus de pouvoir qui peuvent être commis par du personnel humanitaire. Il nous faut encourager les femmes à signaler ces abus, renforcer nos mécanismes de prévention et de gestion des cas qui nous remontent, et les sanctionner.

Quel est le discours des autorités et des acteurs de l'aide sur le sujet et comment peut-on faire pour améliorer la protection et la prise en charge des femmes ainsi que leur accès aux soins ?

Il y a un double discours sur la question des violences sexuelles, qui consiste à s'indigner de leur prévalence tout en remettant en cause l'ampleur du phénomène, ou ses déterminants : certains interlocuteurs avancent par exemple que par désoeuvrement ou par « goût de l'argent facile », les femmes font le choix de la prostitution. Or, il n'y a pas de choix possible dans leur situation.

D'autres insinuent que certaines femmes mentent sur le fait qu'elles ont été violées, pour accéder à des services - par exemple pour obtenir un pagne, de la nourriture ou toute autre forme d'aide sociale. Ce sont des arguments misogynes et sexistes contre lesquels nous devons collectivement lutter.

Les services que l'on propose aux femmes s'étendent de l'accès à l'avortement, à la pilule du lendemain, à la prévention et la prise en charge des infections sexuellement transmissibles (IST) et à un soutien psycho-social - des services qui doivent être accessibles à toutes les femmes qui en expriment le besoin, qu'elles aient été victimes ou non de violence sexuelle.

Ces derniers mois, MSF a appelé à plusieurs reprises à une mobilisation des acteurs de l'aide. En juin, les Nations Unies ont classifié la situation dans les provinces d'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en urgence de niveau 3 (L3), permettant une mobilisation rapide et une augmentation de la réponse humanitaire. Quel est l'état de la mobilisation humanitaire actuellement ?

Entre mars et juin, il y a eu une prise de conscience qui s'est opérée de la part des Nations Unies et d'autres acteurs sur le besoin de renforcer l'assistance. Les mécanismes de coordination et l'organisation même du système humanitaire devraient s'améliorer, à la faveur notamment de la relocalisation de personnels expérimentés de Kinshasa vers Goma, au plus près des besoins. Un plan de financement - dont on sait d'ores et déjà qu'il ne sera que partiellement couvert - dédié de 1,5 milliards d'euros, soit 500 millions de plus que le budget initialement prévu pour la RDC, est censé permettre de cibler des actions prioritaires, notamment en matière de sécurité alimentaire, d'accès à l'eau et de prise en charge des victimes de violences sexuelles.

Mais ce début de mobilisation peine encore à se transformer en améliorations tangibles pour les déplacés : qualité des abris, nombre de m2 d'espace de vie par personne, disponibilité des infrastructures d'eau et d'assainissement, quantité d'aide alimentaire... Sur tous ces aspects, l'assistance apportée est bien en deçà des standards minimum formalisés dans le cadre de l'initiative SPHERE : à la fin des années 90, ces standards avaient été fixés par les acteurs humanitaires précisément parce que l'aide apportée aux populations affectées par la crise des Grands Lacs y était jugée indigne !

Quel rôle jouent les autorités congolaises dans cette mobilisation ?

Force est de constater que les préoccupations affichées par les autorités sur le sort des populations déplacées et la nécessité de leur venir en aide sont aujourd'hui des préoccupations de façade. Dans les faits, elles ne facilitent pas l'obtention des visas pour le personnel international, ni les procédures d'approvisionnement ni la coordination des acteurs. Au contraire même, les entraves bureaucratiques et administratives se multiplient.

Dans ce contexte, quelles sont les contraintes et les inquiétudes de MSF ?

La situation des populations déplacées et notre capacité à leur venir en aide est aujourd'hui notre inquiétude majeure. À Goma, la population déplacée est acculée, et dans les zones sous contrôle du M23, où MSF est l'une des rares organisations à continuer à travailler, les populations vivent ballottées par les combats.

Le climat général marqué par l'insécurité n'invite pas à l'optimisme. On peut parler d'une véritable course à l'armement au Nord-Kivu, avec des groupes armés et des jeunes galvanisés par des discours patriotiques et des appels à la mobilisation, et peu d'espoir de désescalade dans le conflit avec le M23. Beaucoup d'observateurs sont inquiets de la possibilité de nouvelles vagues massives de déplacés, notamment si l'avancée du M23 ou des étincelles avec les groupes armés devaient mettre le feu aux poudres à Goma - une ville qui a accueilli en neuf mois plus de 600 000 nouveaux déplacés et qui serait absolument incapable de faire face à un afflux de plusieurs centaines d'autres milliers de déplacés.

* Étude menée entre le 31 juillet et le 5 septembre 2023, dans les sites de Lushagala, Bulengo, Elohim, Shabindu, Rusayo et Kanyaruchinya où MSF intervient.

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