Libye: Le ressentiment monte à Derna contre les responsables politiques

Une semaine après les inondations qui ont tué des milliers de personnes, l'espoir s'amenuise de retrouver des survivants à Derna. Certains proches de disparus ne souhaitent maintenant plus qu'une chose : retrouver leurs corps pour les enterrer. Ce alors que le ressentiment envers les autorités gagne la population.

Cela fait sept jours que cet homme, seul rescapé de sa famille, passe des heures à regarder la mer qui a emporté sa famille. Il a été filmé par un secouriste. Ce dernier nous raconte qu'il n'a même pas osé s'approcher de lui pour lui parler.

Plus le temps passe, plus l'espoir de retrouver des survivants s'amenuise, a admis ce lundi le ministre de la Santé du gouvernement de l'Est libyen, non reconnu par la communauté internationale. D'ailleurs, hier, les secouristes dépêchés sur place par les autorités espagnoles ont déclaré mettre un terme à leurs recherches. En revanche, les efforts se poursuivent pour tenter de retrouver les corps emportés par la mer. Hier, selon un secouriste volontaire travaillant dans la ville, plus de 600 corps ont été repêchés en face de Derna. Selon un secouriste de l'équipe égyptienne, des centaines de familles se sont retrouvées prises au piège dans leur voiture en tentant de fuir le danger.

Chez les rescapés, nombreux sont ceux à souffrir de blessures psychologiques liées à ce qu'ils ont vécu dans la nuit du lundi 11 septembre et du traumatisme lié à la perte de leurs proches. Khalil Qwaider, directeur de la communication à l'hôpital de Benghazi, affirme que l'équipe médicale suit plusieurs cas : « Nous avons de nombreux cas de personnes qui ont perdu l'usage de la parole sous l'effet de l'énorme choc. Certains s'expriment en pleurant, c'est le cas de deux messieurs âgés. Nous avons deux enfants, qui ne parlent plus malgré tous nos efforts et notre soutien psychologique. Il y a aussi le cas d'une fille de 14 ans qui a perdu plusieurs membres de sa famille, et qui n'arrive pas à pleurer. Sa mère prie Dieu pour qu'elle pleure espérant que cela la soulagera. Elle n'y arrive toujours pas. »

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D'autres rescapés de Derna, soignés à l'hôpital de Benghazi, racontent eux, leur douleur, parfois, leur colère. Les premiers secours sont apportés depuis la catastrophe grâce à une mobilisation nationale et internationale, mais plusieurs ONG locales appellent la communauté internationale à envoyer en Libye des spécialistes en psychiatrie.

Colère

Car derrière la peine et la douleur, le choc laisse aujourd'hui la place à une grande colère chez les déplacés et des blessés de Derna qui se trouvent à Benghazi. Les survivants du désastre commencent à peine à réaliser ce qui leur arrive. Et pour eux, ce drame aurait pu être évité. Ils se rappellent la manière dont le pouvoir local les a prévenus. Selon Toufik, un rescapé soigné à Benghazi, ces autorités n'avaient pas pris la mesure du danger et sont responsables :

« Quand j'ai entendu la mise en garde du comité chargé de la protection civile contre une violente tempête venant de la mer, j'ai emmené ma femme et mes enfants chez des cousins qui habitent en hauteur. Je suis revenu dans la ville et j'ai demandé au comité chargé de la protection si ma maison se situait dans une zone dangereuse. Ils m'ont affirmé que non sans penser aux barrages. Je suis alors rentré chez moi. Quant aux membres de ce comité, ils sont tous morts. »

C'est après avoir mis sa famille à l'abri et être rentré chez lui que Toufik a été bloqué dans sa maison par l'eau qui atteignait le plafond. Il s'en est sorti avec des blessures aux pieds et aux bras.

Selon l'Organisation météorologique mondiale qui dépend de l'ONU, « la plupart des victimes auraient pu être évitées ». L'organisation pointe du doigt la désorganisation liée à l'instabilité politique dont souffre la Libye, depuis plusieurs années.

Alors, ces rescapés en appellent au procureur général de la République à Tripoli. Ils ne lui demandent pas seulement d'ouvrir une enquête générale, mais de faire preuve de transparence pour que les responsables soient rapidement traduits en justice.

Cette colère, on l'a notamment entendue aujourd'hui à Derna dans les slogans des manifestants. Des centaines de personnes se sont rassemblées devant la mosquée Assahaba au centre de la ville, pour demander à Aguila Saleh, le chef du Parlement basé à Toubrouk, de démissionner et pour dissoudre le Parlement ainsi que les deux gouvernements. Pour ces manifestants qui se présentent comme « ceux qui restent », les politiques, accusés de corruption, sont perçus comme les responsables de cette catastrophe. Derna a perdu 20% de ses habitants lundi dernier.

Les manifestants en veulent surtout au conseil municipal de la ville et au chef de ce conseil. Celui-ci n'a pas été élu, mais désigné par le chef du Parlement. L'argent dédié à l'entretien des deux barrages n'a jamais été utilisé. Il faut dire que la Libye est en plein chaos depuis 2011. Le pays ne souffre pas seulement de négligence dans la gestion des affaires, mais aussi et surtout d'une corruption endémique.

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