Les déplacés internes ne parviennent pas à scolariser leurs enfants à cause de l'exigence par les établissements scolaires publics du paiement préalable de frais d'Ape (Association des parents d'élèves), deux à trois fois supérieurs... Et ce malgré la volonté du gouvernement de mettre en oeuvre des aides.
L'ambiance de rentrée scolaire 2023-2024 n'est pas gaie chez M. Ngam. Père de nombreux enfants et déplacé interne de la crise anglophone à Bafoussam, il vit à la deuxième Mobil Quartier Haoussa à Bafoussam. La vétusté du bâtiment en terre battue qui l'héberge lui et sa famille saute aux yeux. Les murs en terre battue sont penchés et lézardés à plusieurs endroits. Au salon, aucun meuble, ni aucune table d'étude pour les enfants. Juste quelques chaises en bambou permettent au visiteur de s'asseoir. Il se plaint de ne pas pouvoir scolariser ses deux filles et son garçon.
Malade des yeux depuis quelques années, il dit vivre dans l'indigence totale. « Je n'ai aucune source pour scolariser mes enfants. Il faut payer en moyenne 50.000 Fcfa pour scolariser un enfant dans un établissement public à Bafoussam. Cette somme inclut les frais exigibles par le ministère des enseignements secondaires, les frais de l'Association des parents d'élèves, les frais de dossiers, les frais de photos et autres », explique-t-elle. Et de déplorer : « Ils doivent rester à la maison. Les pouvoirs publics ne font rien pour nous. Je n'ai jamais bénéficié d'une assistance en ma qualité de déplacé. Mes enfants ne vont plus à l'école. Ils n'ont pas à manger. Les services font des recensements fantaisistes. Je n'ai jamais bénéficié du soutien de l'administration ». Joyce Ndum, adolescenteet déplacée interne de la crise anglophone qui vit au quartier Tougang à Bafoussam, se trouve encore à la maison, cinq jours après le début des cours. « Je n'ai personne pour m'envoyer à l'école. J'ai fui la guerre pour me retrouver ici à Bafoussam. Mon père est décédé.
Il a été tué par les forces gouvernementales à Wum », accuse-t-elle. ItaChé, une autre déplacée vit chez sa soeur ainée eu lieu dit Carrefour Explosif à Tocket-Bafoussam. Elle partage le même chagrin. « Je veux bien aller à l'école, mais les conditions ne sont pas réunies », explique-t-elle. Ils sont nombreux les jeunes déplacés qui ne parviennent pas à bénéficier du concours des pouvoirs publics pour jouir de leur droit à l'éducation. Etant donné que la région est dotée de nombreux lycées bilingues où on y enseigne en anglais et en français, les deux langues officielles du Cameroun, et suit parallèlement les programmes des systèmes éducatifs francophone et anglo-saxon.
Prévenir l'exclusion et la marginalisation sociales et culturelles
Selon l'organisation nationale des parents d'élèves du Cameroun, Onaped, dirigée par Augustin Ntchamandé, l'Etat du Cameroun ne semble pas conscient de la souffrance et de la vulnérabilité spécifique des personnes déplacées. Les options de l'Etat sont mises en question dans la gestion des déplacés internes.L'Etat du Cameroun est dénoncé pour avoir violé l'article 13du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce texte dispose : «
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit:
a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous;
b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité... »
«On peut dès lors, interroger le mécanisme de suivi de ces instructions ministérielles. Les autorités administratives de l'Ouest n'ont cessé de rappeler que les déplacés internes jouissent des avantages dans l'opération des inscriptions dans les Lycées et collèges de la région», déplore-t-on au niveau de la Fondation Internationale pour la Paix, les Droits de l'Homme et le Développement(FIPADHD). Car sur le terrain, la réalité est autre... La majorité des chefs d'établissement sont loin de respecter la convention de l'Union africaine sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique.
Son article 3 impose que « les États parties s'engagent à respecter et à assurer le respect de la présente Convention, et tout particulièrement, à : a.s'abstenir de pratiquer, interdire, prévenir le déplacement arbitraire des populations ; b. prévenir l'exclusion et la marginalisation politiques, sociales, culturelles, susceptibles de causer le déplacement de populations ou de personnes en vertu de leur identité, leur religion ou leur opinion politique ; c. respecter et assurer le respect des principes d'humanité et de dignité humaine des personnes déplacées ;d. respecter et assurer le respect et la protection des droits humains des personnes déplacées, y compris un traitement empreint d'humanité, de non discrimination, d'égalité et de protection égale par le droit... »
En ce mois de septembre, période de rentrée scolaire 2023-2024, au Cameroun, de nombreux déplacés renoncent à s'inscrire dans les établissements publics de Yaoundé, Douala, Bafoussam, Foumban, Bangangté et autres, à cause du montant élevé des frais de l'Association des parents d'élèves(Ape) qui sont, dans certains établissements scolaires trois ou deux fois supérieurs aux frais exigibles par le Minesec. Au lycée bilingue de Baleng dans la commune de Bafoussam IIeme par exemple, un parent doit débourser 12.000 Fcfa à titre de frais exigibles et 25.000 Fcfa comme frais d'Ape par enfant inscrit au second cycle. Alors que pour un enfant du premier cycle, il doit payer 7.500 de frais exigibles et 25.000 Fcfa de frais d'Ape.
Au lycée bilingue de Ngouaché dans la commune de Bafoussam IIIeme, madame Kankeu, proviseur de cet établissement fait savoir qu'elle respecte les prescriptions ministérielles en matière de traitement des cas des élèves déplacés internes. « Ils sont exemptés des frais exigibles. Mais ils doivent payer des frais de l'Association des parents d'élèves. Les conseillers d'orientation sont là pour leur encadrement et suivi psychologique », explique-t-elle.
Approché par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade), Gaston Kouam, sous-directeur des affaires générales à la délégation régionale du ministère des Enseignements secondaires(Minesec) à l'Ouest assure que tout est mis en oeuvre afin que les mesures édictées par madame le ministre des Enseignements secondaires en faveur des déplacés internes soient respectées dans les établissements publics de la région. Il indique qu'une mission instituée par le délégué régional du ministère des Enseignements secondaires à l'Ouest est à pied d'oeuvre pour sensibiliser et contrôler les responsables des lycées et collèges publics afin de favoriser l'inclusion des élèves déplacés internes.