«L'unité est le gage de notre victoire». Ce voeu pieux de Seydou Guèye, porte-parole de l'Alliance pour la République (APR) ne semble-t-il pas relever des douze travaux d'Hercule, en perspective de l'élection présidentielle du 25 février 2024 ? Pour cause, le mal s'avère tellement profond entre le candidat choisi par le président de la République, Amadou Bâ, pour diriger la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY) et certains de ses camarades, que l'unité présupposée reste, pour beaucoup d'observateurs, une chimère. Conséquence : le réveil pourrait être brutal pour le parti au pouvoir et ses alliés.
Partie à la quête d'un nouveau mandat à la tête du Sénégal qu'elle dirige toutefois depuis bientôt 12 années, l'Alliance pour la République (parti présidentiel) ne semble encore être totalement sortie de ses dissensions internes, malgré la prétendue unité récemment affichée autour de son candidat. Tant les antagonismes et querelles d'égos entre les principaux pontes sont manifestes. Dire d'ailleurs que Amadou Bâ et Abdoulaye Daouda Diallo ne s'apprécient pas serait une tautologie. Souligner que Amadou Bâ et Aly Ngouille Ndiaye ne s'apprécient pas non plus est pire qu'un euphémisme. Soutenir que Mahammed Boun Abdallah Dionne et Amadou Bâ n'iront jamais en vacances ensemble, c'est défoncer à peu-près une porte ouverte. De même, déclarer que Abdoulaye Diouf Sarr gardera toujours en travers la gorge sa défaite à Dakar lors des élections locales face à Barthelémy Toye Dias et que son camp impute à Amadou Bâ, est loin d'être un scoop.
Enfin, c'est un secret de polichinelle d'indiquer qu'Amadou Bâ et El Hadji Mamadou Diao se sont toujours regardés en chiens de faïence. Par conséquent, aucun analyste politique ne devrait s'étonner du scénario digne d'un cinéma, pour ne pas dire kafkaïen, auquel les observateurs sont confrontés depuis plusieurs semaines. Samedi dernier, ADD a décidé de retirer sa candidature et de répondre à l'appel du Président Sall pour, dit-il, «garder leurs relations fraternelles» que des choses de vie ne devraient pas altérer. Toutefois, on aura tous constaté que pas une seule fois, il n'a prononcé le nom de Amadou Bâ. Ni en français encore moins dans les langues locales (wolof et poular). Un oubli délibéré qui en dit long sur les relations jugées exécrables entre les deux apéristes depuis la Direction générale des impôts et domaines jusqu'à leurs retrouvailles dans le gouvernement où chacun cherchait à être devant l'autre dans l'ordre protocolaire. Ce n'est pas pour rien que ADD n'a pas siégé dans le gouvernement de BA.
Le jeu trouble de Macky Sall
Il faut aussi s'interroger sur comment tous ces cadres de l'Alliance pour la République en sont arrivés là. Qu'est-ce qui est à l'origine de ces antagonismes ? On relèvera d'emblée la stratégie du président de la République, Macky Sall, empruntée à son ex-mentor, Abdoulaye Wade : «diviser, pour mieux régner». D'où son refus de structurer l'APR qui ne dispose que d'un seul chef. Tous les autres sont au même pied. D'ailleurs, on entend souvent dans les débats certains scander: «Je n'ai qu'un seul patron, c'est Macky Sall». Une véritable armée mexicaine que le Chef de l'Etat a su manager d'une main de maître. Sans jamais permettre à qui que ce soit d'émerger. C'est ainsi qu'il favorise la bataille du Fouta (Matam) entre Farba Ngom et Harouna Dia.
A Podor, il a su coller à Abdoulaye Daouda Diallo à qui il confie des départements de souveraineté, Dr Cheikh Oumar Anne (Directeur du COUD, puis Ministère de l'Enseignement supérieur et maintenant chef du département de l'éducation nationale). Tout en sachant que le poids électoral de Ndioum est plus important que celui de Bokki Diallobe. Sans occulter Mountaga Sy (maire de Aere Lao) qui drive l'APIX puis le Port. Que dire de Sadel Ndiaye à Mboumba ? A Linguère, pour éteindre les velléités de Aly Ngouille Ndiaye, il lui colle Samba Ndiobene Ka. A Kolda, il a béni Mameboye Diao pour déboulonner Abdoulaye Bibi Baldé. Aujourd'hui, c'est Abdourahmane Baldé (Doura) à qui il revient la lourde tache d'arrêter Mameboye Diao.
Quid de Dakar ? C'est la totale dans la capitale sénégalaise. La stratégique presque « machiavélique » de Macky Sall a fait qu'il quittera le pouvoir sans qu'aucun militant de l'APR ne dirige la mairie de la capitale. Une première dans l'histoire politique du Sénégal. Et pour cause, il y a institué une lutte sans merci entre Amadou Bâ, Mbaye Ndiaye, Abdoulaye Diouf Sarr, Mame Mbaye Niang etc. Et comme le «je t'aime moi non plus» ne suffisait pas, Macky Sall s'enfonce dans une dichotomie révélatrice de son jeu trouble entre «candidat de coeur» et «candidat de raison». Ce qui rendra la coupe pleine.
Conséquence : les oppositions sont tellement frontales entre responsables que l'Apr semble un volcan sous menace constante d'ébullition. Macky. Aujourd'hui, on y assiste avec Macky au jeu de pompier-pyromane. Le président de l'Apr tente par tous les moyens d'éteindre les feux qu'il a lui même allumés. Or, l'effet boomerang est en marche, il sera difficile de stopper les laves sorties de cette irruption volcanique savamment entretenue depuis plus de 11 ans.
Vote sanction
Pendant ce temps, les «Nena Waw» se multiplient dans les réseaux sociaux. Quel homme politique dans la mouvance présidentielle a dit NON à Amadou Bâ ? A l'exception d'Alioune Ngouille et Mameboye Diao. Ses plus farouches adversaires, certains qui ne voulaient même pas voir l'actuel Premier ministre en peinture lui font désormais allégeance. Si jamais Amadou Bâ qui n'est pas né de la dernière pluie pense un seul instant que tout ce beau monde fera tout pour l'envoyer à l'avenue Léopold Sédar Senghor, c'est parce qu'il est un nain politique. Le réveil risque même d'être brutal pour lui. Il devrait plutôt s'attendre à des votes sanction. A tort ou à raison, on l'accuse d'avoir utilisé un tel stratagème contre ses nouveaux «amis» ; particulièrement pour la conquête de Dakar.
D'autres estiment que Amadou Bâ incarne la continuité, le prolongement du pouvoir de Macky Sall. Ce qui n'est pas totalement faux. Surtout au regard de l'implication du Chef de l'Etat pour assurer ses arrières. Cette stratégie visant à contraindre tous les candidats à rentrer dans les rangs, est en marche. Reste maintenant à savoir si elle va se matérialiser dans les urnes au soir du 25 février 2024. Ce challenge est loin, très loin d'être gagné. Le vote étant secret, le jeu reste ouvert, comme cette présidentielle inédite dans l'histoire politique du Sénégal.
Quand l'AFP, le PS, le PIT, la LD deviennent des «partis de contribution»
Dans cette alliance contre-nature qui est en marche, où est-ce qu'il faut situer certains alliés qui soutiennent le président Macky Sall depuis son accession à la Magistrature suprême ? Ce qui est clair, c'est qu'ils ne constituent pas un danger à l'image de ceux qui se qualifient d' «APR Authentique» ou «APR de lait». Et pour cause, ils ont tous abandonné leur raison d'être (conquête du pouvoir) pour devenir des «partis de contribution». Désormais, ils gèrent des strapontins. Macky Sall avait quitté la présidence de l'Assemblée nationale à cause de la loi Sada Ndiaye. Une fois au pouvoir, il l'utilisera pour tenir à carreau le président de l'AFP, jusqu'à ce que ce dernier renonce à briguer la présidence de 2019 et déclare qu'il ne parrainera aucune candidature issue de son parti. Il s'en suivra son clash avec Malick Gakou et on connaît la suite. C'est plus qu'incongru qu'un secrétaire général frappé par la limite d'âge puisse continuer à présider aux destinées d'un parti. Wade, lui, tient à son fauteuil en attendant de voir l'horizon s'éclaircir pour son fils. Quant au PS, il est resté plus dans une guerre fratricide contre l'AFP et la démolition de certains cadres (Khalifa Ababacar Sall et cie) que la reconquête du pouvoir.
Enfin, le PIT et la LD pleurent le dernier des «Mossi» Feu Amath Dansokho et le Jallarbiste en chef, Abdoulaye Bathily. Amadou Bâ peut donc continuer à leur faire miroiter des postes même si ces partis ne sont plus ce qu'ils étaient, jadis. Par conséquent, le Premier ministre et candidat de Macky devrait aussi savoir que 1+1 ne font pas forcément 2 en politique. Le résultat peut même être zéro. Un homme averti en vaut deux !