Après avoir posé le débat en mars dernier autour du thème «Repenser l'Etat de droit et les transitions démocratiques : réinventer la démocratie et l'Etat de droit en Afrique de l'Ouest», Afrikajom Center lance ce mardi 19 septembre, les actes du colloque régional. Les acteurs politiques, les universitaires et les membres de la société civile de toute l'Afrique de l'ouest qui avaient pris part à la rencontre ont diagnostiqué les causes et formulé des recommandations pour la prévention et la résolution des crises multiformes en Afrique de l'Ouest.
En Afrique de l'Ouest, les crises s'accumulent. Entre modifications de Constitution, fraudes électorales, réductions de libertés d'expression et de la presse, violations des droits de l'homme et singulièrement des droits politiques, coups d'Etat militaires, amplification du terrorisme, les éléments explicatifs ne manquent pas.
«Force est de reconnaitre aujourd'hui avec certains théoriciens de la démocratie, l'existence partout dans le monde du déclin de la performance démocratique des élections. C'est une donnée massive et exacerbée en Afrique de l'Ouest, elle est en passe de devenir une réelle menace pour la paix et la stabilité de certains pays : la contestation des résultats des élections ou leur rejet par une des parties est fréquente.
Parfois, elles peuvent aboutir de manière immédiate ou différée à des coups d'Etat militaires (Mali, Guinée, Burkina-Faso), plus près de nous, contestation des élections qui viennent de se dérouler au Nigéria et qui ont permis à un Président d'être élu avec 10% du corps électoral», a déclaré le fondateur d'Afrikajom Center, Alioune Tine. L'ancien président de la Raddho n'en finit pas de révéler les ingrédients des multiples en Afrique de l'Ouest. Il pointe du doigt «le régime présidentialiste exacerbé avec un hyper-président qui concentre entre ses mains tous les autres pouvoirs, du fait d'un pouvoir de nomination sans contrôle qui couvre sans limites toutes les institutions de la République». Sans oublier «la délinquance financière d'une certaine élite à col blanc».
« Les médias de plus en plus capturés par des pouvoirs d'argent »
Sur cette question de la corruption, l'ancienne directrice d'Article 19, Fatou Jagne Senghor pense que les « élites politiques sont dans des situations très inconfortables presque à la limite de la transaction et sont capturées en générale par différentes forces dont la plus importante est la force du pouvoir de l'argent ». Face à ces crises multiformes qui secouent l'Etat de droit et la démocratie en Afrique de l'Ouest, elle engage d'une part la responsabilité des médias. A l'en croire, les médias qui étaient les «remparts qui ont joué un rôle important dans les libéralisations politiques de 1990 qui ont bouleversé le champ démocratique, permis et soutenu les alternances démocratiques, sont de plus en plus capturés par des pouvoirs d'argent qui sont nichés dans les sphères politiques mais aussi par des forces occultes qui ne sont pas transparentes et des forces qui n'ont pas d'agenda démocratique».
Ce qui lui fait dire que «la capture des élites politiques et des médias qui devaient être les sentinelles de la démocratie, constitue ainsi des inquiétudes».
Les jeunes et les femmes «victimes de toutes les violences dont on parle»
Qu'elles soient donc économiques, politiques ou encore sécuritaires, les crises sont, selon le directeur exécutif de Trust Africa, Ebrima Sall, sont des «facteurs de fragilisation et d'instabilité des institutions, et d'aggravation de l'exclusion et la marginalisation des jeunes et des femmes par rapport à la vie économique et à la vie politique du pays». «Cette majorité est également la victime de toutes les violences dont on parle : la pauvreté, la violence, et l'exploitation font légion autour des femmes qui en sont les plus grandes victimes. On a aussi tendance à oublier certaines catégories notamment les populations dites discriminées du fait de leur ascendance ou de leur travail (les anciens esclaves, les gens des castes dites inférieures)», a fait savoir Ebrima Sall.
«Au Sénégal (...), on remarque une stagnation ou une régression depuis 2000»
De l'avis du secrétaire permanent de la Commission d'évaluation et de suivi des politiques et programmes publics à la Présidence de la République, Mor Seck, « le Sénégal est aujourd'hui confronté à des défis majeurs de son histoire». « Si on mesure par des indicateurs le niveau de la démocratie au Sénégal, on remarque une stagnation ou une régression depuis 2000 », a-t-il indiqué. Selon lui, tout ce qui a été dit, tourne autour de la réforme de l'Etat. « Pour garder la crédibilité et la force d'action, il est essentiel d'analyser et de nourrir la confiance des citoyens vis-à-vis de l'État. L'État n'aura pas de capacité réformatrice sans cette confiance et cette crédibilité», a dit Mor Seck.
En effet, à voir ce qui prévaut aujourd'hui dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest, difficile de se laisser porter par toutes les prévisions optimistes dont on parle l'avenir du continent africain. De quoi réfléchir sur des pistes de solutions. Pour sa part, Ebrima Sall pense qu'il est temps de «renégocier le contrat social et de refonder la gouvernance en mettant les jeunes et les femmes au centre du jeu politique». De l'avis de Fatou Jagne Senghor, «dès lors qu'on parle de repenser la démocratie avec les femmes au centre, on doit faire en sorte que ces médias capturés soient libérés».
En effet, la conversation, la discussion et le débat sur la démocratie en Afrique ne devraient pas se tenir sans la jeunesse africaine car cette jeunesse constitue 70% de la population africaine. C'est ce qu'a souligné le directeur NDI, Afrique, Christopher Fomunyoh.
14 recommandations pour la prévention et la résolution des crises multiformes en Afrique de l'Ouest
A l'issue du colloque sur le thème « Repenser l'Etat de droit et les transitions démocratiques : réinventer la démocratie et l'Etat de droit en Afrique de l'Ouest », les spécialistes ont formulé des plusieurs recommandations. Il s'agit d'abord de «promouvoir l'éthique, la garantie de la transparence et la sécurité humaine en liant d'une part la démocratie, l'État de droit et l'économie, mais aussi par l'effectivité des droits sociaux, économiques et culturels par la mobilisation de l'intelligence collective tout en misant sur les richesses endogènes», de «travailler davantage pour garantir l'indépendance de la justice et du pouvoir judiciaire et mettre fin à l'instrumentalisation de la justice à des fins politiques et répressives».
Les experts ont invité à «prévoir dans les Constitutions africaines la possibilité pour le juge constitutionnel d'opérer un contrôle a priori ou préventif de constitutionnalité des lois référendaires avant leur soumission au vote, afin d'éviter les fraudes à la Constitution et à la loi électorale qui font le lit aux troisièmes mandats, source d'instabilité chronique en Afrique » mais aussi « d'inscrire dans les Constitutions la possibilité de destitution des élus qui ne sont plus en phase avec les aspirations et exigences du peuple, à travers des mécanismes de démocratie semi-directe (un vote d'initiative populaire, droit de pétition, droit d'interpellation populaire, référendum local, mandat impératif encadré...) ». Pour prévenir et résoudre les crises multiformes en Afrique de l'Ouest, il a aussi été proposé de « promouvoir l'éducation politique du peuple et des gouvernants, à la citoyenneté active, au patriotisme, au respect de la bonne gouvernance et de l'État de droit par l'institution de l'éducation civique à l'école ».
Concernant la Cedeao, il a été demandé de « renforcer le rôle des Parlements nationaux et de la CEDEAO afin qu'ils se mettent au service de la paix et de la stabilité démocratique », de « faire intégrer dans le Protocole additionnel de la CEDEAO, la règle de la limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs à deux, afin d'épargner les pays des crises et des conflits dans la sous-région». Il a été également question « d'inviter les pays en transition militaire à organiser une transition démocratique encadrée, inclusive et apaisée à travers l'ouverture de l'espace civique, le respect des libertés fondamentales et la libération des détenus politiques». Le renforcement du développement du leadership féminin, la promotion de la forte participation des jeunes à la délibération publique, le renforcement de la formation des organisations de la société civile à une citoyenneté africaine républicaine, patriotique, capacitaire et responsable font, entre autres, partie les recommandations.