Les États membres du Conseil des droits de l'homme (CDH) des Nations unies doivent renouveler le mandat de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie (ICHREE) et permettre que le pays continue à être soumis à l'examen des institutions internationales, a déclaré Amnesty International lundi 18 septembre, alors que la commission publie un rapport alarmant sur les atteintes aux droits humains commises dans le cadre du conflit.
Le rapport de cette commission, rendu public le 18 septembre, porte sur le conflit armé sévissant dans la région du Tigré depuis novembre 2020, qui s'est ensuite étendu aux régions Amhara et Afar. Ce document aborde également le fait que les violations et abus des droits humains sont de plus en plus fréquents dans le pays, en particulier dans les régions Oromia et Amhara, ajoutant que les hostilités en Éthiopie se sont intensifiées au point de prendre une ampleur nationale.
Le rapport conclut également que le gouvernement éthiopien n'a pas enquêté de manière efficace sur les violations, et pointe les défaillances du processus de consultation qu'il a lancé sur la justice transitionnelle, en relation avec le conflit armé qui afflige le nord de l'Éthiopie depuis novembre 2020.
Le rapport le plus récent de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie adresse une mise en garde claire : ce n'est pas le moment pour l'ONU de réduire le niveau des exigences en matière d'obligation de rendre des comptes en ÉthiopieTigere Chagutah, directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe
« Le rapport le plus récent de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie adresse une mise en garde claire : ce n'est pas le moment pour l'ONU de réduire le niveau des exigences en matière d'obligation de rendre des comptes en Éthiopie. Les violations graves et persistantes des droits humains et la crise en cours dans la région Amhara montrent que l'Éthiopie est au bord d'un dangereux précipice. Limiter la portée de l'examen de la situation maintenant reviendrait à renforcer l'impunité et à abandonner les victimes de violations odieuses, et créerait un précédent fâcheux pour la capacité des Nations unies à assurer un suivi approfondi des crises des droits humains dans d'autres parties du monde », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.
Le sort de l'ICHREE - seul mécanisme d'enquête encore indépendant et crédible sur l'Éthiopie - sera décidé lors de la 54e session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, qui se tient actuellement.
L'ICHREE a été créée en vertu d'une résolution menée par l'Union européenne (UE), mais il n'y a eu à ce jour aucun signal clair d'une résolution visant à renouveler cette commission, ce qui jette le doute sur l'avenir de cet organe d'enquête et de l'examen international sur l'Éthiopie. Le 14 septembre, l'ambassadeur de l'UE en Éthiopie a partagé un message sur X - anciennement Twitter - faisant référence au point 10 de l'ordre du jour du Conseil des droits de l'homme, qui prévoit un niveau inférieur d'engagement de la part de l'ONU, se concentrant sur l'assistance technique, qui risque de laisser peu de place à la poursuite du mandat de l'ICHREE.
« L'UE et ses États membres doivent soutenir une résolution qui maintient le mandat de l'ICHREE, conformément à leur engagement déclaré en faveur de la justice et de l'établissement des responsabilités en Éthiopie. L'ICHREE est essentielle au suivi international de la crise actuelle en Éthiopie. Il s'agit également d'un important mécanisme d'alerte précoce qui soutient la capacité des Nations unies à prévenir de nouvelles violations et une crise des droits humains dans le pays », a déclaré Tigere Chagutah.
L'UE et ses États membres doivent soutenir une résolution qui maintient le mandat de l'ICHREE, conformément à leur engagement déclaré en faveur de la justice et de l'établissement des responsabilités en ÉthiopieTigere Chagutah
« Le rôle de supervision internationale joué par la Commission est crucial afin de préserver les initiatives africaines de résolution des crises en Éthiopie, tant pour l'accord de cessation des hostilités que pour d'autres initiatives en Oromia, ainsi que pour la stabilité régionale. Les États africains membres du Conseil des droits de l'homme devraient soutenir le mandat de l'ICHREE », a ajouté Tigere Chagutah.
Une dangereuse escalade des violations des droits humains
Le rapport de l'ICHREE a été rendu public avant le débat sur l'Éthiopie devant se tenir lors de la 54e session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le 21 septembre. L'ICHREE déclare avoir des raisons de penser que les forces de défense nationales éthiopiennes, les forces de défense érythréennes et les forces spéciales régionales alliées ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dans le cadre du conflit armé en cours dans la région du Tigré. Le rapport indique également que des combattants tigréens et alliés ont commis des crimes de guerre dans les régions Afar et Amhara, dans le contexte de ce même conflit armé dans le nord de l'Éthiopie.
Le rapport conclut que « la situation actuelle à travers le pays continue de présenter les signes d'un risque élevé de futures atrocités ». Selon les conclusions d'Amnesty International elle-même, de graves violations des droits humains ont persisté même après la signature d'un accord de paix pour la région. Amnesty International est par ailleurs préoccupée par les informations faisant état de violations flagrantes des droits humains dans le contexte de la crise actuelle dans la région Amhara.
« Les graves violations des droits humains ne se limitent plus à la région du Tigré. Ces derniers mois, elles se sont intensifiées dans d'autres régions du pays. Amnesty International partage le point de vue selon lequel il existe un risque très réel que les violations des droits humains s'aggravent dangereusement dans le pays en raison de la dynamique de crise émergente dans la région Amhara - il est essentiel que le Conseil des droits de l'homme prenne des mesures claires pour maintenir et renforcer l'obligation de rendre des comptes en Éthiopie », a déclaré Tigere Chagutah
Complément d'information
Le Conseil des droits de l'homme a créé l'ICHREE le 17 décembre 2021, la chargeant de mener des enquêtes sur les allégations de violations et d'abus du droit international relatif aux droits humains, du droit international humanitaire et du droit international relatif aux réfugiés en Éthiopie commises depuis le 3 novembre 2020 par toutes les parties au conflit.
La commission a publié son premier rapport l'année dernière ; le CDH a ensuite renouvelé le mandat de l'ICHREE pour une année supplémentaire.
Dans son dernier rapport en date, la commission a enquêté et confirmé 54 cas distincts de massacres perpétrés par les Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF) et les forces de défense érythréennes (EDF) dans la région du Tigré, en Éthiopie. Le rapport révèle également que les massacres dans la région du Tigré se sont produits « dans le contexte d'un siège, au cours duquel les ENDF et les EDF ont délibérément interrompu l'approvisionnement en nourriture et en médicaments, et suspendu certains services essentiels, notamment les banques, les télécommunications, l'électricité et le commerce. »
Le rapport montre aussi que les violences sexuelles et fondées sur le genre, principalement des viols collectifs et des situations d'esclavage sexuel visant des femmes et des jeunes filles, se poursuivent dans les régions du pays touchées par le conflit.
Cette conclusion est conforme à celle du dernier rapport d'Amnesty International consacré à des crimes relevant du droit international et violations des droits humains récents, intitulé « Tôt ou tard, ils devront être traduits en justice ». Viols, esclavage sexuel, exécutions extrajudiciaires et pillage par les forces érythréennes dans le Tigré.