Dakar — L'enseignante-chercheuse Binette Ndiaye Mbengue, coordonnatrice du Forum citoyen, propose de renforcer les institutions anticorruption du Sénégal par la mise en place d"'un système de garanties et de garde-fous" et le recours à la "sanction" contre les personnes coupables de faits de corruption.
"C'est tout un système de garanties et de garde-fous qu'il faut mettre en place pour s'assurer que les institutions et les organismes publics rendent des comptes et garantissent le respect des principes fondamentaux contenus dans la loi et la Constitution", a préconisé Mme Mbengue.
Elle intervenait à la présentation des actes d'un colloque du centre de recherche Afrikajom, basé à Dakar.
"Il faut instaurer une administration qui a peur de la sanction. Si les gens n'ont pas peur de la sanction, la corruption continuera à faire bon ménage avec nous", a-t-elle prévenu en animant un panel sur la corruption en Afrique de l'Ouest et l'impunité des crimes économiques et financiers.
Binette Ndiaye Mbengue relève que "depuis 2012, on nous parle de transparence et de gouvernance sobre et vertueuse", mais qu"'il a fallu attendre 2020 pour que le Sénégal puisse se doter d'une stratégie nationale de lutte contre la corruption, qui n'est même pas encore opérationnelle".
Elle propose aussi que soient créés des "organes de répression de la corruption", aux côtés du futur Parquet national financier et d'autres institutions anticorruption du pays.
L'existence d"'une presse libre et indépendante" peut aider aussi à éradiquer la corruption ou à réduire son ampleur, selon Mme Mbengue.
En expliquant comment ce fléau prospère au Sénégal et dans d'autres pays ouest-africains, elle signale qu'elle gagne du terrain à cause de la conception "patrimoniale" du pouvoir dans le continent.
"La confusion entre le pouvoir et la richesse privée" favorise la corruption, a dit l'enseignante-chercheuse, expliquant que le "patrimonialisme" du pouvoir en Afrique "se manifeste par la présence accrue de la famille au sein de la sphère de l'État", ce qu"'on [...] a connu au Sénégal".
"Il y a aussi le copinage. Les copains avec lesquels on a partagé la chambre universitaire sont associés à la gestion de l'État par ceux qui sont au pouvoir. Il y a l'ethnicisme aussi", a analysé Binette Ndiaye Mbengue.
Au Sénégal, "sur le plan social, on a tendance à légitimer certaines pratiques corruptives", a-t-elle signalé, estimant que, au niveau institutionnel, "nous avons la faiblesse des mécanismes de contrôle et de reddition des comptes".
"Nous avons plusieurs organes [...] chargés de lutter contre la corruption [...] Ces organes comportent souvent des tares congénitales à cause desquelles ils ne peuvent pas fonctionner correctement", a relevé la coordonnatrice du Forum citoyen, une organisation de la société civile.
"Dans le contexte africain, les gens mettent l'accent sur la pauvreté en estimant qu'elle favorise la corruption. La faiblesse des salaires de la fonction publique est également considérée comme un facteur de corruption, même si elle ne peut pas la justifier."
Elle est d'avis que "la politisation de l'administration" est un facteur de corruption.
Promouvoir "le culte de l'exemplarité"
"Aujourd'hui, nous avons une administration hyperpolitisée. On considère qu'il faut passer par la politique pour accéder aux fonctions administratives [...] L'accès aux ressources publiques est garanti par la politique. Il faut être de connivence avec les acteurs politiques pour y accéder", a souligné Mme Mbengue en parlant des causes de la corruption.
S'agissant des remèdes, elle appelle à promouvoir "le culte de l'exemplarité".
"Dans l'imaginaire populaire, nous avons beaucoup de références corruptives. Malheureusement, cette corruption est [...] banalisée. On entend souvent dire 'Kuy xalam di ca jaayu', 'Ku am kuddu du lakk"', a fait remarquer l'enseignante-chercheuse.
Ces dictons wolofs laissent entendre qu'il est bien judicieux d'utiliser le bien public à son profit exclusif.
"Les relations familiales sont médiatisées au nom de l'argent. Pour tenir son rang dans la société, il faut se distinguer par ses largesses, à l'occasion des cérémonies familiales notamment. On fait tout 'sous le haut parrainage' ou 'sous le haut patronage"' de ceux à qui sont confiés les biens publics, a relevé Binette Ndiaye Mbengue.
"Tout détenteur d'un poste juteux qui n'en profite pas est considéré comme un fou. On vous dit 'Sa ndey a ko liggéey (c'est le fruit du travail de votre maman)", a-t-elle souligné en expliquant comment la corruption prospère au Sénégal.
Mme Mbengue estime que "les interventions politiques et religieuses [...] ont tendance à déresponsabiliser le fonctionnaire". "Ce dernier prend une décision aujourd'hui, un politicien ou un chef religieux intervient et fait suspendre sa décision."
"On dit aussi que les cadeaux ne se refusent pas, ce qui légitime la corruption", a-t-elle dit.