Dakar — L'opportunité des poursuites judiciaires et la gestion de la carrière des magistrats du siège par le pouvoir exécutif sont les mécanismes avec lesquels le pouvoir exécutif affaiblit le pouvoir judiciaire au Sénégal, a relevé l'enseignant-chercheur Papa Fara Diallo, mardi, à Dakar.
"Au Sénégal, il y a deux facteurs d'affaiblissement de la justice. Le premier, c'est l'opportunité des poursuites, qui dépend de la volonté du ministre de la Justice [...] En réalité, le procureur de la République n'est pas le maître des poursuites, c'est plutôt le ministre de la Justice, lequel relève du pouvoir exécutif", a souligné M. Diallo, chef du département de science politique de l'université Gaston-Berger (UGB) de Saint-Louis (nord).
"Le second facteur d'affaiblissement du fonctionnement de la justice, c'est la gestion de la carrière des magistrats du siège par le pouvoir exécutif. C'est également une immixtion du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Ça fragilise l'institution judiciaire", a-t-il soutenu.
Papa Fara Diallo intervenait à la présentation des actes d'un colloque d'Afrikajom Center, un centre de recherche sur l'État de droit et la démocratie en Afrique de l'Ouest, basé à Dakar.
Pour montrer comment le pouvoir exécutif domine le pouvoir judiciaire au Sénégal, il a donné en exemple le limogeage du procureur de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao, il y a quelques années.
Selon M. Diallo, ce magistrat voulait mener des poursuites judiciaires contre 25 personnalités du régime d'Abdoulaye Wade, tandis que sa tutelle ne voulait pas que certaines d'entre elles soient inquiétées.
"On a limogé un procureur parce qu'il voulait poursuivre 25 personnalités du précédent régime, qui figuraient sur une liste qu'on lui avait déjà remise", a-t-il dit en animant un panel d'Afrikajom Center sur "l'indépendance de la justice et le jeu institutionnel".
Une "justice libre et indépendante" est l'un des piliers de la démocratie et de l'État de droit, a-t-il rappelé.
"Lorsque les institutions s'effondrent, la justice est l'ultime recours du citoyen. Malheureusement, ce pouvoir judiciaire s'écrase sous le poids du pouvoir exécutif", a ajouté l'enseignant-chercheur en parlant du fonctionnement du pouvoir judiciaire dans plusieurs pays d'Afrique.
La démocratie repose sur "deux exigences fondamentales et indissociables", a poursuivi M. Diallo en énumérant "l'approfondissement de l'État de droit et la garantie des droits fondamentaux et des libertés publiques".
"Dans une démocratie, lorsque tout s'effondre, l'ultime recours du citoyen, c'est une justice libre et indépendante. Malheureusement, dans nos pays, c'est souvent l'institution judiciaire qui est en crise. Elle n'est pas en crise par elle-même, on la met en crise", a analysé le chef du département de science politique de l'UGB.
Il considère les immixtions du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire comme "une pathologie de la démocratie au Sénégal et dans d'autres pays".
Pourtant, rappellent Papa Fara Diallo et d'autres participants, les assises nationales organisées au Sénégal en 2008 et 2009 avaient proposé des solutions à la domination qu'exerce le pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.
"Hypertrophie du pouvoir exécutif"
Selon M. Diallo, l'accès à la justice est un pilier de l'État de droit et de la démocratie.
Ce droit est restreint par l'État du Sénégal, "l'un des rares pays africains qui n'ont pas reconnu la compétence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples".
L'enseignant-chercheur rappelle "que la première décision rendue par la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a été une décision d'incompétence, qui a été prise lorsqu'un citoyen sénégalais l'a saisie pour violation de ses droits".
"Et la Cour a dit qu'elle ne pouvait pas trancher le litige parce que le Sénégal ne reconnaît pas sa compétence", a-t-il expliqué, rappelant que le Bénin et la Côte d'Ivoire ont annulé leur reconnaissance de cette juridiction africaine lorsqu'elle a tranché des affaires judiciaires en faveur d'opposants aux pouvoirs en place dans les deux pays.
"Le jeu des institutions en général, dans les démocraties africaines, est défavorable à l'institution judicaire, d'où l'hypertrophie du pouvoir exécutif, qui écrase les autres institutions", a résumé M. Diallo.