Afrique: Migrants - L'île de Lampedusa sous la loupe de réseaux sociaux

Les garde-côtes aident une femme à descendre d'un bateau arrivant à Lampedusa (photo d'archives).

En quelques jours, la vague d'arrivées de migrants qu'a connue la petite île italienne de Lampedusa a déchainé les passions : symbole d'une « submersion migratoire » pour l'extrême droite européenne, cet épisode est venu aussi rappeler l'urgence à trouver des solutions pour les candidats à l'exil qui attendent dans des conditions inhumaines de l'autre côté de la Méditerranée. Alors, quels sont les éléments permettant d'expliquer cet afflux massif survenu entre le 12 et le 13 septembre dernier ? Au-delà des prises de positions politiques, voire des messages de propagande, RFI a tenté de remonter le fil sur les réseaux.

En règle générale, le mois de septembre reste une période favorable aux traversées en Méditerranée centrale. Les vagues ne sont pas trop hautes, et les vents dominants n'empêchent pas les embarcations de prendre la mer. Ceci étant, toute la région a été touchée, à divers degrés, par la tempête méditerranéenne Daniel.

Selon les experts consultés par RFI, « face à des conditions météorologiques défavorables, de nombreux migrants se sont retrouvés bloqués et ont dû attendre une amélioration. Dès que la fenêtre météo s'est présentée, on a assisté à des tentatives et les naufrages ont été très nombreux. »

Plus de 2 000 personnes ont trouvé la mort cette année sur les routes maritimes d'émigration de Méditerranée centrale, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Des navires faciles à produire en nombre

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La présence de navires en métal est désormais largement documentée sur les réseaux sociaux. Selon des sources locales, « ces embarcations sont plus faciles à produire, à dissimuler et surtout, elles sont moins chères que les barques en bois dérivées des navires de pêche longtemps utilisés. »

Ces embarcations de fortune ont tendance aussi à remplacer les semi-rigides (« rubber boat ») pouvant parfois atteindre 10-15 mètres, fabriqués en Chine et employés par les passeurs libyens.

À partir de 2017, l'Union européenne a fait part de sa volonté de s'attaquer aux transferts de ce type d'embarcations vers la Libye. Certains passeurs ont depuis recommencé à utiliser les matériaux disponibles pour produire des bateaux de fortune.

Le 13 septembre 2023, ce sont donc ces navires en métal couleur rouille, qui ont été secourus au large de Lampedusa. Selon l'agence AP, « près de 120 bateaux sont arrivés sur la petite ile italienne dans les 24 premières heures ».

On a donc assisté à une production importante de « coquilles de noix » jetables, instables et fragiles mises à l'eau presque simultanément en espérant rejoindre l'Europe.

Des nombreuses « bases » de départ

Plus d'une centaine de petits navires en métal ont quitté le côtes tunisiennes dès le 13 septembre. On estime que chaque navire peut emporter 30 à 40 personnes. Les vidéos en attestent.

Concernant les tarifs, des chiffres variables circulent : 500 et 1 600 dollars pour payer un passage sur une embarcation métallique.

Les points de départ sont connus. Région de Mahdia, ou de Zarzis dans le sud de la Tunisie. Région de Sabratah, à l'ouest de Tripoli en Libye, de sinistre mémoire pour les migrants sub-sahariens.

Ces « spots » de départ peuvent différer en fonction de la nationalité des migrants. Ces derniers jours, ce sont essentiellement des migrants subsahariens qui sont arrivés à Lampedusa.

Cependant, le phénomène migratoire touche également les jeunes Tunisiens, qui tentent leur chance en Europe compte tenu des difficiles conditions de vie dans leur pays.

Selon le ministère italien de l'Intérieur, cité par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), 3 196 migrants tunisiens sont arrivés en Italie pas plus tard qu'en aout dernier. Les subsahariens, eux, doivent faire face à une situation très difficile dans la ville de Sfax depuis le début de l'été.

Le Forum dénonce « la crise politique qui sévit en Tunisie et l'urgence humanitaire dans la ville de Sfax, d'où partent la plupart des bateaux pour l'Italie ». Il rappelle que« la plupart des personnes migrantes ont été contraintes de fuir le Soudan, l'Éthiopie, la Somalie, le Tchad, l'Érythrée ou le Niger », dans une déclaration conjointe publiée le 18 septembre.

L'ONG MSF-Sea a pu recueillir ces derniers jours les témoignages de ressortissants subsahariens ayant fui la Tunisie. Les récits font état de violences, de kidnappings, d'arrestations arbitraires survenues sur le sol tunisien avant leur départ.

Le 20 septembre, « des milliers de migrants, en majorité des ressortissants subsahariens, campent au nord de Sfax, en Tunisie, dans l'attente d'une traversée vers l'Italie, après avoir été chassés par les forces de sécurité », affirment des organisations humanitaires et des témoignages recueillis par l'AFP.

Un premier groupe de centaines de personnes est parti, puis d'autres ont suivi autour des 14 et 15 septembre. Le 17 septembre, les autorités ont évacué des centaines d'autres, lors d'une opération « coup de poing » largement médiatisée en Tunisie.

La présence d'ONG internationales prêtes à porter secours

Si la vague de migrants a choqué l'opinion, il convient de rappeler que les départs massifs ont eu lieu quelques jours après les terribles inondations de l'est libyen.

Sans qu'un lien de cause à effet soit formellement établi, on a observé à cette occasion les mouvements de plusieurs navires des gardes-côtes libyens afin de porter secours aux habitants de Derna.

Alors que tous les regards se portaient sur la Cyrénaïque, la situation semblait se « dégager » pour les trafiquants autour de Tripoli.

Par ailleurs, non loin de là, en Méditerranée centrale, plusieurs navires d'ONG étaient positionnées afin de venir en aide aux migrants. Open Arms, Geo Barents ou Ocean Viking. Ces derniers ayant depuis rejoint les ports de Brindisi en Italie et de Marseille en France après leurs missions.

Le Geo Barrents de Médecins sans frontières (MSF) a ainsi secouru près de 500 migrants dans le cadre de onze opérations, avant d'être dirigés vers de grands ports italiens. Pour rappel, en novembre 2022, le navire Ocean Viking avait accosté à Toulon en France, avec 230 migrants sauvés au large de Lampedusa.

Cette fois, le ministre de l'Intérieur assure que la France « n'accueillera pas de migrants venus de l'île italienne ». Propos tenus ce mardi par Gérald Darmanin.

Des migrants subsahariens otages du contexte politique

Quelque 126 000 personnes ont rallié les côtes italiennes depuis le début de l'année, contre 66 000 sur la même période l'an dernier, selon Rome.

Alors que l'Italie annonce un durcissement des conditions d'entrée des migrants, et que dans la même temps, la Tunisie leur rend la vie impossible, les ressortissants subsahariens sont pris entre le marteau et l'enclume.

En juillet, ils avaient été poussés dans des zones désertiques, aux frontières libyennes. Aujourd'hui, certains représentants de la société civile tunisienne, comme le FTDES, laissent entendre que les migrants sont incités à prendre la mer, en étant déplacés vers des localités connues pour être des points de départ.

L'agence européenne Frontex prévient : « La pression migratoire pourrait persister dans les prochains mois. » Dans un protocole d'accord signé le 16 juillet 2023, l'UE a annoncé un vaste partenariat comprenant 105 millions d'euros consacrés au contrôle des frontières avec l'aide de la Tunisie, considérée comme un « partenaire stratégique ».

Mais les relations sont de plus en plus tendues entre Tunis et l'EU. Dernier exemple en date : le mercredi 13 septembre, les autorités tunisiennes avaient interdit l'accès de leur pays à une délégation officielle de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, provoquant la stupéfaction des deux côtés de la Méditerranée.

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