Le Ministre du Cadastre et des Affaires foncières (MINDCAF) a récemment annulé une série de 127 titres fonciers délivrés à des individus sur le site abritant le projet d'exploitation du gisement de fer de Lobé, dans le Département de l'Océan.
Cette décision est certes une bouffée d'oxygène pour les communautés qui sont les premières victimes de l'accaparement illicite de terres, mais elle témoigne à suffisance des dysfonctionnements notoires au sein de ce département ministériel chargé de la gestion foncière. Le gouvernement devrait donc axer l'essentiel de ses actions en amont, afin d'éviter les dommages que l'acquisition illicite des terres peut avoir sur les communautés locales. Plus globalement, il devrait renforcer le faisceau et la sécurité des droits fonciers des communautés.
La décision du MINDCAF d'annuler ces titres fonciers démontre qu'il y a une veille qui est faite dans le but d'empêcher que les individus malintentionnés s'enrichissent illicitement, au détriment de l'Etat et des communautés locales et autochtones.
Toutefois, et comme l'a fait remarquer Mme EBOMO Rosette Sylvie (dans une interview publiée par le Journal Essingang N 729 du 24 juillet 2023), Directeur des affaires foncières MINDCAF, un tel acte ne sera des plus efficaces que si ces annulations, dans la pratique, sont suivies de sanctions tant pour les auteurs des fraudes foncières décriées, que pour les agents publics reconnus auteurs ou complices des actes irréguliers ayant entraîné le constat de nullité d'ordre public de ces titres fonciers. À noter aussi qu'il faudrait aussi que ces sanctions soient dissuasives.
Les communautés rurales, sont un maillon très faible qui ne dispose pas comme l'Etat, de moyens pour sécuriser leurs terres et encore moins pour exiger réparation du préjudice subi par l'accaparement de leurs terres.
En effet, ces communautés sont très souvent les dernières informées des différents projets qui seront réalisés dans leurs villages. Malheureusement, soit par ignorance, soit par intimidations, soit à cause de la précarité de leurs conditions de vie, elles vont céder pour un franc symbolique leurs terres coutumières à des élites et personnes influentes ayant eu accès aux informations sur la mise en oeuvre imminente desdits projets.
Il faut dire que cette situation de fraude foncières n'est pas nouvelle. Quelques années plus tôt, l'on en a enregistré dans le même département de l'Océan lors de la mise en oeuvre du projet du port en eau profonde de Kribi. Cameroun Tribune avait mentionné que les malversations constatées lors du paiement des indemnisations aux populations riveraines du projet ont conduit à la prison une douzaine de personnes dont le Maire, le Sous préfet de Lobo de l'époque des faits et certains chefs traditionnels. Certaines de ces personnes étaient alors membres de la Commission de constat et d'évaluation et avaient utilisé leur position pour jouir d'avantages illicites.
Toutefois, il faut remarquer que le véritable travail de fraude avait son épicentre dans la confection de faux titres fonciers, où avaient été notées plusieurs irrégularités. Au demeurant, Le rapport de la CONAC 2013 avait fait état du recouvrement de 19 milliards 158 millions 326 mille 375 FCFA dans le processus des indemnisations au Complexe Industrialo-portuaire de Kribi. Si ce n'est pas la corruption (Journal L'information N°098, P. 6-7) qui gangrène ce Ministère, quelle pourrait être la cause de ce dysfonctionnement ?
La récurrence de ce type de cas pousse à s'interroger sur les procédures de mise en oeuvre de ces projets dits de développement. Il est dommage que le Gouvernement ait pris l'habitude de réagir après coup pour sanctionner ou au lieu d'agir en amont pour prévenir. Entre-temps, les populations autochtones et locales, premières victimes de la gestion et administration des terres, auront déjà subi les affres de ces décisions illégales prises en amont. Quand on sait que dans la pratique, il est bien difficile de revenir à la situation de départ pour les populations ayant "perdu leurs terres" pour une bouchée de pain, on ne peut que tirer la sonnette d'alarme et demander au Gouvernement de mener des enquêtes suffisantes avant d'attribuer les titres de propriété aux prédateurs fonciers. De manière plus substantielle, il faudrait que la réforme foncière en cours garantisse la sécurité foncière aux communautés par la reconnaissance et la protection de leurs droits fonciers coutumiers qui pour l'instant ne sont ni clairs, ni reconnus et ni soutenus comme l'a constaté la Banque mondiale. On pourrait se demander comment et pourquoi les communautés, qui sont très nombreuses d'ailleurs et sont des bibliothèques de savoirs devraient protéger les terres et les forêts qui ne leur appartiennent pas? Quand on sait que s'il n'y a pas d'intérêt, il n'y a pas d'action! Avec une meilleure protection de leurs droits, les communautés contribueront efficacement à la lutte contre ces fléaux et à l'atteinte plusieurs objectifs de développement durable définis dans le Programme de développement durable des Nations unies à l'horizon 2030, à savoir : la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, la croissance économique inclusive et durable, l'égalité des sexes, la durabilité des forêts, la conservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.