Tunisie: Pour l'intérêt supérieur de l'enfant

21 Septembre 2023
opinion

L'école est cet espace républicain consacré par l'Etat à concrétiser les droits de chaque enfant conformément à son engagement constitutionnel. Certains principes directeurs dictent la politique que doit mettre en place le gouvernement pour concrétiser cette approche.

Accessibilité, équité, gratuité, qualité des prestations concrétisent une approche égalitaire qui garantit à chaque enfant la possibilité de s'épanouir, de développer ses compétences et de trouver sa voie et son propre chemin dans la société sans discrimination ni exclusion. L'école consacre aussi la transmission de la mémoire commune, de la culture, contribue avec la famille à forger l'identité et développer la fierté de l'appartenance à sa localité, sa région et son pays. Elle est aussi cette fenêtre ouverte sur l'universalité et sur la place de chacun dans un monde qui se globalise.

Outre son rôle éducatif, l'école remplit d'autres fonctions de veille de santé, d'action sociale, d'espace récréatif, d'apprentissage, du vivre-ensemble, du respect de l'environnement, du dialogue, de la tolérance, de la communication et de la participation. Bref, c'est le chemin de la citoyenneté et l'outil de l'éveil d'une nation et de développement des peuples. L'école doit assurer la transmission la plus objective possible du passé, être ancrée au présent et préparer les mutations futures de la société pour garantir à chaque enfant la possibilité de trouver la place qui lui convient.

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Ecole pour tous, loin s'en faut !

L'école est aussi un outil pour chaque nation de consacrer sa vision de la société, ses mutations, son ancrage dans sa propre histoire, dans sa géographie et son développement futur. Elle doit être innovante, attractive, constructive, porteuse d'un projet de société qui engage et enthousiasme tout le monde : les institutions, les familles, les professionnels de l'éducation mais aussi les enfants.

La Tunisie de l'indépendance a misé sur l'éducation et la santé. Investir dans le capital humain a été pourvoyeur de développement durable et a permis à une population pauvre, indigène, ignorante, victime de multiples privations de constituer, en vingt ans, une large classe moyenne, cultivée, compétente ayant contribué à un essor économique, social et culturel remarquable.

Depuis les années quatre-vingt, l'engagement progressif de la Tunisie dans des choix politiques et économiques de libéralisme, sans prendre de véritables mesures sociales d'accompagnement et sans préserver la qualité des services publics (notamment l'éducation, la santé et le transport) a retenti négativement sur la qualité du service public et instauré des inégalités régionales. Certains choix stratégiques ont particulièrement grevé la qualité de l'enseignement comme la fermeture des institutions de formation des formateurs, la réduction du temps scolaire, l'approche sectorielle qui a fermé les espaces scolaires à toutes les activités parascolaires.

D'espace éducatif ami de l'enfant, l'école s'est transformée en un espace d'enseignement. Les choix des systèmes d'évaluation et d'orientation ont fait de la note obtenue par les élèves le seul critère de réussite et a engagé enfants et familles dans une recherche permanente de l'excellence et de la compétition... L'instauration du système d'écoles pilotes a achevé de consacrer la compétition et l'élitisme comme choix stratégique de notre système éducatif. Nous sommes loin de l'école pour tous, gratuite et équitable !

L'école tunisienne est désormais une école compétitive, élitiste, qui consacre les inégalités. La pauvreté, la ruralité, l'éloignement et l'appartenance à certaines régions ou quartiers défavorisés constituent des handicaps qui entravent l'accessibilité et l'égalité des chances. La pléthore des programmes, la diminution des heures d'apprentissage et le recours nécessaire aux cours privés supplémentaires entravent les notions de gratuité et d'égalité des chances.

Les mécanismes de rattrapage sont en panne. L'approche sectorielle a privé l'école de toutes ses activités parascolaires. Dans près d'un tiers des délégations tunisiennes, il n'y a aucune structure récréative, culturelle ou sportive en dehors des écoles. Depuis 2011, la situation du système éducatif s'est beaucoup détériorée. Recrutement massif de cadres pédagogiques et administratifs sans compétences requises, revendications sociales et réponses institutionnelles non adaptées ont impacté la qualité de l'enseignement.

Des interruptions répétées et prolongées des apprentissages ont retenti sur la relation des élèves et des familles avec les écoles publiques et fait la part belle aux écoles privées. La crise du Covid-19 a davantage creusé les inégalités entre le secteur public et privé et entre les régions. La crise économique et l'absence de révision des choix stratégiques de l'Etat ont fini par marginaliser l'école publique qui ne répond plus aux attentes des enfants, des familles et à l'ambition d'un Etat qui veut rétablir les valeurs républicaines et constitutionnelles.

Sommes-nous sur la bonne voie ?

Une analyse sectorielle sérieuse, complète, approfondie, participative de l'éducation a été réalisée. Elle constitue un élément essentiel de réflexion et a démontré comment le système éducatif s'est effondré de l'intérieur, du fait de décisions et choix stratégiques de l'Etat ou de pressions excessives des partenaires sociaux. En fait, la conclusion insiste sur la nécessaire révision de la gouvernance du système éducatif. La décision du Président d'installer un Conseil supérieur de l'éducation et de démarrer une consultation nationale montre bien deux choses : l'importance que la Tunisie continue d'accorder à ce secteur, son attachement au choix d'une société de savoir et à la considération de l'éducation comme un levier au développement durable de notre pays. L'éducation est une préoccupation nationale, l'Etat refuse la mainmise sectorielle et surtout l'exclusivité de la contribution des partenaires sociaux dans l'élaboration de la stratégie de réforme du système éducatif.

Toutefois, la période que traverse la Tunisie actuellement se caractérise par son flou et l'absence d'une vision ou d'un projet de société. Après 2011, nous avons vécu une période d'engouement citoyen pour la chose publique. Une disposition collective à s'investir, un esprit de bénévolat et de volontariat qui a été avorté par une errance politique. La lassitude des citoyens les a éloignés et nous a fait rater l'opportunité d'induire un changement de comportement qui aurait placé l'intérêt général avant les petits calculs de politiques politiciennes, ne donnant aucun projet de société partagé par tous.

Encore une fois, la Tunisie se recherche, tâtonne, hésite d'une consultation à une autre, d'une élection à l'autre, les citoyens observent mais n'adhèrent pas, respectent mais ne plébiscitent pas. Nous manquons crucialement de leadership, d'une ambition à la hauteur de l'attente qui a trop duré, d'une vision capable de donner un cap à une nation qui s'est toujours inscrite dans un modernisme, une ouverture et une capacité hors normes à s'adapter et à rebondir. Une résilience qui s'est prouvée dans chaque événement marquant où nous avons assisté à une liesse populaire approuvant des décisions de rompre avec l'échec et la médiocrité malgré les difficultés de l'instant.

La décision de s'en remettre à la volonté populaire pour les orientations de la réforme éducative n'est peut-être pas la meilleure des décisions. L'institution éducative n'est qu'un outil de mise en oeuvre d'une vision, d'un choix de société agréé par tous, capable de galvaniser une population en quête de grandeur, de défis, d'union autour d'un projet porteur de valeurs tunisiennes, ambitieux qui nous fera rêver d'un avenir prometteur et qui nous aide à supporter un présent difficile.

Un projet qui donne espoir à tous, enfants, jeunes et moins jeunes. Un projet qui vaille le coup d'un sacrifice, qui nous implique et nous entraîne tous à donner le meilleur de nous-mêmes pour le bien de tous. Nous sommes loin de cette logique et la recherche d'un consensus à travers la multitude de consultation, d'élections, de commissions et de nouvelles institutions n'est que la traduction d'hésitations et de recherche de légitimité, en l'absence d'un projet fédérateur et porteur d'espoir et de changement pour tous.Les enfants... enjeux de l'avenir, entre un passé proche qui a essayé de les instrumentaliser («Nous changerons la société en changeant leurs enfants»), et un présent incertain où la multitude des urgences a relégué les droits des enfants au second plan. Notre ambition est de faire du projet éducatif un projet de société, inclusif, non discriminant, tenant compte des droits des minorités, abolissant les barrières de genre et tenant compte du handicap pour une société enracinée dans son identité tunisienne, ouverte sur l'avenir et sur toutes les cultures. Un projet qui fait de chaque enfant un partenaire, qui s'implique, s'autonomise et forge un esprit d'entreprendre sur le chemin d'une citoyenneté active, constructive et solidaire.

*Président de l'ATDDE

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