Elle se situe après Sokone, sur la route menant à la frontière avec la Gambie. La ville de Toubacouta est d'un charme qui ne se distingue pas à priori dans ces contrées où l'herbe est si verte et abondante en période d'hivernage.
La commune est d'une beauté qui se révèle au fur et à mesure qu'on s'approche de sa côte ouvrant sur un bras de mer. Sans pression, nous marchons au pas, les bras ballants, livrant des regards perdus dans une localité où la frénésie n'existe point. Ici, fredonner « Don't worry, be happy » de Bobby McFerrin équivaudrait à une balade en « 3D » ou toute autre technologie qui aiderait à visualiser ce blend entre gaieté et excitation que procure l'air frais et les grands espaces dans Toubacouta.
Vous rappelez-vous les «Montres molles» de Salvador Dali ? Sinon, c'est cette peinture à l'huile sur toile qui représente trois horloges amorphes qui semblent fondues et s'écrasant sous leur propre masse. Telles des feuilles de papier trempées, elles indiquent la suspension du temps. L'oeuvre intitulée « L'angoisse du temps » du surréaliste espagnol trouve beaucoup de son sens, à contrario, dans l'atmosphère qui pèse sur Toubacouta. Aucune anxiété, aucun mal-être. Ici, tout est question de quiétude.
Toubacouta vit. La ville se situe à droite de la Route nationale 5 qui mène de Kaolack à Karang, la frontière avec la Gambie. Elle se révèle au fur et à mesure que l'on avance. Après la mairie, la caserne des pompiers, à côté d'un petit marché presque pas occupé. Il semblerait que les habitants aient choisi d'ouvrir de petites échoppes (alimentation générale, quincaillerie, salons de cosmétique, salons de coiffure, boutique de prêt-à-porter...) devant leur maison que d'occuper le lieu dédié au commerce. Selon les dernières statistiques, Toubacouta compte près de 3.000 habitants. Cette démographie semble même gigantesque au regard du calme qui règne dans les rues. Tout le monde se connaît à telle enseigne que le premier inconnu qui foule le sol se fait démasquer à la minute par les hommes, mais pas que.
Du haut des fromagers, des colonies de singes bruns sentent la présence d'intrus et interrompent momentanément leur vacarme. Ils vivent en parfaite harmonie (enfin presque) avec les humains dans ce hameau de paix à la verdure luxuriante qui ne cesse de susciter l'émerveillement.
Sérénité
À quelques centaines de mètres de la nationale se trouve le village artisanal. Dans les cantines sont vendus des objets d'art. La sculpture forme le gros du lot. Des répliques d'animaux sauvages, des instruments de musiques africaines, des tissus aux coloris du rastafarisme pour faire africain, des joailleries...il y a un peu de tout. Toubacouta est une bourgade touristique visitée par de nombreux étrangers qui peuplent les hôtels et campements installés à proximité du village artisanal. Ici, l'art nourrit. Moussa Camara est enfant de Toubacouta du côté de sa mère. Après une longue période, il est revenu à la source pour vivre de son métier de sculpteur-ébéniste. Il fabrique, entre autres, des tasses, des sièges démontables et plein d'artéfacts. « Je suis originaire de Dakar. J'ai grandi là-bas, mais je suis revenu à Toubacouta non seulement parce que ma mère est d'ici, surtout pour des raisons professionnelles », explique cet homme au teint clair et à la barbe fournie teinte au henné. Ses clients sont principalement des touristes. En effet, la zone est d'une beauté et d'une tranquillité sans nul pareil. Elle offre une proximité avec la nature à travers le bras de mer et une mangrove qui agrémente la vue et la respiration.
La sécurité n'est point à craindre, car il y a, à proximité, une base militaire. Les éléments de l'armée, bien que discrets, sortent de temps en temps pour des manoeuvres ; ils rassurent par la même occasion.
Cependant, la nuit, il fait très sombre. L'éclairage public se limite quasiment à la route nationale. IsmaEla Diamé est un piroguier. Il déplore le manque d'éclairage. « La ville n'est pas suffisamment éclairée. Il y a des lampadaires sur la route et à certains endroits de la commune, mais cela reste insuffisant. Ce serait bien que la partie proche de la berge soit davantage éclairée », implore-t-il, tout en s'apprêtant à aller vers l'île de Sipo, en pirogue.
En effet, au-delà de 23 heures, la bourgade dégage d'ordinaire un calme que seuls les grillons savent souligner. Ce manque d'éclairage arrange bien certains. On ne parle pas de malfrats, mais plutôt d'hyènes. Le jour, elles peuvent laisser des traces ensanglantées de leur passage. Elles vivent dans les profondeurs inhabitées de la mangrove qui fait face au quai d'embarquement de Toubacouta. En bons nageurs, ces animaux sauvages sont, en effet, le pire cauchemar des chèvres. Sans luminosité suffisante et avec une population qui se terre dans les maisons assez tôt, les hyènes ont le combo gagnant pour un dîner qui pourrait rappeler les paroles d'un certains Youssou Ndour dans le morceau "bëy". Gare donc aux chèvres qui s'isolent !
Un condensé culturel du Sénégal
Terre de brassage et de métissage où traditions et modernité se combinent, Toubacouta présente une incroyable richesse culturelle. Cette diversité constitue, selon les acteurs, un atout pour l'attractivité et le développement de ce territoire qui s'impose, aujourd'hui, comme une destination à promouvoir davantage. Le secteur culturel de Toubacouta reste aussi foisonnant, caractérisé par une belle diversité et une incroyable vitalité qui participent grandement à l'épanouissement de la population. Et ils proposent également une belle vitrine de la région de Fatick et contribuent à un dynamisme économique et social.
Toubacouta est aussi riche de sa culture, de ses ressources naturelles, mais aussi de son brassage. Située aux portes du Delta du Sine Saloum, classée patrimoine mondial de l'Unesco en juin 2011, la localité est devenue un havre de paix. Tout au long de l'année, cette ville carrefour distille joie et animation dans chacune de ses rues et de ses villages les plus reculés. Ici, le traditionnel se marie merveilleusement avec le moderne, les atouts culturels et naturels confèrent à l'activité touristique une place de choix en tant qu'axe majeur de l'économie locale.
Ville cosmopolite située dans le département de Foundiougne, dans la région de Fatick, et presque frontalière avec la Gambie, Toubacouta garde toujours son cachet traditionnel et se caractérise par un profond brassage ethnique. Sérères, Mandingues, Diolas et Wolofs y vivent en parfaite harmonie. Toubacouta, c'est sa diversité culturelle. C'est aussi sa diversité biologique, son patrimoine naturel, ses ressources animalières et fauniques composées de forêts très denses et communautaires. Ce prestige, Toubacouta le doit aussi en grande partie à l'admission du Delta du Saloum qui appartient à plusieurs circonscriptions territoriales au sein du club très fermé des « Plus belles baies du Monde » en 2005.
Aujourd'hui, Toubacouta qui a gardé toute son authenticité apparaît comme un véritable condensé culturel du Sénégal à travers un melting-pot de croyances, de pratiques et de valeurs culturelles qui font son charme et sa fierté.
SAMBA NDIAYE, ACTEUR CULTUREL ET MUEZZIN DE LA MOSQUÉE
« Toubacouta a changé ma vie »
Il est l'une des personnes les plus populaires de la localité. Lebou originaire de la Medina (Dakar), Samba Ndiaye est une figure de proue de la vie culturelle de Toubacouta. Président du rassemblement des artistes de la commune, il est devenu membre à part entière de la communauté qui l'a adopté. Également muezzin a la mosquée de Toubacouta, cet homme au parcours atypique a pas mal roulé sa bosse au Sénégal et dans la sous-région avant de décider de s'installer définitivement à Toubacouta.
Par Mamadou Oumar KAMARA, Assane FALL (Textes) et Ndèye Seyni SAMB (Photos)
Assis devant sa boutique, Samba Ndiaye fait de la vannerie. Il confectionne un sac cabas agrémenté de cauris qu'il revendra certainement à un touriste. La vue imparfaite, il porte des correcteurs pour ne pas se piquer avec l'aiguille. Âgé aujourd'hui de 63 ans ans, Père Bathie, comme on l'appelle, est le président du regroupement des artistes de cette commune au haut potentiel touristique qu'est Toubacouta. Mal fagoté à dessein, car oui, il fait très chaud, le vieil homme porte un teeshirt suffisamment mis à l'épreuve, un jean devenu short, car, coupé négligemment a hauteur des genoux, et d'un couvre-chef qui cache mal une calvitie (ou peut-être une carence en vitaminique). Samba Ndiaye mène tranquillement sa petite vie au rythme des tam-tams et de l'appel à la prière. Il est le muezzin principal de la mosquée de Toubacouta. Il a abandonné son Dakar natal pour se trouver une place et pas des moindres dans sa terre d'accueil.
Une trajectoire escarpée
Né à la Rue 31x28 de la Médina, Samba Ndiaye était prédestiné à être artiste. N'ayant jamais été à l'école française et sans formation professionnelle solide, il n'avait pour base instructive que son passage à l'école coranique. En grandissant, il a pris conscience qu'il lui fallait bien qu'il vive de quelque chose afin de décharger son père. Il ne lui restait donc plus qu'à se consacrer à l'art qui a toujours été sa passion. « À l'âge de 18 ans, j'ai commencé à sillonner le Sénégal. Je suis parti à l'aventure et j'ai intégré des ballets en Gambie, en Guinée-Bissau et en Guinée Conakry où j'ai énormément appris », explique l'homme à la moustache discrète et soigneusement taillée. Au fur et à mesure de son parcours, Samba Ndiaye a appris à danser. La démarche cassée par un tarissement synovial des genoux, Baay Bathie, comme il se fait appeler, est pourtant un grand chorégraphe. Il maitrise le "limbo" qui consiste à passer sous une barre métallique en feu tout en dansant, le jeu de mortier, l'échassier... « Partout où je suis passé, j'ai essayé d'emmagasiner un maximum de compétences chorégraphiques qui m'ont toujours permis de sortir du lot », raconte-t-il. Mais c'est en Gambie que va commencer sa véritable carrière d'artiste chorégraphe. Il avait déjà 30 ans. « J'ai intégré la troupe "Allalaké" alors dirigée par un Guinéen du nom de Thomas Kamara. Mais j'ai vite réalisé que je n'étais pas à ma place. J'avais une baisse de foi qui m'a plongé dans les abimes du libertinage. Je me suis dit qu'il fallait que je quitte la Gambie. Bien qu'étant au sommet de mon art, j'ai ressenti le désir profond de changer de vie et de retourner au Sénégal. Et c'est justement en ces périodes troubles que j'ai entendu parler de Toubacouta... », confie Baay Bathie dont la marque de la prière sur le front témoigne, au moins, de sa religiosité.
Toubacouta, nid d'éclosion artistique
Toujours assis et écrasant de temps à autre les moustiques impitoyables avec ses jambes poilues, Baay Bathie explique les raisons de son installation définitive à Toubacouta. Alors qu'il souhaitait quitter la Gambie pour cause de déperdition, il a entendu parler de Toubacouta comme un haut lieu touristique où il pouvait gagner sa vie et vivre parmi ces concitoyens. L'idée derrière a été de se forcer un mode de vie qui lui imposerait la bienséance parmi les siens. C'est ainsi qu'il a pris le peu qu'il avait en Gambie pour entamer une nouvelle vie à Toubacouta. La trentaine, Samba Ndiaye, originaire de Dakar, danseur-chorégraphe, va intégrer la troupe dénommé « Madi Dado » du nom d'un vieil habitant de Toubacouta, aujourd'hui, décédé. « Nous faisions des spectacles dans des hôtels qui, d'ailleurs, existent toujours », informe-t-il. À l'époque, Toubacouta était presque une forêt. Baay Bathie raconte qu'à ses premières années, il a cohabité avec des hyènes qui, la nuit tombée, traversaient la mangrove pour venir chasser des chèvres. « Une nuit, je me suis fait courser par un de ces charognards alors que j'étais à vélo. Ces hurlements ont failli me rendre fou. J'étais un citadin totalement dans l'inconnu. Je me suis même dit à un moment que c'est de la sorcellerie tout simplement. J'ai dû pédaler de toutes mes forces, résolument décidé à ne pas mourir », raconte-t-il sur un ton d'autodérision qui dévoile une denture portant les stigmates d'années de toxicomanie.
Au fil des années, Samba Ndiaye a eu des opportunités avec la troupe « Madi Dado » qu'il a héritée aujourd'hui. Baay Bathie est le coach de l'équipe qu'il a amenée à pas mal de compétitions nationales. Évidemment, aujourd'hui, il ne danse plus avec le poids de l'âge et de ses devoirs à l'endroit de la mosquée. Toutefois, il reste un instrumentiste (bongo, kora, djembé) et un chanteur au timbre vocal typiquement manding.
Une nouvelle vie, un nouveau départ
Samba Ndiaye est, aujourd'hui, le muezzin de la mosquée de Toubacouta. C'est dire qu'il s'est fait une place dans cette localité habitée majoritairement par des Socés. Il est revenu aux fondamentaux de son éducation religieuse. Il fait l'appel à la prière, prépare du café qu'il distribue à volonté chaque matin avec l'aide de sa femme, une ex-danseuse. « Nous avons un enfant qui est mariée et est mère d'une petite-fille. La famille s'agrandit ici et je suis toujours en contact avec mes parents lébous de Dakar. J'y vais de temps en temps leur rendre visite, mais le séjour excède rarement trois jours. Je suis trop habitué à ma maison en case que j'occupe depuis maintenant 30 années », dit-il d'un air satisfait.
Ses journées sont rythmées par son travail à son atelier au village artisanal. S'il ne confectionne pas des articles à vendre, il reste à l'ombre à faire du thé. Le lendemain de notre première rencontre, il donnait des cours de vannerie à un groupe de touristes venus de France. Des séances bien rémunérées, nous confie-t-il. « Comme il y a beaucoup de moustiques ici, je leur procure des répulsifs afin qu'ils soient concentrés. Je suis payé 30.000 FCfa pour une heure de cours », soutient-il.
Baay Bathie a acquis cette notoriété de grand artisan qui fait de lui une figure incontournable. Il gagne sa vie et ne se plaint pas. « Cette ville m'a beaucoup donné. Toubacouta a changé ma vie. Je m'y plais et compte y rester jusqu'à la fin de mes jours, après quoi j'aimerais bien être enterré à Touba », dit-il dans la plus grande sérénité.