L'arrestation du leader de Pastef, Ousmane Sonko, suivie de son inculpation le 31 juillet dernier pour huit chefs d'accusations, alimente depuis lors le débat sur son éligibilité à l'élection présidentielle du 25 février. En effet, alors que l'actuel ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, continue de soutenir que Sonko est déchu de ses droits civils et politiques du fait de sa contumace qui est toujours d'actualité, ses pairs de la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar rament à contrecourant à propos de la purge de cette même contumace.
A quelle version juridique faut-il se fier au sujet du débat sur la purge de la contumace et sur l'éligibilité du leader du Pastef, Ousmane Sonko, à la prochaine présidentielle ? En effet, depuis son incarcération à la prison de Sébikhotane le 31 juillet pour huit chefs d'accusations dont des crimes, suivie de la dissolution de son parti, Pastef, la participation du maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, à l'élection présidentielle du 25 février 2024 ne cesse d'alimenter la controverse au Sénégal. En effet, jugé par contumace dans l'affaire de « viols répétés et menaces de mort » qui l'opposait avec Adji Sarr alors qu'il se trouvait chez lui à Ziguinchor, Ousmane Sonko a été finalement reconnu coupable du délit de « corruption de la jeunesse » par la Chambre criminelle du tribunal de Grande instance hors classe de Dakar et condamné à 2 ans de prison ferme, le 1er juin dernier. Placé en résidence surveillée pendant environ 55 jours, il s'est fait arrêter le 28 juillet dernier pour « vol avec violence de téléphone portable d'une gendarme, dont le véhicule était tombé en panne aux abords de son domicile » selon le procureur de la République, deux jours seulement après la levée du blocus de son domicile.
D'ailleurs, ce dernier (procureur de la République) s'exprimant sur cette arrestation du leader de Pastef lors d'un point de presse, tenu le lendemain de cette arrestation, a précisé que la « contumace de Sonko n'est pas anéantie » puisque son arrestation n'a rien à voir avec la procédure l'opposant à Adji Sarr pour laquelle il a été condamné. « Sur le dossier Adji Sarr, on a tendu la perche à Ousmane Sonko pour se constituer prisonnier. Contrairement à ce qui se dit en public, la contumace n'est pas anéantie. Il est poursuivi pour d'autres chefs d'inculpation...Par conséquent, ce pourquoi il est poursuivi n'a rien à voir avec ce pourquoi il a été interpellé hier », avait indiqué le Procureur de la République, Abdou Karim Diop.
Cependant, le 2 août dernier soit, trois jours après son incarcération, Ousmane Sonko, depuis sa cellule de la prison de Sébikhotane a envoyé un document manuscrit de non-acquiescement de sa condamnation par contumace au Greffe du Tribunal de Grande instance de Dakar qui a accusé réception. Mais, face au tollé suscité par cette sortie du Procureur de la République, notamment dans le milieu des praticiens et théoriciens du droit, et face au nouvel acte posé par le leader de Pastef qui devait ouvrir la voie à la reprise de son procès pour viol, le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, est monté au créneau pour appuyer la position du procureur de la République, lors d'une conférence de presse tenue le 7 août dernier en soutenant : « S'il se constitue prisonnier de son propre chef ou s'il est arrêté en exécution du jugement de la chambre criminelle, la contumace tombe. Mais ici, ce n'est ni l'un ni l'autre.
Donc, la contumace est toujours d'actualité ». Dans un entretien publié le 30 août par le magazine Jeune Afrique en ligne, le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall qui se prononçait une énième fois sur cette affaire de la purge de la contumace de Sonko est allé plus loin en faisant cette fois-ci le lien avec la prochaine élection présidentielle. « La contumace est toujours d'actualité. Ousmane Sonko ne retrouve donc pas ses droits civils et politiques, comme l'affirmaient ses partisans», avait-t-il décrété.
Ismaila Madior Fall seul contre tous sur la purge de la contumace
Il faut dire que sur cette question, le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, éminent universitaire et professeur agrégé du Droit constitutionnel semble être seul contre tous. En effet, de tous les universitaires et praticiens du droit qui se sont exprimés sur cette question, il est le seul à défendre cette position qui relève de l'interprétation des articles 307 et 316 du Code de procédure pénale sénégalais.
C'est ainsi que dans une contribution intitulée « Les errements du ministre de la Justice à propos du supposé caractère définitif de la condamnation de Sonko... » et publiée le 5 septembre dernier, son collègue, Babacar Niang, professeur agrégé des facultés de Droit et enseignant chercheur à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar s'était formellement démarqué de cette position. Selon lui, « le postulat selon lequel le contumax, Ousmane Sonko, devait se constituer prisonnier pour faire anéantir la condamnation par contumax ou être placé en détention à l'initiative du procureur en vertu de la condamnation en question » relève d'un manque de culture juridique et judiciaire».
Mieux, ajoutait le Pr Babacar Niang, «la condamnation par contumace d'Ousmane Sonko ne peut être définitive qu'à partir du 2 juin 2028, s'il ne constitue pas prisonnier ou s'il n'est pas arrêté. Or, à ce jour, il est factuellement entre les mains de la justice ».
Avant lui, c'était une autre sommité de la faculté des Sciences juridiques et politiques de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar qui était monté au créneau pour recadrer les choses sur cette question de la purge de la contumace après l'arrestation du maire de Ziguinchor. Interpellé sur cette question lors de son passage dans l'émission Objection du dimanche 3 septembre dernier, le Professeur agrégé en Droit public, Sidy Alpha Ndiaye, par ailleurs directeur de l'Institut des droits de l'Homme et de la paix (Idhp), s'est démarqué de la position du ministre de la Justice. « En tant que juriste, on ne peut pas distinguer là où la loi ne distingue pas. La loi pénale dit clairement que l'arrestation du contumax anéantit la décision. Donc, en termes de techniques juridiques pures, d'orthodoxie du droit, la décision qui a été rendue est anéantie dès l'instant que le contumax a été arrêté », avait-il fait remarquer.
Il en est de même pour le doyen Ndiack Fall. Professeur agrégé en Droit pénal à la retraite, il était l'un des premiers à monter au créneau le 30 juillet dernier, dans l'émission « Objection » de la radio Sudfm, pour recadrer le procureur de la République sur cette question. «Malgré les propos du procureur qui estime qu'il a été arrêté pour autre chose, cela importe peu. Certes, il n'y a pas de liens entre l'affaire Adji Sarr et l'appel à l'insurrection. Ceci étant, dès que Monsieur Sonko est arrêté, il y a ce qu'on appelle la purge de la contumace. Contrairement à ce que le procureur a affirmé, puisqu'il a dit « la condamnation par contumace est devenue définitive, nous avons tendu la perche à Monsieur Sonko, il ne l'a pas saisie ». Dire que la condamnation est définitive, c'est quelque chose d'inexact. Cette vision des choses est inexacte.»