Initialement prévue le 4 février 2024, l'élection présidentielle au Mali n'aura pas lieu à cette date. Ainsi en ont décidé les autorités de la transition malienne qui invoquent comme raison : "la « prise en otage » de la base de données du recensement administratif à vocation d'état civil par le prestataire IDEMIA, une société française" spécialisée dans la sécurité numérique.
Cette société réclame 5,2 milliards de FCFA à Bamako, somme que cette dernière ne veut pas payer parce qu'elle aurait constaté des irrégularités dans le contrat signé en 2018 avec ladite société. Et ce n'est pas tout. Le ministre de l'Administration territoriale malien, le colonel Abdoulaye Maïga, explique le léger report par la prise en compte des résultats de la révision annuelle des listes électorales ainsi que la prise en compte de nouvelles dispositions de la Constitution adoptée en juin 2023 par référendum.
A priori, ces raisons paraissent pertinentes voire légitimes. Mais il n'empêche qu'on peut se demander si tout cela ne participe pas d'une roublardise de Bamako. En tout état de cause, à qui profite "ce crime"?
Evidemment au locataire du Palais de Koulouba. C'est d'autant plus évident que sans la tenue d'élections, la transition restera en place. C'est dire s'il ne faut pas écarter l'hypothèse d'une manoeuvre de la part du colonel Assimi Goïta et de ses frères d'armes pour rester plus longtemps aux affaires. Pourquoi n'a-t-on pas pris des mesures bien avant pour éviter ce report ? Et que représentent 5 petits milliards de F CFA pour un Etat ? Tout porte à croire que ce report obéit à des calculs. Mais la transition aurait tort de croire qu'elle peut continuer à ruser indéfiniment.
Les autorités de la transition ont intérêt à ne pas se livrer à un jeu de dupes qui pourrait conduire à leur propre perte
Comme le répétait le célèbre journaliste d'investigation burkinabè, feu Norbert Zongo, pour ne pas le nommer, « on peut tromper tout le temps une partie du peuple mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ». C'est d'autant plus vrai que tôt ou tard, les Maliens se rendront compte de la supercherie. Du reste, comment un pays qui a réussi à organiser un référendum constitutionnel en juin dernier, qu'il qualifie de grand succès, peut-il, moins de trois mois plus tard, invoquer des problèmes techniques pour justifier le report de la présidentielle?
En attendant que la nouvelle date soit communiquée, Bamako gagnerait à ne pas se mettre à nouveau à dos la communauté internationale, notamment la Communauté économique des Etats de l'Ouest de l'Ouest (CEDEAO) qui tient au respect du calendrier fixé pour le transfert du pouvoir aux civils. Certes, ayant perdu des crocs dans la bataille face à la junte malienne, l'organisation ouest- africaine ne semble plus faire peur au pouvoir kaki.
Mais ce serait une grosse erreur de la part de la soldatesque de croire que la CEDEAO ne peut plus mordre. Comme on le dit, même édenté, le lion peut faire mal. Toujours est-il que la messe de requiem de la CEDEAO n'est pas encore dite. C'est dire si les autorités de la transition ont intérêt à ne pas se livrer à un jeu de dupes qui pourrait conduire à leur propre perte.
En tous les cas, les Maliens les observent et si elles souhaitent rentrer dans l'histoire, elles se doivent de mettre un point d'honneur à organiser la présidentielle dans un délai raisonnable. Cela dit, ce report intervient dans un climat tendu entre Bamako et la CMA qui se rejettent mutuellement la responsabilité de mettre en péril l'accord de paix d'Alger signé en 2015 et censé ramener la paix au Mali.
La tension est d'autant plus palpable que les deux camps se sont violemment affrontés ces derniers jours sur le terrain au point que le MSA (Mouvement pour le salut de l'Azawad) vient d'annoncer son retrait du Cadre stratégique permanent (CSP). Le mouvement dirigé par Moussa Ag Acharatoumane, dit regretter «la déclaration non consensuelle du CSP-PSD en date du 10 septembre 2023, par laquelle il engage un conflit armé contre les Forces armées maliennes ».
Autant dire que l'unité se brise lentement au sein des groupes armés signataires de l'accord d'Alger. Même si ce groupe semble se démarquer de la guerre engagée par la CMA, son retrait du CSP n'augure rien de bon puisqu'il multiplie le nombre d'interlocuteurs de Bamako. Toute chose qui pourrait complexifier le retour de la paix au pays de Soundiata Keïta.