Burkina Faso: Gestion des matières fécales à la MACO - La double peine des détenus

25 Septembre 2023

Les ouvrages d'assainissement sont vétustes, dégradés et généralement non fonctionnels, à la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Conséquence, de nombreux détenus, concentrés dans les cellules dans des conditions peu hygiéniques, n'ont pas accès aux infrastructures adaptées pour leurs besoins...

En ce début de journée du 10 août 2023, le soleil n'est pas encore au zénith dans la capitale burkinabè. Dans une cellule de la prison civile de Ouagadougou, une vingtaine de détenus sont toujours recroquevillés sous des draps. L'odeur des excréments humains qui se dégagent des toilettes situées à moins de 5 mètres de leur couchette ne semblent pas déranger leur sommeil. A l'entrée de leur « boîte », des eaux de toilette ruissellent de partout. Un coup d'oeil dans l'« épicentre » des odeurs qui embaument la cellule, le constat est désolant. Les portes des latrines sont défoncées. Les W.C complètement bouchés par des objets plastiques, des marmites, des étoffes, des restants d'aliments...Des excréments humains sont visibles par endroit. Hors d'usage, certains détenus n'hésitent pas encore à y déféquer « sans gêne ». Nous sommes en plein dortoir des détenus mineurs de la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). « Chaque 2 mois, les toilettes se bouchent. Les odeurs nous dérangent. Nous n'avons pas souvent le choix. Nous n'avons pas assez de toilettes fonctionnelles », lance F.M, 16 ans, en détention provisoire depuis 21 juillet 2023. Posté depuis, une vingtaine de minutes devant le seul W.C fonctionnel, M.F, âgé de 16 ans, se lamente. Il attend impatiemment que V.G, son codétenu, lui cède vite la place pour qu'il se « libère » de ses déchets qui peuvent lui échapper d'un moment à l'autre. « Nos W.C sont très sales parce que les toilettes sont bouchées.

Pour faire nos besoins, nous sommes obligés d'attendre longtemps. Certains qui manquent de patience, ou qui ne peuvent se retenir se cachent dans les W.C bouchés pour faire leurs besoins dans des sachets plastiques. Ensuite, ils attachent les sachets et les laissent sur place et disparaissent...Ce qui fait que nous sommes toujours dérangés par les odeurs », déplore-t-il. Incarcéré depuis, le 2 août 2022, pour 36 mois, A.T, 17 ans, ne supporte pas les odeurs pestilentielles des excrétas. Mais, dit-il : «je n'ai pas le choix, j'ai fréquemment des nausées et je me demande à quand la fin de ce calvaire ». Au quartier mineur de la MACO, le manque de toilettes ne favorise pas les bonnes pratiques de défécation pour les 110 détenus qui y purgent leur peine ou sont en détention préventive. « Nous avons presque tous les W.C qui sont bouchés. Il ne reste qu'un ou deux qui sont fonctionnels. Il faut attendre trois ou quatre mois pour que le service d'hygiène vienne peut-être déboucher. Pour les enfants, ce sont des W.C qui ne sont pas utilisables », reconnait, le responsable du quartier mineur, Hyppolite Naon.

« Les déchets remontent dans les cellules... »

un jet de pierre du quartier mineur, la situation n'est pas aussi reluisante pour près de 2 000 pensionnaires du « Bâtiment annexe ». Dans ce lieu de détention, avec la surpopulation carcérale, la problématique de l'assainissement des eaux usées et excrétas est un casse-tête aussi bien pour les détenus que pour l'administration pénitentiaire. Au « Bâtiment annexe », l'air est irrespirable. Un cocktail d'odeurs nauséabondes d'urines et d'excréments empeste tous les couloirs... Un coup d'oeil dans les cellules, l'hygiène n'est pas la chose la mieux partagée. Surnommé Rasta à cause de ses « dreadlocks », ce détenu d'une trentaine d'années, partage, la cellule n°2 avec 20 autres prisonniers. Désespéré, il relate leurs calvaires quotidiens : « nous ne pouvons plus déféquer dans notre cellule. Aucun dispositif d'assainissement ne fonctionne. Notre W.C est bouché depuis 18 mois. Ici, comme ailleurs, les déchets remontent dans les cellules. Pour éviter qu'ils ne nous envahissent, nous avons pris un bidon d'eau pour l'enfoncer dans le trou... ».

Dans la journée, Rasta et ses codétenus sont obligés de « quémander » les toilettes des autres cellules pour leurs besoins. Pire, confie-t-il, la nuit, il n'y a pas de solutions pour celui qui veut se débarrasser de ses excrétas. « Toutes les cellules se ferment la nuit. Si, nous voulons déféquer, nous le faisons dans des sachets plastiques en attendant, la journée pour s'en débarrasser, parce que celle-ci est inutilisable. Nous avons informé l'administration de la situation, mais depuis près de deux ans maintenant, aucune réparation », fulmine-t-il. Un tour dans la cellule n°3. Les ouvrages d'assainissement sont dans un état de dégradation très avancé. Le tuyau d'évacuation des eaux usées et excrétas est en mauvais état. Perforées par endroit, les eaux usées ruissèlent partout dans la cellule. « Nous avons attaché, ce plastique de sorte que les eaux usées des toilettes des cellules d'en haut qui retombent via le plafond coulent directement dans nos toilettes usagées », explique A.C. Depuis trois mois, c'est aussi la croix et la bannière pour G.B et ses 17 codétenus de la cellule n°4 pour se débarrasser des usées et déchets humains qui envahissent régulièrement leur « cachot ». Dans leur geôle, le W.C est hors d'usage. Les robinets gâtés. « Aucun dispositif d'assainissement ne fonctionne pas. Le robinet, les tuyaux de la douche suintent... Nous vivons vraiment un grand calvaire », fait-il remarquer.

Un système défectueux

Autre lieu, même calvaire. Vétuste, construite en 1963, la plus vieille baptiste de la MACO, « Le grand bâtiment », est dans un état de délabrement très avancé. Les tuyaux d'évacuation des eaux sont défectueux, troués... La conséquence : sur la baptiste, les eaux usées ruissèlent de partout. A l'entrée de ce lieu de détention, dans les caniveaux bouchés, les eaux de toilette stagnent, avec un nid de moustiques. « Il y a beaucoup de toilettes qui ne fonctionnent pas. Donc, la gestion des eaux usées et excréta est encore plus compliquée », regrette, Adama Yaméogo. Condamné à 10 ans de prison, A.O, chef du « Grand bâtiment » vit, ce « supplice » depuis ses deux ans. « Nous avons trop de problèmes. La dalle suinte. Les eaux usées coulent beaucoup sur tout le bâtiment et dans toutes les cellules. Cela nous dérange énormément. Parfois, certains détenus sont obligés de recueillir, les eaux sales qui contiennent les déchets humains avec des seaux, des grands sachets plastiques...sinon, cela inondent toutes les cellules », témoigne.

A.O. Il ajoute : « Par mois, nous avons des W.C de 3 ou 4 cellules qui se bouchent. Il y'a d'autres où des odeurs répugnantes s'y dégagent. Nous sommes obligés de mettre des tire-bouchons pour ne pas que ces odeurs remontent. Qu'on nous aide à résoudre ces problèmes, sinon ça ne va pas du tout ». A.R purge une peine de 15 ans dans la cellule « condamné 12 » avec 9 autres codétenus. C'est avec peine qu'il évoque ce sujet. « Nous avons un dysfonctionnement au niveau des toilettes. L'eau ne monte pas. Hormis, le 1er étage seulement où elles fonctionnent, au 2e et 3e étage, les détenus sont obligés de faire monter l'eau avec des bidons juste dans quelques cellules. Dans la nuit, pour nos besoins, nous avons des problèmes d'eau. Il faut souvent attendre 22h ou minuit ou carrément dans la journée pour espérer avoir l'eau pour les évacuer », affirme A.R, chef de la cellule « condamné 12 ». Pire, dit-il, avec le nombre « très élevé » de détenus, les canaux d'évacuation se bouchent régulièrement. « Dans les cellules du haut, l'eau n'arrive pas à quitter les couloirs. Elle se déverse partout. Ce qui provoque le délabrement des murs et du bâtiment », ajoute-t-il. Le chef de service d'hygiène de la MACO, l'assistant de Garde de sécurité pénitentiaire (GSP), Adama Yaméogo, reconnait que l'assainissement des eaux usées et excrétas est un véritable problème au sein de l'établissement pénitentiaire. Au quartier des mineurs par exemple, explique-t-il, les anciennes toilettes ne se communiquent pas avec les sorties des égouts de canalisation. « Elles se remplissent rapidement. Or, le véhicule de vidange est en panne.

Donc, pour éviter que les déchets ressortent et causent des maladies aux mineurs, nous avons décidé de les fermer et laisser un seul fonctionner avec la canalisation. Mais avec le nombre important de détenus mineurs, le nombre de toilettes est insuffisant et la gestion des déchets est très compliquée », fait-il savoir. Avec l'indiscipline des détenus et le non-respect des règles d'hygiène, les canaux se bouchent régulièrement et rejettent les déchets et eaux usées à l'intérieur et à l'extérieur des geôles, indique le chef de service d'hygiène de la MACO. « Les détenus ne respectent pas les règles d'hygiène. Avec la surpopulation carcérale, pour deux toilettes à utiliser par 20 ou 30 personnes, la gestion devient compliquée. Le camion-vidangeur nous aidait à vider les W.C qui ne sont pas canalisés et les canaux bouchés pour faciliter le passage des déchets et des eaux. Mais, il est en panne », se lamente, Adama Yaméogo. Ce qui les oblige, dit-il, à appeler souvent le camion-vidangeur de l'Office national de l'eau et de l'assainissement (ONEA) à la rescousse pour débarrasser la MACO des boues de vidange. « Nous avons beaucoup de fosses septiques qui sont défectueuses. Celle qui est située derrière le bâtiment des mineurs ne fonctionne pas. Presque chaque semaine, nous la débouchons. Nous avions une fosse septique qui était remplie et bouchée et qui bloquait même les passages des personnes. Nous avons attendu, une semaine pour que l'ONEA vienne nous aider à la déboucher », témoigne, le chef adjoint du service d'hygiène, Issaka Ouédraogo.

Plus de 600 cas de malades hygiéniques par mois

Outre, le manque d'infrastructures adaptées, l'incapacité d'accès aux ouvrages d'assainissement, le manque criant de matériels pour l'assainissement des eaux usées et excréta demeurent une difficile équation à résoudre au sein de la MACO. « L'administration fait de son mieux pour nous doter de matériels d'assainissement, mais cela est très insuffisant », confie, Adama Yaméogo. Face à ces difficultés, M. Yaméogo et son équipe sont souvent obligés de déboucher les canaux d'évacuation des eaux usées et excréta, à la main. « Pratiquement, le travail se fait à la main, même pour enlever les objets solides qui bouchent les canalisations... », informe le chef de service d'hygiène de la MACO.

La surpopulation, les infrastructures d'assainissement inadaptées, le difficile accès aux ouvrages d'assainissement, les mauvaises conditions de vie et d'hygiène...sont des facteurs favorables pour la propagation de diverses maladies telles que le paludisme, la dermatose, la pneumonie, l'angine... « Nous enregistrons entre 80 et 90 consultations par jour. Le manque d'hygiène dans les cellules et au sein de la prison est un véritable problème sanitaire pour les détenus », confirme l'infirmier-major de la MACO, Abraham Bicaba. Selon les statistiques du service de santé de la MACO, de juin à août 2023, 556 cas de paludisme, 08 de tuberculose, 87 de diarrhées, 772 de dermatose, 133 de parasitose, 561 de pneumonie, 176 affections ostéo-articulaires...ont été enregistrés. A.R, de confirmer : « actuellement, dans toutes les cellules, il y a des détenus qui ont des problèmes de santé surtout la dermatose...Il y'a trop de saletés et il suffit de toucher la douche, le mur...et vous êtes exposés aux maladies ». Quant à Rasta, il regrette que les odeurs répugnantes ne quittent jamais les cellules et leur causent quotidiennement des ballonnements. Pour réduire les cas de ces maladies, propose l'infirmier-major de la MACO, Abraham Bicaba, il faut d'abord désencombrer la prison. « Souvent, les détenus dorment collés alors que ce sont des maladies qui contaminent. Avec les W.C sales, bouchés, les mycoses, des champignons..., ils sont exposés à des maladies. Or, tout le monde n'a pas la possibilité d'avoir du savon pour se laver afin d'éviter les maladies », alerte l'infirmier Bicaba.

Revoir tout le système de canalisation

Las, de déboucher les W.C, de colmater les tuyaux usagés pour retenir les eaux usées et surtout échapper aux nombreuses infections cutanées, A.R et ses codétenus ont décidé de prendre à bras le corps le problème. « Dans notre cellule, nous avons cotisé 17 500 F CFA pour acheter et remplacer les tuyaux usagés afin de faire monter l'eau dans notre cellule pour évacuer les déchets. Malgré cela, l'eau ne monte pas dans la journée. Il faut attendre entre 23h et minuit...pour espérer avoir quelques gouttes pour les utiliser dans la journée », se désole, A.R. Actuellement, fonctionnant avec un système d'égout, dans la prison, les toilettes sont défectueuses, les égouts bouchés, reconnait le directeur de la MACO, l'inspecteur de sécurité pénitentiaire principal, Frédéric Ouédraogo. « Avec plus de 2 000 prisonniers, du fait de la surpopulation carcérale, chaque jour, il y a un tuyau qui lâche, un robinet qui cède, quelqu'un qui a mis un habit dans les fosses septiques pour cacher quelque chose...Donc, chaque fois, il y a des problèmes de ce genre dû à l'oeuvre humaine », déplore M. Ouédraogo. Par exemple, dit-il, avec des tuyauteries en PVC suspendus en l'air...le système d'assainissement du « Bâtiment annexe », n'est pas adapté avec une grande population... Là-bas, la canalisation actuelle est obsolète et en déphasage, affirme le directeur de la MACO.

« Nous pensons même qu'il faut revoir tout le système de canalisation dans les bâtiments pour vraiment prendre en compte certaines préoccupations. Les cellules où les eaux coulent...cela est dû au travail qui a été fait et qui ne répond pas aux besoins de cette grande population », soutient-il. Désormais, le défi, estime-t-il, c'est d'avoir, un grand canal, un centre d'évacuation qui va bien canaliser et pouvoir évacuer toutes les eaux usées et excréta de la prison. « Les petits canaux que nous disposons sont insuffisants. En plus, les tuyaux sont moins larges. Si quelques objets solides y passent, ils se bouchent facilement. Si, nous disposons de tuyaux larges et, de grands canaux, cela permettra d'évacuer facilement les eaux usées et les déchets », propose Fréderic Ouédraogo. Pour résoudre toutes ces questions d'assainissement et de gestion des eaux usées et excréta, le directeur de la MACO pense qu'il faut aussi résoudre la question de la surpopulation carcérale. « Il faut désengorger la prison pour que les bâtiments puissent occuper les effectifs qui devraient les occuper. Chaque bâtiment a sa capacité d'accueil, au-delà la gestion devient difficile », estime-t-il. « Le camion-vidangeur n'avait pas trop de pression et n'arrivait pas à bien vider les déchets. Si, on peut nous trouver un autre camion-vidangeur avec beaucoup de pression, cela allait beaucoup nous aider », espère le chef de service d'hygiène de la MACO, Adama Yaméogo. En attendant cette " solution miracle", il souhaite qu'on dote son personnel de matériels appropriés...

 

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