A la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), une soixantaine de femmes détenues gèrent non sans peine leur féminité dans les cellules. Elles ont l'accompagnement de l'administration pénitentiaire et de certaines structures associatives pour les aider à y faire face. Mais confrontées à la surpopulation et à la promiscuité, ces détenues sont régulièrement sujettes à des infections lorsque leur corps entre dans cette phase du cycle menstruel.
Jeudi 10 août 2023. Il est 10 heures lorsque nous franchissons la porte d'entrée du quartier des femmes de la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Les battants se referment immédiatement à double verrous derrière nous. Une ambiance assez décontractée nous accueille dans la cour. On s'y croirait dans un domicile familial. On prépare..., lessive..., mange..., allaite..., discute..., écoute la radio ou regarde la télévision. Des enfants courent et jouent dans la cour. Les plus nantis, dans leur geôle, disposent de ventilateurs et de téléviseurs avec un abonnement au bouquet. Ce qui manque à ces pensionnaires, c'est la famille et la liberté. Dans d'autres cellules, l'ambiance est toute autre. L'on y aperçoit des détenues assises, visages pâles et assombris.
Par cellule, les occupantes sont en grand nombre, jusqu'à 25 personnes pour les grandes et 9 pour les plus petites. Une exiguïté qui rajoute une couche à la tension. Elle réduit aussi l'espace d'intimité de chacune qui peine à vivre dignement sa féminité. Entre les quatre murs déjà bondés de monde, sont entassés les effets personnels. Des sacs d'habits, des ustensiles de cuisine, des seaux d'eau sont disposés çà et là. Les sous-vêtements pendent sur des pagnes cloisonnés. C'est dans cette promiscuité également que les prisonnières sont aussi obligées de gérer leur cycle menstruel et surtout leur écoulement de flux sanguin variant de 2 à 7 jours, selon les individus.
En milieu carcéral, la tâche est ardue. Elle l'est encore davantage lorsque les règles sont accompagnées de douleurs pelviennes. Cela est pratiquement le quotidien de SakinaTraoré (nom d'emprunt). Elle explique que pendant cette période elle s'isole pour ne pas se faire remarquer. Pour elle, lorsqu'on est dans une prison, « on ne perd pas que sa liberté d'aller et venir, mais jusqu'aux droits les plus intimes ». Comme Mme Traoré, elles sont nombreuses ces prisonnières qui vivent leurs périodes de menstruation comme une seconde peine, ajoutée à la privation de liberté. Ne pouvant plus s'acheter des serviettes hygiéniques de leur choix, elles se contentent de ce que l'administration pénitentiaire met à leur disposition. Myriam Ouédraogo (nom d'emprunt) une autre détenue récemment admise dans le quartier des femmes, dit n'être pas encore prise en compte dans la distribution des kits hygiéniques aux pensionnaires. Pendant ses menstrues, elle ne reçoit ni serviettes hygiéniques lavables, ni jetables.
Seuls des morceaux de pagne lui servent de protection. « Malheureusement, les morceaux de pagnes n'arrivent pas à contenir mes règles et me causent fréquemment des infections. Actuellement, j'ai des boutons au niveau de mon appareil génital et des jambes. Je souffre énormément », s'indigne-t-elle. Elle explique la précarité de sa situation par le fait qu'elle n'a pas de parloir. « Je ne reçois pas de la visite de mes parents. S'ils venaient, ils pourraient m'apporter, ne serait-ce que des serviettes hygiéniques », déplore-t-elle.
Aussi, ces détenues affirment que la boule de savon qu'elles reçoivent chaque mois est pas insuffisante. « La boule de savon doit être utilisée pour la douche et la lessive. Cela est insuffisant. Mais le problème ne se pose pas pour celles qui reçoivent de la visite », indique la nouvelle détenue. Sakina Traoré confie que gérer les menstrues en milieu fermé n'est pas du tout facile. « Les cellules sont exigües. En plus, le manque d'hygiène chez certaines femmes peut nous causer des ennuis. Nous sommes nombreuses par cellule (22) et nous nous adaptons pour ne pas indisposer les autres. Chacune de nous essaie de faire de son mieux », explique la détenue Traoré.
Et à Nadine Nacoulma (nom d'emprunt) de mentionner que lorsqu'une détenue a ses menstrues, toutes les autres femmes le savent. La surpopulation carcérale est un calvaire pour les personnes emprisonnées et encore plus pour les femmes. Sakina Traoré confie qu'elle essaye de s'adapter parce qu'avec la promiscuité, aucune hygiène parfaite ne peut être garantie. Alimata Tagnan (nom d'emprunt), une autre détenue, partage cet avis. Elle est incarcérée pour coups et blessures depuis 8 mois. Les yeux noyés de larmes, elle éclate en sanglots pendant quelques minutes avant de reprendre la parole, la voix enrouée pour décrire sa situation.
Au-delà de sa peine, elle pleure le sort des enfants détenus en prison avec leurs mères. « Ce n'est pas facile pour nous de vivre ici. Mais quand je vois ces enfants innocents qui, privés de toute liberté sont détenus derrière les barreaux avec leurs mères, ça me fend davantage le coeur », se désole-t-elle. Dans un profond soupir, les larmes se mettent à couler à nouveau sur le long de ses joues. « Si j'étais là avec mes enfants... », marmonne-t-elle, avant de revenir sur les difficultés qu'elle rencontre dans l'utilisation des serviettes hygiéniques et l'usage commune des toilettes.
Des risques d'infections
Pour elle, bien que les toilettes soient lavées tous les jours à l'eau de javel, le contact avec le sang d'autrui est très risqué, car, le risque zéro n'existe pas surtout dans ces milieux. Dame Traoré souligne que la détenue a souvent besoin d'une certaine intimité lorsqu'elle est en menstrues. Elle, qui cohabite avec huit autres codétenues dans la plus petite cellule du quartier des femmes, explique que l'espace est restreint. « J'ai toujours des douleurs au bas-ventre, lorsque j'ai mes règles.
Ce qui m'amène à me tenir à l'écart des autres», souligne-t-elle. La surpopulation carcérale et la promiscuité favorisent fréquemment des infections chez ces détenues de la MACO. Sakina Traoré témoigne que quatre mois après son arrivée en prison, elle a eu des terribles maux de bas-ventre qui ont occasionné son évacuation dans un centre de formation sanitaire pour des soins. « Les infections sont légion et courantes au sein de la MACO. J'ai fait des examens et le service de l'action sociale à couvert les frais, même si elle n'arrive pas toujours au moment opportun », affirme-t-elle. La gynécologue obstétricienne, chef du département de gynécologie au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, Pr Blandine Thiéba explique que l'hygiène des menstrues est l'ensemble des stratégies mises en oeuvre par les femmes lors de la survenue des règles.
A son avis, c'est la façon dont les femmes restent propres et en bonne santé pendant les menstruations et comment elles acquièrent, utilisent et se débarrassent des produits qui absorbent le sang des règles. Elle affirme que la gestion de l'hygiène menstruelle est un élément important dans la vie de la femme en âge de procréer. Selon elle, une mauvaise gestion peut entrainer un mal-être chez les femmes ayant des conséquences au cours de cette période du cycle de la femme. Elles utilisent des serviettes hygiéniques à usage unique ou réutilisables. Pr Thieba soutient également que le cadre de vie, toilette propre, disponibilité de latrines simples ou améliorées, eau courante, poubelles ou système d'élimination des déchets appropriés, lave-linge et séchoirs de linges appropriés, sont indispensables à une bonne hygiène.
« Il faut des commodités pour une bonne hygiène menstruelle. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, elles constituent des facteurs importants de mauvaise hygiène menstruelle. Pendant les menstrues, l'utilisation des serviettes lavables suppose que celles-ci sont bien séchées au risque de contribuer à la survenue d'infections », prévient-elle. Aussi, souligne-t-elle, en milieu carcéral, les conditions ne sont pas toujours idéales du fait de la surpopulation et du manque d'espace. Blandine Thieba laisse entendre que ceci pourrait remettre en cause une bonne gestion de la période des menstrues.
Pour la gynécologue, cette difficulté de gestion des menstrues va plus se ressentir en période de chaleur. Car, souligne- t-elle, les risques de macérations et de mycoses des parties génitales sont plus élevés surtout chez les femmes obèses d'où le caractère indispensable de bonnes conditions de vie. Aussi, le Pr Thieba révèle que sur le plan anatomique également, la proximité de l'anus est un facteur de risques d'infection du fait de la présence de germes dans le tube digestif.
Ce qui nécessite de disposer suffisamment d'eau, de toilettes propres et de serviettes hygiéniques lors des menstrues en milieu carcéral. « Celles qui ont des démangeaisons lors de l'utilisation des serviettes jetables sont allergiques probablement à ces serviettes, sauf si ces dernières avaient des infections mycosiques préexistantes », souligne-t-elle. Elle conseille d'une part de privilégier l'utilisation des serviettes en coton et bien les faire sécher. D'autre part, elle exhorte de consulter le plutôt possible en cas de démangeaisons.
Des efforts conjugués
Malgré les efforts consentis par l'administration pénitentiaire et les bonnes volontés, la gestion des menstrues est encore loin d'être parfaite comme en milieu ouvert. Selon le directeur de la MACO, Fréderic Ouédraogo, l'administration fait d'énormes sacrifices pour combler les besoins des détenues dans la prison. A l'arrivée des femmes à la MACO, elles sont reçues par le chef de service du quartier des femmes de la MACO, Agathe Bognana, qui discute avec elles sur tous les règles et principes du quartier.
« Chaque femme reçoit un kit hygiénique et nous les sensibilisons à son utilisation », précise-t-elle. La jeune détenue, Nadine Nacoulma (nom d'emprunt), âgée de 18 ans, emprisonnée pour fait de coups et blessures, affirme avoir reçu ce kit qui est offert mensuellement aux femmes. En appui à l'administration pénitentiaire, des associations volent aussi au secours des femmes pour la gestion de leurs menstrues.
La responsable du quartier des femmes, Agathe Bognana, confie que des structures associatives travaillent dans ce sens en associant aux dons des serviettes hygiéniques réutilisables, des actions de sensibilisation pour une bonne gestion menstruelle dans le milieu. Si, les détenues se réjouissent des dons de kits jetables, elles affichent plutôt leur préférence aux serviettes réutilisables (lavables) en tissu qui sont, selon elles, plus pratiques, saines et confortables. « Moi particulièrement, quand j'utilise les couches jetables que l'administration nous donne, après les quatre jours d'utilisation, des plaies apparaissent au niveau de mes entrejambes.
J'ai aussi de terribles démangeaisons au niveau du sexe », confesse Alimata, une autre détenue. Emilie Tiendrebéogo, directrice générale de Palobdé Afrique, une des associations intervenant au profit des détenues, indique que la bonne hygiène menstruelle implique qu'il y ait aussi la disponibilité d'eau, du matériel de rinçage des serviettes et un endroit pour les sécher. Sa structure apporte son concours à cette fin pour contribuer à faire en sorte que la période des menstrues ne soit plus un handicap à l'épanouissement des femmes et des jeunes filles.
Malheureusement, reconnait Mme Tiendrébéogo, en plus du tabou nourri autour des menstrues rendant complexe leur gestion, la situation est encore plus compliquée quand les femmes se retrouvent en prison. Leur combat, soutient-elle, est donc de venir « en aide à ces personnes défavorisées en vue de leur donner de la dignité, afin qu'elles se sentent humaines pendant la période de menstruation ».
Difficile accès aux soins spécialisés
Au niveau de l'infirmerie de la MACO, les détenues y vont pour des consultations diverses, mais elles ne disposent pas de produits spécialisés et de spécialistes pour leurs prises en charge adéquates. Alimata Tagnan de souligner que deux mois après son arrivée en prison, elle a eu des infections. « Quand je suis allée en consultation, on m'a prescrit une ordonnance. C'est ma famille qui l'a honorée parce que l'infirmerie ne disposait pas de produits », témoigne-t-elle. L'infirmier major de la MACO, Abraham Bicaba, précise que pour les problèmes de règles douloureuses, l'infirmerie dispose parfois de certains médicaments injectables ou en comprimés qui sont remis aux femmes.
Quand la pharmacie locale connait une rupture de ces produits, ce sont les familles qui se chargent de leur en procurer de dehors, précise-t-il. « Nous avons aussi des médecins bénévoles de SOS MEDECIN qui nous appuient à raison de deux visites par semaine où nous les referons. Dans ce cas-ci, nous organisons une sortie pour consultation gynéco à Yalgado ou à Saint Camille », explique-t-il. Pour le cas des infections, l'agent de santé cite aussi des molécules de traitement qui sont dispensées aux malades. « Il y a aussi le service de l'action sociale qui fait de son mieux pour payer les produits souvent manquants pour certaines femmes dépourvues de visites familiales, mais ce n'est pas toujours évident », ajoute-t-il. Le major Bicaba soutient que des menstrues mal gérées peuvent occasionner des risques d'infections, des écoulements vaginaux.
« Il y a des produits en manque, ce qui complique notre travail. Nous sommes obligés de prescrire des ordonnances pour que les intéressées puissent s'en procurer hors de l'établissement », déplore-t-il. Ces femmes demandent que l'administration leur donne plus de serviettes lavables qui sont plus confortables. Elles souhaitent avoir plus qu'un savon pour leur permettre de bien gérer leurs périodes de menstrues pour celles qui ont un écoulement sanguin abondant. Quant au major, Abraham Bicaba, il plaide pour que ces femmes en détention puissent obtenir des serviettes hygiéniques qui leur conviennent le plus, et de veiller à ce qu'il y est des produits (molécules) pour une meilleure prise en charge en cas d'infections et de règles douloureuses. La responsable de la société Palobdé Afrique invite les autorités à être plus regardantes aux besoins spécifiques des femmes.
Car, selon elle, beaucoup de programmes, de projets mis en oeuvre pour ces femmes ne tiennent pas assez compte de la question de menstruation. Elle lance un appel pour que ces femmes aient du matériel adéquat, surtout qu'elles ont souhaité avoir des serviettes réutilisables. « S'il était possible d'avoir des séances de sensibilisation à la gestion des menstrues et à comment s'entretenir pendant les périodes de règles au profit des petites soeurs, ce serait une bonne chose. Il y a même des enfants de 14 ans, ici, qui ne maîtrisent pas la gestion des menstrues », plaide la détenue Sakina Traoré.