Sénégal: Abdoul Aziz Guèye Mansour, chef de projet de la Grande Mosquée de Tivaouane - « Dans quelque temps, on invitera toute la Oumah à venir assister à l'inauguration »

27 Septembre 2023
interview

Abdoul Aziz Guèye Mansour, chef du projet de la grande mosquée de Tivaouane connait bien l'histoire de la construction de cet ouvrage tracé par Seydi Elhadji Malick Sy en 1904.

Son père, Moukhamadou Mansour Guèye, lui aussi, ingénieur des travaux publics, a assuré avant lui la direction du projet, en 1978 lorsque Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh a décidé de l'extension de la mosquée. Ainsi, a-t-il baigné dans ce projet très jeune. Ne voulant pas donner de date, il assure que bientôt toute la Oumah sera invitée pour l'inauguration de la grande mosquée de Tivaouane. Pour lui, l'honneur échoit à Serigne Babacar Sy Mansour d'achever les travaux.

Pouvez-vous revenir sur l'histoire de la grande mosquée de Tivaouane actuellement en chantier ?

Il faut d'abord souligner ou retenir que l'inauguration de cette mosquée date de 1904 par El Hadji Malick Sy. 1904, c'est aussi l'année de naissance de mon homonyme, Abdoul Aziz Sy Dabakh. Quand lui-même (Abdoul Aziz Sy Dabakh) a voulu étendre l'oeuvre de son vénéré père, Seydi El Hadji Malick Sy, il l'a fait en voulant conserver le travail de son père et de son frère aîné, Serigne Babacar Sy. La mosquée telle qu'elle a été édifiée par Seydi El Hadji Malick Sy a été réaménagée par Serigne Babacar Sy. Abdoul Aziz Sy Dabakh avait fait appel à un architecte du nom de Cheikh Ngom pour lui proposer des plans pour le réaménagement de la mosquée.

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C'est la huitième esquisse qui a donné naissance à la mosquée que nous avons connue sous forme ovoïde. Les travaux avaient débuté en 1978 sous le magistère de Abdoul Aziz Sy Dabakh. À l'époque, la direction du projet était confiée à mon père, Moukhamadou Mansour Guèye, ingénieur des travaux publics. J'accompagnais mon père lors de ses visites de chantier alors que j'étais étudiant à l'École polytechnique de Thiès. J'ai suivi les différentes étapes de ce projet depuis sa formulation.

Quand l'actuel kKalife, Serigne Babacar Sy Mansour a voulu reprendre les travaux, il a tenu à poser ses pas sur ceux de ses pères et grand pères en respectant le tracé originel de cette mosquée. Pour la petite histoire, le tracé de cette mosquée, surtout son orientation a été décidée des pieds de trois vénérables anciens : Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, accompagné de Thierno Seydou Nourou Tall et de Serigne Hady Touré. Ce sont eux qui étaient les têtes pensantes de cette mosquée. Nous avons été instruits de reprendre les travaux, de les moderniser et de les étendre tout en respectant le tracé originel, voeux de nos ancêtres.

Tout le monde a vu que dans cette mosquée, il y avait un minaret qui était juste au niveau de la zone de prière principale dans le sens de la Qibla. Le premier design de ce minaret culminait à 87 m. Quand mes pères ont présenté les résultats de leur réflexion à Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, ce dernier a marqué un temps d'arrêt. En un moment, il a posé la question sur la hauteur du minaret de Touba (qui était à 85 m). Quand la réponse lui a été donnée, il a demandé de réduire le minaret à 82 m. Quand je lui ai posé la question, moi-même en lui disant, « mais grand père pourquoi cela ? » Il a dit : « Mbir Mi Dou course » (ce n'est pas une compétition).

Il a demandé qu'on fasse moins que le minaret de Touba. Je lui avais dit qu'on ne peut pas réduire comme ça parce que ce sont des étages. Il m'a répondu : « aidez-moi et faites ce que je veux » (« Dimbalé ma Ngueen Defal ma lima Beug »). Cela a nécessité de reprendre les plans parce qu'on ne peut ajouter des mètres et diminuer. Il fallait diminuer des étages. L'instruction initiale, c'était de faire moins que le minaret de Touba. L'actuel Khalife, Serigne Babacar Sy Mansour a tenu aussi à ce que nous ne dépassions d'un centimètre les 82 m. On a respecté les consignes initiales de notre grand père, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh. C'est cela la difficulté de ce projet. On vous demande de faire oeuvre nouvelle tout en restant sur ce qui a été fait. Le chantier a duré trois ans et c'est une performance. Mais on aurait dû aller très vite, on n'a pas eu le loisir de concevoir le bâtiment. Il fallait tenir compte des recommandations et de la surveillance de nos responsables religieux. Tout est validé par le Khalife qui nous surveille tout le temps.

La mosquée de 1904 est à l'intérieur de la mosquée en construction. On l'a protégée parce qu'elle était en banco et on lui a fait un dôme de 30 m au-dessus soit un immeuble de 10 niveaux. L'objectif n'est pas de faire du gigantisme. Nous sommes persuadés que quelqu'un est là et veille sur ce que nous pouvons faire, nous ne devons[AD1] pas faire ; c'est comme une main invisible qui nous permet de trouver une solution quand on fait face à un dilemme.

On a constaté sur le site que la décoration n'est pas fortuite. Le choix des textes et versets n'est pas neutre. Comment se fait la validation des textes à graver sur les murs ou les portes ?

Les Turcs ont amené leurs équipes de conception pour la décoration. La conception est faite ensemble de manière continue avec les Turcs. Mais quel que soit ce qu'on veut graver ou écrire (poème de Seydi El Hadji Malick, sourate ou nom de Dieu), cela doit être validé par le Khalife. Il y a un comité de pilotage avec au-dessus l'ensemble des membres de la famille qui prennent les décisions. Nous sommes une force de proposition et nous ne sommes pas dans un environnement fermé. C'est ouvert et nous avons fait comprendre cela à tous ceux qui interviennent dans le projet.

La spécificité de cette mosquée c'est d'arriver à casser, concevoir et décorer en même temps. Même les emplacements des liminaires sont calculés par rapport à la décoration. Tout est calculé en fonction de la décoration. Les 99 noms de Dieu que nous mettons au-dessus des portes et des fenêtres idem. Ce sera aussi un ouvrage connecté, inscrit dans l'ère du temps avec une salle de commande où la totalité des alarmes sont reportées.

Toujours par rapport aux innovations, qu'est ce qui est prévu pour que la mosquée soit autonome en énergie et en eau ?

D'abord pour l'eau, le Khalife avait investi pour un forage sur cette mosquée. C'est ce forage qui nous a permis de construire. Pour la phase construction, on était déjà autonome en eau avec le premier forage de 85 m pour un débit de 15 m3. Maintenant, le Ministre de l'Eau et de l'Assainissement a suggéré à la Sones, dans le cadre de sa politique Rse, de réaliser un second forage de 500 m de profondeur (160 m3 par heure) dans la mosquée qui permet de subvenir à tous les besoins pendant le Gamou et les prières du vendredi. Actuellement, on est en train de raccorder ce forage au réseau haute ville de Tivaouane. Nous pourrons, dans le cadre de nos opérations courantes, participer à l'alimentation en eau. Pour ce Gamou, le forage va renforcer l'alimentation en eau de Tivaouane.

Il en est de même pour l'énergie. Avec une mosquée d'une telle envergure, il y a un volume d'air impressionnant à refroidir. En termes conceptuels, l'image que nous avons utilisée pour concevoir la structure de cette mosquée est la mosquée du Prophète de Médine, avec des centrales à eau glacée. Cela nécessite beaucoup d'énergie et on ne peut compter sur les quêtes et les participations des talibés. Le premier des entretiens, c'est de pouvoir payer les factures. Nous avons trois groupes à eau glacée de 300 kilowatts chacun pour la climatisation.

On ne peut attendre des talibés qu'ils payent les factures. Le Khalife a obtenu du Président de la République une licence d'IPP (Indépendance-Power-Production) de production d'énergie solaire pour qu'on vende la production à la Senelec et on rachète à cette société au même prix. La licence pour la centrale solaire de 10 mégawatts a été obtenue par le Khalife et les travaux vont bientôt démarrer. La mosquée sera autonome et excédentaire en énergie. L'excédent sera cédé à la Senelec, ce qui va nous permettre de supporter la totalité de ses charges et même plus. La mosquée aura sa propre équipe d'équipements et d'entretien. Il y aura une équipe pour la totalité des corps de métier.

Tivaouane, c'est un daara avant la mosquée. Les ouvriers et le personnel qui seront ultérieurement chargés de l'entretien de la mosquée seront recrutés parmi les ouvriers du chantier. On a exigé de tous les sous-traitants qu'il y ait un volet formation pour que les jeunes puissent avoir des qualifications. Derrière, nous avons créé « Adjana Maintenance » du nom de l'association qui a reçu mandat du Khalife général pour achever les travaux de la mosquée. On a créé une unité qui sera chargée de l'exploitation et de la maintenance de la mosquée.

À quand la fin des travaux pour que la mosquée soit utilisable ?

Malheureusement, à chaque fois que j'ai donné des délais, il y avait un petit couac avec les transitaires ou autres. J'ai l'impression que le propriétaire de l'ouvrage ne veut pas qu'on donne des délais (rires). D'abord, la construction d'une mosquée ne finit jamais. Si vous allez à Médine, vous verrez que les travaux sont toujours en cours. Il est illusoire de penser que nous allons finir au bout de trois ans. Nous pensons que nos fils et petits-fils auront toujours matière à changer quelque chose. Par contre, ce qui nous incombe, c'est d'assurer le fait qu'on puisse y prier même si on continue de travailler. Il faut qu'on l'aménage pour que le Khalife puisse l'inaugurer et y diriger les prières. On essayera de rendre cette mosquée aux fidèles le plus tôt possible.

Peut-on savoir le coût exact du financement ?

Après la construction, le solaire, la troisième composante est composée des parasols à installer sur l'esplanade. Ce sont les mêmes parasols qu'on voit lors du pèlerinage aux lieux saints de l'islam. Les coûts des trois composantes peuvent évoluer, ce qui fait qu'il est difficile de donner un montant. Ce qu'il faut retenir, c'est que cette mosquée se construit avec l'argent des fidèles. Nous venons de dépasser à peu près 50% du coût de l'infrastructure initiale. Nous lançons encore un appel aux fidèles à contribuer à l'édification de cette mosquée. Même si nous avons un montage financier, il nécessite un remboursement. Nous pensons que nous avons les moyens de faire l'édifice et nous n'avons aucun doute que nous allons arriver à bon port par la grâce de nos vénérés marabouts.

Par contre, nous avons besoin de tout un chacun. Cette mosquée, Abdoul Aziz Sy Dabakh aurait pu la réaliser en un claquement de main. J'ai vu plusieurs fois que des gens hauts placés sont venus pour achever la mosquée et il a toujours refusé. J'étais surpris. Mais quand on lui posait la question de pourquoi son refus, il répondait : « je veux que le petit vendeur d'arachides grillées qui a 25 FCfa et qui veut participer aux travaux puisse le faire au même titre que les autres ». En 1978, on avait fait des cartes postales pour les vendre à 100 FCfa, il a demandé d'arrêter pour donner la chance à celui qui n'a que 25 FCfa. Pour lui, celui qui n'a que 25 FCfa pour contribution aura la même bénédiction que celui qui a mis un milliard.

Il ne voulait pas que les milliardaires soient les seuls à contribuer à la construction de la mosquée. Il nous a réservé une place pour qu'on puisse tous y mettre notre contribution. C'est une générosité de sa part. Il faut donc qu'on mette tous la main à pâte pour terminer le financement ; le cas contraire, on prend l'engagement de terminer la mosquée parce que rien n'est trop beau pour l'islam. Dans quelque temps, on invitera toute la Oumah à venir assister à l'inauguration de cette mosquée qui est une fierté pour tous les musulmans.

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