Moins d'une semaine après l'accident d'un avion-cargo malien sur l'aéroport de Gao, les informations récoltées en ligne nous permettent d'avoir une idée plus précise des circonstances du crash. Des zones d'ombres subsistent, mais face au mutisme des autorités maliennes, les faits n'ont pas tardé à remonter à la surface, appuyés par la publication, jour après jour, de plusieurs vidéos disponibles librement sur les réseaux sociaux.
Tout commence le samedi 23 septembre 2023, lorsque le service Mandekan-Fulfude de RFI donne l'alerte. Une photo nous parvient : un Ilyushin II-76 se serait écrasé prés de l'aéroport de Gao. Une rapide analyse de l'image permet de confirmer le type d'appareil. L'épave brûle, dégageant une épaisse fumée noire, mais l'empennage (la partie arrière de l'appareil, en forme de T) est intacte. Après plusieurs comparaisons, le constat est là. Il s'agit bien d'un Ilyushin II-76.
Très vite, on pense que l'appareil a fait une sortie de piste. Dans la foulée, l'Agence France-Presse évoque l'accident, citant un porte-parole de l'armée allemande, encore présente à Gao dans le cadre de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). « Selon les informations dont nous disposons actuellement, l'avion a dû dépasser la piste d'atterrissage », affirme-t-il, précisant que ce n'était pas un avion de l'armée allemande. « Il s'agit d'un avion de modèle IL-76 (de construction russe), qui n'est pas utilisé exclusivement par les Russes, mais aussi par les forces maliennes et bien d'autres », ajoute-t-il.
La présence autour de Gao d'un autre Il-76, opéré par la compagnie d'Azerbaïdjan Silkway Airlines, vient encore ajouter à la confusion. Mais les avions de cette compagnie privée portent une décoration bleue, alors que l'appareil accidenté est blanc. Ce dimanche 24 septembre, les choses se précisent. L'avion qui s'est écrasé samedi « appartenait à l'armée malienne et transportait notamment des militaires du groupe paramilitaire russe Wagner », fait savoir l'AFP en citant une source militaire, et les secours sur place. « Samedi soir, des blessés blancs ont été transportés par un autre avion vers une destination inconnue », assure pour sa part une source aéroportuaire. « Lors de l'arrivée des rescapés à Gao, il n'y avait presque que des soldats russes de Wagner », renchérit une source proche des sapeurs-pompiers répondant à l'AFP.
À ce moment-là, la junte au pouvoir ne fait aucun commentaire, pas une ligne dans un communiqué, aucune trace des corps, aucun témoignage chez les blessés... Il est aussi impossible d'approcher l'épave de l'avion. Sur les réseaux sociaux, les internautes s'interrogent. Comment cacher une catastrophe aérienne ? Qui y avait-il dans la carlingue dévastée par les flammes ? Le compte X (anciennement Twitter) du collectif All Eyes On Wagner, qui passe au crible les activités du groupe paramilitaire russe, parle d'un bilan de 140 morts. Cette information reste actuellement invérifiable. On sait uniquement qu'un Il-76 peut accueillir jusqu'à 140 personnes dans sa configuration de transport de troupes.
À la recherche de l'Ilyushin
Face à l'opacité des autorités concernant la nationalité et le nombre de victimes, RFI décide alors de s'intéresser à l'appareil et aux circonstances du crash. Le 24 septembre 2023, coup de théâtre : une photo assez claire d'un Il-76 blanc, portant la cocarde malienne sur le bas de la dérive (partie arrière), est publiée en ligne. C'est une première, car l'avion n'apparaissait pas jusqu'alors dans l'inventaire de l'armée de l'air malienne qui, officiellement, possède bien des Casa 295 de transport mais pas d'Ilyushin, un modèle beaucoup plus gros.
La question qui se pose alors est de savoir où et quand a été prise cette image ? En la retraçant en ligne, on découvre qu'elle fuite tout d'abord sur un forum allemand de passionnés d'aviation. Elle est postée par un compte visiblement crée pour l'occasion, avant de disparaître quelques minutes plus tard. Entre-temps, la photo a été largement diffusée sur les réseaux sociaux. Encore plus troublant, ce sera la seule contribution de ce mystérieux compte, intitulé « GameMix », qui écrit en commentaire le 24 septembre à 2h32 : « J'étais là-bas, aujourd'hui [au moment du crash, NDLR]. Nous étions au point d'arrêt A, ce n'était pas une machine Silk,TZ98 peut-être confirmé pour l'instant ». L'accident est dû à « des erreurs de pilotage ». Il y a donc des témoins, qui visiblement souhaitent rester discrets tout en apportant des éléments intéressants.
L'avion serait immatriculé Tango Zoulou 98 (TZ98). TZ est le code désignant la république du Mali sur les registres de l'Organisation de l'aviation civile International (OACI). Mais jusqu'alors, cet appareil n'avait été vu nulle part avec ce code. Peut-il alors s'agir d'un avion-cargo russe utilisé pour transporter les miliciens de Wagner, mais repeint aux couleurs de l'armée malienne afin de brouiller les pistes ? Ce qui est sûr, c'est que ce crash s'est produit dans un contexte de tensions grandissantes entre les différents acteurs armés du nord du Mali et l'armée malienne. Les Famas et leurs supplétifs russes se disputent le contrôle du territoire, et envoient des renforts, au moment où la Minusma se retire. La piste du mystérieux Il-76 immatriculé au Mali nous mène d'ailleurs indirectement à la force de l'ONU au Mali.
Sous les yeux de la Minusma
En regardant avec attention la photo publiée le 24 septembre, on parvient facilement à déterminer l'endroit où le cliché a été pris. C'est à Gao, au point d'arrêt situé sur la bretelle de circulation, aussi appelée taxiway, qui relie le parking des appareils de la Minusma à la piste principale. Autre détail important : la vidéo dont a été tirée la photo a été tournée depuis la cabine d'un avion qui attendait vraisemblablement que la piste se dégage pour s'aligner et décoller.
En haut à droite de la photo, on y retrouve un nouvel indice. Un bout de perche grise qui dépasse au-dessus du cockpit. Il s'agit d'une perche de ravitaillement en vol. Dans l'inventaire de la Minusma, seuls les C-130J Hercules et les Airbus A400M allemands en sont dotés. On sait que le trafic d'avion cargos de la Luftwaffe est important sur la base de Gao, car les Allemands déménagent leur base après l'expulsion par le Mali de la force onusienne dont ils font partie.
La fuite provient donc sûrement d'un équipage allemand. Une piste confirmée par le reflet du pilote sur la vitre du cockpit, visible sur cette photo. En zoomant et en ajoutant du contraste à l'image, on distingue un écusson allemand sur l'épaule du pilote à l'origine du cliché.
Nous avons essayé de joindre les services de communication de l'armée allemande concernant les mouvements de leurs avions le jour du crash à Gao. Nous n'avons reçu aucune réponse au jour de l'écriture de cet article. En fait, tout laisse à penser que la photo a été prise une poignée de seconde avant l'accident. Les images satellites de l'aéroport de Gao, de basse qualité, le jour du crash, laisse deviner qu'un gros porteur était bien stationné sur le parking de la Minusma le jour du crash.
La vidéo complète du crash
Mercredi matin, nouvelle surprise : la vidéo complète de l'accident est publiée sur X. La confirmation que nous attendions est sous nos yeux. Sur ce nouvel enregistrement, pris d'un autre angle (peut-être d'un toit ou de la tour de contrôle), on distingue l'Il-76 blanc se poser, en passant devant un A400M militaire peint en gris, précisément celui d'où a été prise la photo précédente.
L'avion-cargo malien serait surchargé. Il roule vite et ne parvient pas à freiner assez efficacement. Arrivé en bout de piste, il quitte le béton, et dans un nuage de poussière, poursuit sa course à travers champs. S'ensuit une explosion qui va laisser vraisemblablement peu de chances de survie aux passagers. À regarder la vidéo de plus près, on s'aperçoit que l'Il-76 a quasiment posé les roues au sol à la moitié de la piste. Il ne lui reste donc qu'une distance réduite pour réussir son atterrissage, environ 1 000 mètres selon nos calculs. Ce qui n'était visiblement pas suffisant dans la configuration qui était la sienne pour espérer stopper l'appareil.
Une nouvelle photo, non datée et apparue en ligne le mercredi 27 septembre, montre ce qu'il reste de l'Ilyushin Il-76 après son crash au-delà des limites de la piste. Nous avons géolocalisé ce cliché pour confirmer qu'il s'agit bel et bien de cet Il-76.
Pourquoi n'a-t-il pas remis les gaz ? L'enquête le dira peut-être un jour. En attendant, cinq jours après l'accident, le pouvoir malien n'est pas sorti de son silence. Coïncidence ou non, la page Facebook des forces armées maliennes fait référence ce mercredi 27 septembre à la mort d'un aviateur : le lieutenant-colonel Moussa Traoré, un spécialiste de la maintenance aéronautique, disparu « le 23 septembre 2023 au cours du service aérien commandé », sans toutefois livrer plus de détails sur les circonstances de son décès.