Afrique: France,Niger et France - Triomphe de circonstance et réalités géopolitiques

28 Septembre 2023

Afin que nul n'en n'ignore et que la passion laisse la place au réalisme. La France a certes perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre

Ce n'est pas parce que vous avez fait tomber quelques feuilles d'un arbre ou réussi à couper une branche, que vous pouvez croire que l'arbre est mort, alors que le tronc se dresse encore majestueusement debout, que de nombreuses branches continuent de lui garder tout son équilibre en titillant les arbres voisins, et que ses racines sont toujours solidement enfoncées dans la terre. En conséquence J'invite les uns et les autres à faire très attention pour ne pas subir le sort du chasseur naïf qui fonce sur le gorille atteint d'une balle en le donnant pour mort, et se fait finalement tuer.

1 - Rarement forfaiture diplomatique aura dans l'histoire des relations entre les nations, égalé celle dont vient d'inscrire dans son bilan, Monsieur Emmanuel Macron, le président de la république française. Les prochaines générations d'étudiants en relations internationales seront très édifiés lorsqu'ils retrouveront dans les exercices pratiques de droit international portant sur l'application de la convention de Vienne de 1963 relative aux relations diplomatiques, l'affaire Franco-nigérienne. Les jeunes apprenants seront alors surpris en s'apercevant qu'un comportement aussi inapproprié et aussi non professionnel que celui dont a fait preuve la France, provenait d'une des grandes puissances les plus réputées, les plus expérimentées, les plus respectées et les plus influentes sur la scène diplomatique planétaire.

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2 - Le président français a donc finalement jeté l'éponge comme on le dit dans le jargon de la boxe anglaise, après avoir déployé des énergies futiles à tenir des propos injurieux, moqueurs, condescendants et vexatoires comme réponse à l'évolution interne certes brutale mais souveraine et discrétionnaire, d'un pays considéré à tort ou à raison, d'importance stratégique majeure dans son dispositif diplomatique africain.

3 - Tous les meilleurs spécialistes, praticiens, experts et analystes avisés, l'avaient pourtant prévenu directement ou indirectement, voyant venir une issue pénible pour la réputation et la crédibilité du président en particulier, et pour l'image et l'auréole de la France en général dans le concert des nations. L'embêtant dans cette affaire trouble, c'est que l'histoire ne parlera pas de l'échec et de la honte de monsieur Emmanuel Macron, mais plutôt de la déroute et de la déculottée de la France. C'est un autre Dien Bien Phu. Dommage.

4 - La France a donc cédé aux exigences des nouvelles autorités nigériennes. Mais pour autant, la France a-t-elle perdu l'Afrique ? La France a-t-elle tout perdu, grillé ses cartes, compromis ses intérêts et ruiné son influence ? La réponse à ces questions offre une bonne compréhension de l'état des lieux en ce qui concerne la place, le rôle et l'avenir des intérêts français en Afrique francophone en particulier et en Afrique en général.

A - La France est et reste sur place

5 - Voyons, en prenant un seul cas, pour ne pas aller chercher plus loin. Pendant que les petites plumes et les langues fourchues se délectaient de l'humiliation de la France, certains parlant même de la fin de la France, on signait à Yaoundé un accord pour confier à EDF (électricité de France), la construction d'un barrage de 500 MW qui sera le plus grand du pays, après celui juste achevé de 450MW par le même mastodonte qui est une entreprise publique française. Ce n'est pas tout, on signait encore dans la même lancée, avec une des principales sociétés françaises de contrôle de gestion et d'audit, une convention pour lui confier, confier, confier, confier la supervision et la rationalisation de la gestion de notre société nationale d'électricité. Donc plus de six décennies après les supposés indépendances et en dépit de notre grande gueule, nous sommes toujours incapables de connecter un câble électrique à partir d'une centrale de distribution, le surveiller et l'entretenir, puis gérer les dysfonctionnements techniques et émettre des factures et encaisser les payements ? Où sont les grandes gueules du nationalisme, du panafricanisme et de l'anti-impérialisme ?

6 - On ne cite pas Bolloré qui gouverne les chemins de fer et met les pieds partout. On ne cite pas l'industrie brassicole où CASTEL tient les deux tiers du marché en rendant la majorité de la population alcoolique, en se hissant aussi au rang de premier employeur du pays. On ne parlera pas du domaine de la banane ni de Cami Toyota qui contrôle les deux tiers des importations et de distribution des véhicules neufs. Les Japonais sont interdits de nous vendre directement leurs produits. Why ? L'indépendance devrait aussi commencer par la réfutation de cette hérésie, tout comme la dignité également.

7 - Allez donc chercher en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Gabon, au Bénin, au Togo, et venez me dire comment la France est vaincue ou comment elle a tout perdu en Afrique. Du vrai lyrisme. Mais non, connaissez-vous ce que fait et vaut la France au Nigéria, en Angola, en Afrique du Sud, au Maroc, en Algérie et jusqu'au Kenya ? Elle y est puissante dans l'industrie, la finance et les services juteux qui dégagent des bénéfices dix fois supérieurs à ce qui existe ou existait dans ses anciennes colonies ou possessions tutélaires.

B - Petite bataille ne sera jamais grand combat ni lutte pour la survie

8 - Le Niger est une bataille, encore qu'il faut craindre que ce soit une bataille inachevée. On insulte et on n'humilie pas un grand sans payer tôt un prix. On ne joue pas avec les cinq grandes puissances du Conseil de sécurité comme on arrache le gâteau d'un petit camarade dans la cour de récréation et l'affaire s'arrête à quelques pleurs voire à une banale plainte vite oubliée et gérée par la maîtresse. Le monde qui change se met en place en se métamorphosant et en faisant émerger de nouveaux acteurs institutionnels et conventionnels certes, mais les règles du jeu demeurent manipulées, contrôlées et surveillées par les puissances dominantes. Il en sera encore ainsi pour longtemps, suffisamment longtemps pour paralyser ou pour freiner, ralentir et encadrer malicieusement les ambitions légitimes de sortie du piège du Franc du comptoir colonial (Franc CFA), pour ne citer qu'une des plaies purulentes et infectée.

9 - Il n'y a aucun doute que la France s'est comportée de façon à jeter le doute sur la qualité de ses stratèges autour du président, et de manière à s'interroger sur son statut de puissance planétaire ayant un passé colonial et un bilan diplomatique considérablement instructif pour lui éviter certaines erreurs, défaillances, et difficultés dans le discernement des jeux et des enjeux du monde. De mémoire de diplomate expérimenté et d'enseignant des relations internationales, je n'avais jamais vu ça, peut-être les mauvais calculs de Nixon et la déroute des Etats unis au Vietnam. Mais rien ne devrait nous autoriser à nous satisfaire bruyamment d'une évolution subite dans nos relations avec la France, si les éléments d'appréciation se limitent à une constatation des brouilles de pure circonstance intervenues dans les rapports avec quelques pays du continent.

10 - La France est, a toujours été et demeurera un acteur majeur dans les ordonnancements de la scène politique, culturelle, scientifique et diplomatique africaine. Les errements qui consistent en une cristallisation des règles d'admission des étudiants africains dans les unités de formation académiques et professionnelles en territoire français, procèdent de plusieurs grilles de lecture dont certaines sont ou seraient d'abord bénéfiques pour l'Afrique. En effet deux étudiants africains sur trois ne reviennent plus sur le continent et callent dans les pays de formation en Europe et aux Etats unis, où ils épaississent le catalogue de la fuite des cerceaux. C'est un manque à gagner immense pour nous, une désolation pour la continuité des familles et pour la sauvegarde des patrimoines et coutumes nôtres.

C - Immigrés et réalités ambivalents

Qui gagne et qui perd véritablement ?

11 - Pour la France comme pour les autres pays d'accueil, le bénéfice était jusqu'à une certaine date sans tâche, dans la mesure où des jeunes talents étaient avalés dès les bancs par les secteurs demandeurs de sang neuf dévoué et corvéable à volonté. Si le besoin demeure d'actualité, un autre problème est venu troubler la mécanique. En effet les jeunes cadres une

fois bien établis, font de plus en plus venir des parents généralement en âge avancée qui traînent des maladies budgétivores de fin de vie. Les systèmes de sécurité et de protection sociale de ces pays pâtissent dorénavant de leurs prises en charges et de leurs fraudes aussi.

12 - Le président français a sans doute d'autres analyses et d'autres stratégies dont la visibilité même cohérente selon ses propres calculs, demeure difficile à percevoir par une lecture immédiate. Il est par conséquent illusoire, irréaliste et gravement risqué, d'annoncer la fin de la France en Afrique, surtout pas la déroute que s'empressent de clamer certains. Les Etats Africains demeurent dans l'ensemble d'une fragilité et d'une organisation institutionnelle piteuse qui autorise tous les coups, toutes les influences externes ainsi que toutes les manipulations.

13 - En effet les grandes puissances sont rompues dans l'art et la culture des voies de fait criminelles ainsi que des moyens d'influence sournois et morbides. Les scènes des multiples crises et des tensions diplomatiques le prouvent. Leurs services spéciaux visibles et invisibles, tiennent toujours les manettes prêtes pour des coups tordus à leurs avantages, ou pour l'administration de leçons cruelles de vengeance. François Hollande a révélé qu'il avait ordonné la liquidation d'une quinzaine d'ennemis de la France catalogués terroristes moins de six mois après son arrivée à l'Elysée. Ils font souvent payer le prix aux auteurs d'atteinte à leurs intérêts vitaux. Comment oublier Lumumba, et comment ne pas croire à leur satanisme permanent, en constatant que plus de deux décennies après Lumumba, Sankara connu exactement le même sort et la même fin impitoyable ?

D - Apprendre de l'histoire pour mieux se taire

ou pour mieux se préparer

14 - Les dernières nouvelles du Burkina renforcent notre conviction sur l'existence de nombreux Blaise Compaoré, entretenus autour de nous, pour exécuter des basses besognes au moment opportun. Si l'exfiltration de ce traitre vers la Côte d'Ivoire après la révolution du 30 octobre 2014 pouvait parler, alors nous comprendrions qu'il ne sert à rien de célébrer. D'ailleurs nous avons tous assisté à son bref voyage en terre natale pour narguer le peuple et souiller la mémoire de Sankara ainsi que de ses douze camarades crucifiés sous ses ordres avec la protection et la diligence de la mère patrie.

15 - Ce n'est donc ni le moment, ni le lieu de danser sur une quelconque défaite de la France. Les obsèques ne sont certainement pas à l'ordre du jour, et ne le seront peut-être jamais ou pas avant très longtemps. C'est bien de savoir, vouloir et pouvoir allumer de petits feux dans la petite cour de sa case, mais en parler comme si c'était un incendie de toute la forêt est infantile. Ce n'est pas parce qu'un lion a buté sur une motte de terre façonné par un lapin qu'il n'est plus un lion. Cela est tout juste embarrassant pour lui.

16 - Et puis, demandez des nouvelles à Sassou Nguesso du Congo, ou alors entrez en profondeur dans la célébration de « CAN TOTAL ENERGIE ». Vous bouclerez très vite votre bec, en comprenant qui fait et défait tours les jeux, décide des enjeux et gère effectivement les rapports des forces. Prudence donc./.

Yaoundé, le 28 Septembre 2023

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