Afrique: Editions en Afrique - Muriel Troadec parle de sa passion pour le livre

Amoureuse des belles lettres et responsable des éditions Les Lettres Mouchetées implantées à Pointe-Noire, la deuxième ville du Congo, Muriel Troadec vit sa passion du livre depuis huit ans et ne baisse pas les bras.

Dans une interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville, elle revient sur ses premiers pas en tant qu'éditrice, parle des défis toujours plus nombreux du monde de l'édition, surtout en Afrique, et lance un cri du coeur :« Soutenez-nous et aidez-nous à continuer à produire et diffuser des ouvrages de qualité ».

Pouvez-vous vous faire connaître à nos lecteurs ?

Je suis née le 3 avril 1968 à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Mon arbre généalogique puise ses racines dans plusieurs continents : Asie, Amérique du Sud et Europe. J'ai vécu de longues années en Afrique, dans plusieurs pays africains, le Libéria, le Ghana et le Gabon. J'ai un goût prononcé pour la lecture dès mon plus jeune âge. Les livres sont mes fenêtres ouvertes sur le monde.

Comment est née la maison d'édition Les Lettres mouchetées ?

En 2013, le destin me ramène en Afrique, notamment à Pointe-Noire, au Congo. Mon père est né à Brazzaville. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça voulait dire beaucoup. J'y vois un signe. Je découvre la richesse de la littérature du Bassin du Congo, à travers les oeuvres de ses pères. C'est ainsi qu'en 2015, je crée Les Lettres mouchetées. L'objectif est d'accompagner et de promouvoir les plumes du terroir qui dépeignent la société congolaise.

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Dès le début, je suis aidée et soutenue par Alphonse Chardin N'kala, écrivain et promoteur de la culture de son pays. C'est Fabienne Bidou, alors directrice de l'Institut français, qui nous met en relation. Alphonse m'apprend les usages, me présente des artistes et des auteurs. C'est ainsi que Guillaume Makasi, artiste peintre de Pointe-Noire au génie singulier, va illustrer la plupart de nos couvertures. Cette rencontre avec Alphonse est providentielle. Et le temps n'a jamais déprécié notre attachement réciproque.

Pouvez-vous nous parler de la suite de cette aventure ?

Dès le début de la création de la maison, je trouve un distributeur en France, car il m'importe de transmettre cette richesse et cette diversité culturelle à la connaissance de « l'autre monde ». Au début, nous sommes noyés dans la masse; mais je persévère et nos auteurs de la diaspora congolaise basée en France sont très actifs dans la communication. De bouche à oreille, et de par le fonctionnement des réseaux, nous gagnons en visibilité. Le monde littéraire africain est pluriel, marqué par la diversité de ses expressions, le reflet de ses différentes cultures. À l'instar d'Alain Mabanckou, d'Emmanuel Dongala, de Gabriel Okoundji, et des grands écrivains qui les ont précédés comme Guy Menga, Henri Lopez, Sony Labou Tansy, Jean-Baptiste Tati Loutard... il y a toujours des plumes talentueuses qui ne demandent qu'à émerger. En cela, j'ai souhaité élargir notre horizon littéraire aux plumes venues d'autres pays africains: le Burkina, le Sénégal, le Cameroun et la République démocratique du Congo, pays avec lequel nous avons engagé un partenariat en 2022 pour une représentation de l'autre côté de la rive, mais aussi en vue de créer un pont littéraire entre les deux Congo.

Quelle est la politique éditoriale des Lettres mouchetées ? Et combien d'ouvrages déjà publiés ?

Notre politique éditoriale est orientée essentiellement vers une littérature africaine francophone qui aborde également des thèmes universels (la guerre, le terrorisme...) sous forme de fictions, romans historiques ou inspirés de faits réels, nouvelles, récits, essais... des ouvrages qui reflètent les traditions, la mémoire d'un pays, son histoire et son désir d'avenir. Nous avons également pour vocation de promouvoir les jeunes plumes modernes qui réinventent l'expression au fil de l'actualité. À l'avenir, nous souhaitons diversifier nos publications et nous adapter à l'évolution de l'environnement et de la société. À ce jour, nous avons déjà publié une bonne quarantaine.

Huit ans après sa création, quel bilan faites-vous de votre maison d'éditions ?

Cette maison d'édition est un trait d'union, elle rassemble un collectif d'auteurs inspirés et animés par la volonté de transmettre une histoire, votre histoire, notre histoire. Mais elle s'interroge aussi sur l'avenir et le monde. Aujourd'hui, nous sommes à la croisée des chemins. La maison Les Lettres mouchetées, ancrée à Pointe-Noire, en République du Congo, doit se développer, se structurer pour rayonner dans la zone francophone africaine. Pour cela, nous travaillons désormais avec une société de distribution implantée à Douala, plaque-tournante de distribution des ouvrages dans la zone francophone.

Des défis majeurs à ce jour ?

Malgré toutes les collaborations animées par la même volonté de faire circuler la littérature et l'énergie que nous y mettons, la trésorerie nous fait défaut pour répondre aux frais engendrés par la logistique : retirage, conditionnement des ouvrages, transport et acheminement des livres par fret maritime ou aérien, frais de douane. En effet, faute d'avoir trouvé un outil de production en Afrique, notre production se fait en France. D'autre part, étant de plus en plus sollicité, nous souhaiterions établir une enseigne visible à Pointe-Noire, engager du personnel en particulier des jeunes étudiants diplômés et motivés parce qu' à terme, il faudra envisager la relève, la transmission des Lettres mouchetées.

Enfin, il y a des difficultés de distribution et de diffusion des livres en Afrique en raison du manque d'infrastructures, des délais d'acheminement trop longs, trop coûteux ou inexistants, difficultés d'accès aux livres dues à la faiblesse du pouvoir d'achat des habitants, la demande étant principalement orientée vers les livres scolaires et universitaires, les livres de littérature ou de loisir ne sont pas la priorité. L'Afrique a des défis à relever en matière éditoriale pour aider le livre à circuler et le rendre accessible, notamment en solidifiant les maillons de la chaîne du livre à travers les acteurs du monde éditorial : imprimeurs, éditeurs, libraires, distributeurs et diffuseurs.

Un message de fin pour clore cet entretien

Mon message s'adresse avant tout aux décideurs de la République du Congo. Soutenez-nous et aidez-nous à continuer à produire et diffuser des ouvrages de qualité. Donnez-nous les moyens d'une installation stable et durable à Pointe-Noire, d'employer du personnel, de faire participer nos auteurs aux diverses manifestations culturelles en Afrique et en Europe. Aidez-nous à maintenir cette embarcation qui, malgré l'engouement qu'elle génère, commence à subir quelques graves avaries. Aidez-nous à structurer cette petite entreprise éditoriale pour nous permettre de la transmettre aux futures générations.

Aux auteurs qui nous sollicitent, je préfère recevoir des textes soignés, bien présentés et sans fioritures, ni mises en page extravagantes. L'essentiel se trouve dans le contenu. L'écriture est aussi synonyme de souffrance, ça vient de loin, il faut puiser en profondeur avant d'aboutir à une version convaincante. J'aime savoir d'où vient l'inspiration, ce qui a motivé l'écriture d'un texte, d'une histoire.

Les lecteurs sont le moteur, les promoteurs de notre littérature. Faites preuve de curiosité, d'ouverture d'esprit pour découvrir d'autres horizons. Que la jeunesse s'empare des livres pour s'imprégner des chemins parcourus et éveiller leurs consciences.

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