Tunisie: Mohsen Kalbousi, Universitaire et biologiste, à la presse - « On se soucie peu de la pertinence des moyens de lutte adoptés pour arrêter la propagation de nouvelles invasions »

1 Octobre 2023

Les cultures de figues de Barbarie sont directement menacées.

D'autres espèces invasives menacent-elles la Tunisie ? Pour en savoir davantage, nous avons rencontré l'universitaire et biologiste Mohsen Kalbousi, engagé sur des questions sociales et environnementales, notamment l'eau, la souveraineté alimentaire, l'agroécologie, l'extractivisme et les changements climatiques. Le point de la situation.

Si vous nous présentiez cet indésirable ravageur ?

Les cochenilles sont des insectes à mobilité réduite. Elles sont des parasites des plantes et se nourrissent de leur sève.

Ce qui conduit à leur affaiblissement. Elles posent problème pour l'homme en s'attaquant à ses cultures.

Leur faible mobilité n'a pas empêché leur dissémination au niveau global. En effet, la globalisation des échanges a permis leur expansion de par le monde.

Ces espèces sont favorisées par un environnement chaud et humide.

Elles sont difficiles à éliminer du fait de l'imperméabilité de leur carapace, de leur petite taille, de leur taux de reproduction rapide et de l'absence d'ennemis naturels dans les pays où elles se sont introduites.

En Tunisie, de nombreuses espèces ont un impact économique du fait qu'elles s'attaquent à des espèces cultivées.

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Citons le cas de la cochenille tortue qui s'attaque aux agrumes et aux oliviers.

C'est aussi le cas de la cochenille noire des agrumes qui se présente sous forme de petites taches noires sur les feuilles des arbres infestés.

Pour ce qui est de la cochenille du cactus, introduite récemment et qui s'attaque aux cactus, elle est originaire d'Amérique du Sud et du Mexique.

En Tunisie, cette espèce a vu son aire de répartition s'étendre avec le temps depuis son signalement, malgré les efforts de son confinement.

Elle se trouve actuellement à Mahdia, Sfax, Monastir, Sousse et Kairouan.

Le Maroc a été attaqué avant nous par la cochenille du cactus contre laquelle une stratégie a été adoptée par la sélection de variétés de cactus résistantes à cet insecte.

La même stratégie semble avoir été adoptée en Tunisie, simplement parce que l'expansion de l'espèce est hors de contrôle et que les moyens mis en place pour la confiner se sont avérés très coûteux et vains.

D'une façon générale, nous nous intéressons instantanément aux espèces invasives qui nous préoccupent pour le moment, sans nous soucier de la pertinence des moyens de lutte adoptés pour limiter les effets d'une nouvelle invasion.

Et on adopte la stratégie la plus facile pour tenter de protéger les espèces ou les environnements ciblés par ces invasions biologiques.

Globalement, le recours à la lutte chimique malgré ses limites, semble être le moyen le plus communément adopté sans que des interrogations relatives aux impacts sur l'environnement et la santé humaine ne soient posées.

Le cas du charançon rouge est toujours présent dans les esprits, et malgré les moyens mis en oeuvre, l'insecte n'a pas été éradiqué.

Le fait d'abattre -- comme ultime solution -- les palmiers attaqués sans les brûler laisse des chances au charançon de progresser, ou du moins ne l'élimine pas.

Nous voyons encore des palmiers d'ornement ou des feuilles de palmier transportés d'une région à une autre, sans que leur transfert vers le sud du pays ne soit bloqué, car les risques sont réellement énormes si cet insecte atteint les palmeraies tunisiennes.

Le cas du crabe bleu qui infeste la Méditerranée est un autre cas d'invasion biologique connu de tout le monde.

L'exploitation commerciale de cet animal a atténué les inquiétudes le concernant, mais les problèmes écologiques qu'il pose ne sont le souci que d'une minorité...

Bref, les centres d'intérêt du public semblent se focaliser sur les espèces qui sont potentiellement dangereuses sur le plan économique.

Nous avons l'impression que durant ces dernières années, les invasions biologiques se sont multipliées, mais nous n'arrivons pas à déterminer avec précision les failles par lesquelles ces invasions peuvent avoir lieu.

Autrement, si ces espèces sont arrivées à s'installer, d'autres risqueront de nous envahir à moins qu'un système de veille efficace ne soit mis en place.

D'autres invasions biologiques de ce genre ont-elles été observées par le passé ?

Des espèces exotiques ont été introduites pendant la période coloniale et se sont multipliées et même installées dans nos espaces naturels.

Elles ne sont pas perçues comme espèces exotiques, simplement parce qu'elles se sont installées depuis bien longtemps déjà.

C'est le cas par exemple du tabac glauque ou du ricin.

L'ailante ou le « mimosa » par exemple, même introduits pendant la période coloniale, n'ont vu leur caractère invasif s'exprimer que depuis quelques décennies, tout au plus, sans que leur présence dans le milieu naturel ne pose problème pour personne.

Au cours des années 1990, l'invasion de la Méditerranée par la caulerpe, une algue d'origine tropicale utilisée dans l'ornementation des aquariums, a suscité beaucoup d'intérêt.

Elle a été détectée en Tunisie dans quelques ports (Sousse, Cap Bon), mais elle ne suscite la curiosité de personne même si elle pose de sérieux problèmes dans le fonctionnement de l'écosystème marin.

La morelle jaune introduite il y a une quarantaine d'années, et continuant à s'étendre actuellement, pose un sérieux problème, surtout aux agriculteurs. L'espèce, d'origine américaine, s'acclimate bien dans un environnement aride.

Seuls les agriculteurs dont les champs sont envahis s'en soucient, mais ne trouvent toujours pas de solution pour l'éliminer ou réduire ses impacts.

Depuis quelques années, un espèce d'oiseau, la perruche, habituellement animal de compagnie, s'est échappée du parc du Belvédère et occupe actuellement ses environs.

La présence de cette espèce ne semble susciter l'intérêt de personne.

Un autre exemple d'invasion biologique en milieu marin est celui des poissons en provenance de la mer Rouge.

Ces derniers se sont introduits par le Canal de Suez et sont favorisés par les changements climatiques en cours.

D'ailleurs, plusieurs autres groupes d'animaux originaires de cette mer ont tendance à envahir l'espace méditerranéen et risquent de modifier le fonctionnement des écosystèmes où elles réussissent à s'installer...

Y-t-il d'autres espèces potentiellement invasives qui menacent la Tunisie ?

Un risque réel d'introduction de la Xylella existe pour la Tunisie.

Cette bactérie qui s'attaque aux oliviers et les condamne à une mort certaine est présente en Italie, en France et dans d'autres pays.

Xylella a été détectée dans une trentaine d'espèces de plantes hôtes, lesquelles, une fois introduites, risquent de se disséminer dans nos oliveraies.

Des travaux ont montré que les conditions de l'environnement en Tunisie sont très favorables à cette espèce à cause des changements climatiques en cours.

Le légionnaire d'automne ou noctuelle américaine du maïs est une espèce de papillon nocturne originaire du continent américain.

Elle a été détectée en Afrique en 2016. Sa chenille consomme les feuilles de différentes cultures, notamment le maïs et le sorgho.

En peu de temps, cette espèce a colonisé pratiquement tous les pays africains situés au sud du Sahara. Son danger vient du fait que ses chenilles sont polyphages et peuvent s'attaquer à plus de 100 espèces de plantes...

Comment s'en protéger ?

Au rythme où vont les choses, des invasions biologiques vont certainement avoir lieu, favorisées aussi bien par les échanges commerciaux que par les changements climatiques, sans oublier les introductions délibérées par les humains.

Certaines espèces sont déjà présentes en Tunisie et méritent qu'un plan de lutte efficace soit mis en place.

La progression de la morelle jaune en particulier devrait être suivie de près et son expansion limitée, au moins pour qu'elle n'atteigne pas les régions où elle est encore absente.

Une mesure d'urgence doit être mise en place, à savoir un observatoire des espèces exotiques pour : premièrement, inventorier les espèces présentes sur le territoire dans divers écosystèmes (terrestres, marins ou d'eau douce) et en milieu urbain ; deuxièmement, cartographier les aires de distribution de ces espèces et suivre leur progression ; troisièmement, mettre en place des programmes de lutte efficaces et spécifiques sans dommages sur l'environnement et la santé humaine contre celles qui ont un caractère invasif (en introduisant des ennemis naturels des espèces invasives) ; quatrièmement, procéder à l'éradication des espèces dont l'élimination est encore possible (les arbres en particulier) ; cinquièmement, envisager des stratégies permettant de limiter les dégâts des espèces invasives (telles que la diversification des cultures pour réduire leur progression dans les exploitations agricoles) ; et sixièmement, informer le public sur les espèces invasives et leurs dangers potentiels...

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