Sénégal: Koumpentoum - Konté Peulh, sanctuaire pour les déficients mentaux

1 Octobre 2023

Konté Peulh, un hameau situé dans la commune de Kahène, département de Koumpentoum, est un havre de paix pour les malades mentaux.

Plus de 300 y sont présentement soignés et très bien traités. À la grande satisfaction de leurs familles.

TAMBACOUNDA - Médina Kanéne Malick est un village de la commune de Kahène, dans le département de Koumpentoum.

Il est composé de deux hameaux : Konté Wolof et Konté Peulh ou encore Saré Alpha dans les documents administratifs.

Situé au Nord-Est, à 28 kilomètres du village chef-lieu de commune, Konté Peulh compte 286 âmes.

Sa particularité : on y soigne des déficients mentaux. Actuellement, 300 malades y sont en traitement par la médecine traditionnelle.

Pour se rendre dans cette localité, en période d'hivernage, c'est un véritable parcours du combattant.

Dès la tombée des premières pluies, les habitants éprouvent d'énormes difficultés pour rallier les autres villages à cause d'un ravin qui fait obstacle, mais aussi de l'absence de pistes praticables.

Après un voyage tumultueux, marqué par plusieurs chutes, nous parvenons à accéder au village.

À l'entrée, un grand puits où se retrouvent les femmes pour faire le linge. Les hommes s'y aventurent également pour abreuver leurs animaux.

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Le village est comme une grande maison. Ici, c'est une seule famille (la famille Diallo) qui peuple le village, tout le monde est parent et les concessions sont juste séparées parfois par des murs de clôture.

Nous dépassons quelques concessions avant d'arriver à celle du chef de village, qui est également l'aîné de la famille Diallo, Thierno Mamadou Diallo. Une grande maison, avec une cour imposante et de nombreuses chambres tout autour.

Dans cette maison, il y a d'un côté la famille du patriarche, ou émane l'odeur de la bouillie. Il est 10 heures, c'est le moment du petit déjeuner.

De l'autre côté, des chambres devant lesquelles sont assis les malades.

L'un d'eux nous aborde. Il veut qu'on le prenne en photo. Le malade, un ancien émigré, a fait le tour de l'Europe. Il parle plusieurs langues (français, anglais, italien, espagnol).

Nous le mettons au défi avec notre espagnol approximatif. Il répond avec une telle aisance, et veut continuer la discussion.

Avant de prendre congé de lui, nous accédons à sa demande et le prenons en photo. Très content et en rigolant, il nous lance un reconnaissant « Merci ».

Nous traversons la cour et suivons une femme qui nous montre la demeure du vieux Diallo. Une case en paille, avec une porte en zinc.

Nous retrouvons, à l'intérieur, le chef de la concession, assis sur son lit en bois, recouvert d'un drap blanc orné de dessins de fleurs roses. Des mallettes superposées meublent, de part et d'autre, la chambre.

L'homme, de teint noir, âgé de 65 ans, vêtu d'un kaftan vert sombre, se lève pour nous accueillir. Il nous invite à nous asseoir sur une natte.

Une tradition de père en fils

Dans cette localité, composée essentiellement de peulhs, la principale activité économique demeure l'agriculture.

Mais, si aujourd'hui, ce hameau est connu de tous, et est si populaire, c'est plutôt grâce à une autre activité : le traitement de déficients mentaux.

Ce lieu est un véritable sanctuaire pour les malades mentaux venus de tous les coins du monde pour se soigner.

En effet, ils y viennent, s'y soignent et y retrouvent une vie normale. « Ils sont entretenus, nourris et protégés. Nous mangeons la même chose et utilisons les mêmes objets », ajoute le guérisseur.

Dans ce petit village, pratiquement tous exercent ce métier de guérisseur, qui est transmis de père en fils.

Le chef de village de Saré Alpha et une trentaine de ses frères ont hérité de ce don de leur père qui lui-même l'a hérité de son père.

Ils ont, à leur tour, transmis cette science à leurs enfants.

Aujourd'hui, Mamadou Thierno Diallo est épaulé par une dizaine de ses enfants dans le traitement de plus de 300 malades mentaux qu'il a à sa charge.

Ce lieu, qui n'a rien à envier aux centres de santé mentale, a accueilli des milliers de déficients au fil des ans. Ils viennent de partout du pays, de la sous-région et même de l'Occident. Selon le vieux Diallo, il n'y a pas un jour où il ne reçoit pas de malades.

D'ailleurs, au moment où il échangeait avec nous, un patient du village de Maka Colibantang était en chemin.

C'est sur le chemin du retour que nous avons aperçu une voiture blanche transportant le malade.

Dans la cabine, à l'arrière, on voit un homme bien muselé, assis entre deux personnes.

Des patients arrivent dans ce village, malades et y repartent guéris.

Ils sont plusieurs à passer par là, certains même nous viennent de l'hôpital Dalal Xél de Thiès, souligne le chef de village.

Pour les soigner, les guérisseurs s'appuient sur le coran, de la poudre et des herbes. Ils leur font prendre des bains mystiques pour conjurer le mauvais sort.

La durée des soins peut aller jusqu'à 5 ans. « Si la maladie est récente, elle peut être guérie en moins d'une année. Parfois, la guérison peut prendre beaucoup de temps », informe Mamadou Saliou, petit frère du chef de village.

Au début de leur traitement, les malades violents sont isolés dans des chambres ou des maisons conçues à cet effet, sous haute surveillance, parce qu'ils peuvent constituer un danger pour eux-mêmes et pour les autres.

Une fois qu'ils vont mieux, ils intègrent la maison avec les membres de la famille. Ils accompagnent les enfants dans les champs, s'occupent des animaux. Ils font tout, à tel enseigne qu'on les confond souvent avec les membres de la famille.

Au moment de l'entretien, un adolescent qui, visiblement, vient de quitter les champs, entre dans la maison et s'adresse à notre interlocuteur, en nous serrant la main. « Les gars disent qu'ils veulent boire du thé », dit-il.

Un appel à l'État

Cet ado qui, aujourd'hui, jouit apparemment de toutes ses facultés mentales, était très malade il y a encore deux ans.

Il utilisait ses selles pour s'enduire le visage et le corps, se souvient le guérisseur. Il nous montre une fille qui, elle, vient de Koungheul.

Cette dernière, avec une amulette rouge, en forme de collier, autour du cou, distribue le déjeuner. Interrogée, la jeune fille dit se sentir bien à Konté Peulh et ne veut plus rentrer.

Chez Ousmane Diallo, un autre frère du chef de village, une jeune fille, venue de la République de Guinée, s'active dans la cuisine pour le repas de midi.

Une fois ces malades complétement guéris, leurs parents viennent les chercher. D'autres, par contre, restent des années sans voir quelqu'un venir les récupérer.

Les guérisseurs n'ont pas manqué de lister les nombreuses difficultés qu'ils rencontrent dans cette mission, appelant ainsi l'État à les accompagner.

Selon eux, la principale difficulté reste l'alimentation. Nourrir un si grand nombre de personnes exige beaucoup de moyens. « Un sac de riz ne fait pas plus de 2 jours », révèlent-ils.

En effet, la prise en charge pose un problème. Ils estiment que ce que les parents donnent, quand ils amènent leurs malades, est très insuffisant.

Cette somme ne peut même pas couvrir la prise en charge pour un mois. Ils ont relevé d'autres problèmes qui gangrènent ce petit village frontalier avec la Gambie : l'électricité et le bitumage de la route Kahéne-Kawsara 14-Médina Kanène Malick.

La réalisation de ce tronçon facilitera la mobilité des nombreuses personnes qui empruntent cet axe. Et enfin, avec l'électrification, la zone sera mieux sécurisée.

Historique du village

Konté Peulh est créé en 1956 par un peulh, du nom de Djily Dia, qui avait quitté Konté Wolof.

C'était une forêt sombre où vivaient beaucoup d'animaux.

Durant la même année, son enfant a été attaqué par un lion et a succombé.

C'est ainsi qu'il a été contraint de partir avec le reste de sa famille. En 1957, Diouma Diallo, le père de l'actuel chef de village, arrive à Konté Peulh avec ses deux épouses et son neveu, après avoir tout perdu dans l'incendie de sa maison à Koungheul.

Il s'installe dans cette forêt, malgré les avertissements de ses parents. En ce moment-là, un seul puits était fonctionnel pour les habitants. Il n'y avait pratiquement rien à manger.

Diallo père était un grand marabout, un érudit qui était connu de tous et surtout de grandes personnalités religieuses de ce pays.

Il avait noué des relations d'amitié et de fraternité avec beaucoup de ces dernières. « Serigne Abdou Lakhat, Serigne Abdoul Aziz Sy « Dabakh », Baye Niass, Thierno Mountaga Tall, Thierno Mamadou Seydou Ba de Médina Gounass, Serigne Fallou Mbacké, Serigne Abdoul Khadre, tous étaient ses amis », confie son fils. « Eux tous, je les ai vus de mes propres yeux.

J'y suis allé avec mon père », déclare le chef de village. Des autorités étatiques, également comme l'ancien Président Senghor, qui a eu à le décorer, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade (avant d'être Président), sont venus à Kahène et l'ont rencontré. « Macky Sall, avant qu'il ne soit Président, est venu à plusieurs reprises à Kahène avec son homonyme Macky Gassama qui était un ami intime de mon père », dit Thierno Mamadou Diallo.

Selon lui, la vie de son père était très simple, il n'était pas emporté par les plaisirs mondains.

Il ne demandait pas de service, et quand on lui donnait quelque chose, il offrait tout à ses voisins. « Toutes ces mallettes que vous voyez-là étaient pour lui, on lui donnait des habits mais, il préférait toujours ses haillons.

De mon existence, je l'ai vu très rarement porter des habits neufs. Des chaussures, il n'en portait jamais », avance-t-il.
En 1958, est né l'actuel chef de village, une année après leur installation à Konté Peulh. Il est le premier enfant né dans le village. Son père l'envoie apprendre le coran.

Au décès de son père, il lui succède au titre de chef de village.

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