Sénégal: Présidentielle 2024 - Forces et faiblesses des candidats dissidents de BBY

2 Octobre 2023

Depuis que le Premier ministre Amadou Bâ a été choisi comme tête d'affiche de la coalition présidentielle pour le scrutin du 24 février 2024, des dissidences ont été notées du côté de la mouvance présidentielle.

Certaines personnalités politiques ont pris l'option de quitter la barque pour se lancer à la conquête du suffrage des Sénégalais à la prochaine présidentielle. Quelles sont leurs chances de remporter cette élection ? Des analystes politiques donnent leur point de vue.

Les démissions dans la coalition présidentielle, suite au choix porté sur le Premier ministre Amadou Bâ, marquent l'actualité politique. Le Ministre de l'Agriculture, Aly Ngouille Ndiaye, a rendu le tablier quelques minutes seulement après l'annonce de la désignation du Chef du Gouvernement comme candidat de la coalition « Benno Bokk Yaakaar » (Bby) pour la présidentielle de 2024. Il a été suivi par le maire de Kolda, El hadji Mamadou Diao dit Mame Boye Diao. Le maire de Sandiara, Dr Serigne Guèye Diop, a démissionné aussi de son poste de Ministre conseiller pour se présenter, etc. Le jeudi 21 septembre, l'ancien Premier ministre Mahammed Boun Abdalah Dionne a annoncé aussi sa candidature pour la prochaine élection présidentielle.

Ces hommes politiques, membres influents de la mouvance présidentielle, ont l'avantage d'être des poids lourds. Ils disposent d'une bonne base politique et d'une forte représentativité électorale. Pourtant, des questionnements ne manquent pas quant à leurs chances de se positionner sur l'échiquier politique sans la machine électorale de Bby.

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Le maire de Linguère, Aly Ngouille Ndiaye, pouvait se réjouir de la position de ses sympathisants juste après sa démission au poste de Ministre de l'Agriculture. Ces derniers sont vite montés au créneau pour lui offrir leur soutien et lui témoigner leur disponibilité à le conduire au Palais présidentiel. Mais, ils semblent essuyer un revers après que les 16 maires sur les 19 du département de Linguère ont annoncé publiquement lui avoir tourné le dos au profit du Ministre Samba Ndiobène Kâ.

Une décision qui risque de gripper la machine électorale de l'ancien Ministre de l'Intérieur présenté pourtant comme un pilier sûr de la mouvance présidentielle. Aly Ngouille Ndiaye a toujours considéré que le candidat de la mouvance présidentielle doit disposer d'une certaine épaisseur politique. « Il doit posséder une dimension politique ; ce qui revêt une importance primordiale. Il doit avoir la capacité de rassembler non seulement au sein du parti, mais également au-delà de ses frontières. Je pense que c'est ce facteur qui est crucial si nous aspirons à remporter l'élection », avait-il souligné lors d'une sortie médiatique.

Mame Boye Diao, dont les ambitions présidentielles ont été révélées, a lui aussi défié l'autorité en ne se conformant pas à la décision de la mouvance présidentielle. Il a été vite limogé par le Chef de l'État de son poste de Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc). En conférence de presse, le mardi 12 septembre, le maire de Kolda a déclaré se présenter au nom de la « Coalition pour un Sénégal nouveau ».

Il a comme atout le fait de sortir vainqueur des dernières élections locales, comme maire de Kolda, face au maire sortant, Abdoulaye Bibi Baldé. Il venait ainsi renforcer l'appareil électoral de la coalition présidentielle au niveau de la région de Kolda. Quant au Dr Serigne Guèye Diop, il maintient toujours sa candidature. Le président du mouvement politique « Sénégal en marche vers l'excellence » (Seme), par ailleurs maire de Sandiara, compte demander les suffrages des Sénégalais via le Parti de la renaissance de l'éthique, de la citoyenneté, de l'équité du patriotisme et de la transparence (Precept).

Passer d'abord l'étape du parrainage

Le vent de rébellion soufflera-t-il à l'avantage de ces dissidents ? Une question qui mérite d'être analysée en profondeur, selon Moussa Diaw, Enseignant-chercheur à Sciences politiques à l'Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis. Il avance, à cet effet, deux hypothèses. « Ces leaders politiques ont adopté une dissidence considérant que le choix du Chef de l'État n'est pas conforme à certains critères, tels l'engagement, la combativité, l'expérience politique et le poids électoral.

Il y a trois départs, mais ce ne sont pas les derniers. Mame Boye Diao compte dégager des axes de réflexion et annonce la publication d'un ouvrage. On sent de l'africanisme dans son discours qu'il veut engagé et révolutionnaire. Il parle aussi de réforme de la justice et de meilleure gestion de la sécurité. Il compte également développer des stratégies pour récupérer l'électorat de Sonko au sud du pays et conquérir les suffrages des jeunes. Aly Ngouille Ndiaye a annoncé la couleur. Si on suit sa logique, il va bientôt annoncer sa candidature », indique d'emblée l'universitaire.

Pour autant, il estime qu'une seconde hypothèse mérite d'être prise en compte. Cette vague de démissions peut s'inscrire dans une logique politique gagnante pour les différentes parties. « Cela peut répondre à la mise en place d'une stratégie de candidatures plurielles bien pensée au sommet. Il est question de lancer toutes ces candidatures, avec en tête, l'idée d'avoir au moins un candidat de la mouvance présidentielle au second tour des prochaines élections.

Mais, est-ce qu'il leur sera facile d'atteindre leurs objectifs s'ils misent sur ce scénario ? » s'interroge-t-il. Une question somme toute importante pour Moussa Diaw. Des calculs politiques doivent intégrer un certain nombre de risques. « Les candidatures plurielles entraîneront un éclatement des voix qui peut leur porter préjudice si l'opposition forme un bloc solide. Elles peuvent également être source de blocage pour certains leaders politiques lors du parrainage », ajoute-t-il.

Passée cette étape, l'universitaire pense, comme d'autres, que le leadership des dissidents et leur succès électoral ne sont pas adossés à la coalition présidentielle. « Mame Boye Diao, qui n'a pas une riche carrière politique, développe des thématiques sur lesquelles Ousmane Sonko a beaucoup travaillé. Aly Ngouille Ndiaye peut se passer du désaveu des 16 maires du département de Linguère. Avec le parrainage optionnel en vigueur, il peut compter sur l'appui des conseillers départementaux et municipaux de même que le soutien des citoyens. Il bénéficie d'une notoriété à l'échelle nationale », analyse M. Diaw.

Des leaders bien préparés politiquement

L'analyste politique Ababacar Fall présente une grille de lecture similaire. Il estime que ces dissidents risquent d'assombrir l'avenir de la coalition présidentielle. « Ces candidats qui veulent faire cavalier seul vont contribuer à l'éclatement de l'électorat de Bby et à sa fragilisation. C'est un peu le remake de la situation qui a prévalu au Parti socialiste en 1998/99 à la veille de l'élection présidentielle. Si l'on considère que l'électorat de « Benno » s'est rétréci, passant à 46 % aux dernières élections législatives, on voit tout le danger qui guette la coalition au pouvoir dans une élection à laquelle le Président sortant ne participe pas », fait-il savoir d'emblée.

Selon M. Fall, il ne faut aucunement minimiser les départs de Mame Boye Diao, des Ministres Aly Ngouille Ndiaye, du Dr Serigne Guèye Diop puis de l'ancien Premier ministre et Secrétaire d'Etat de la Présidence de la République Mahammed Boun Abdalah Dionnes. « D'autres pourraient suivre. Pour Aly Ngouille Ndiaye, le fait que 16 des 19 maires l'aient lâché ne signifie pas grand-chose, car ce sont les populations qui votent. En outre, je pense que ces leaders politiques ont dû avoir un agenda depuis longtemps et se sont préparés en conséquence. Nous allons vers une élection très ouverte », dit-il.

Il s'y ajoute, selon l'analyste politique, que le parrainage optionnel leur offre des avantages. « En plus de leur électorat local, ils pourront compter sur les citoyens, électeurs dans les autres circonscriptions électorales, compte tenu de la dimension nationale de l'élection et des enjeux », estime M. Fall, également responsable du Groupe de recherches et d'appui à la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec).

Il juge que ces personnalités politiques ont su affûter leurs armes depuis que le Chef de l'État, Macky Sall, a pris la décision de ne pas se présenter à la présidentielle de février 2024. « Depuis cette décision du Président, voire bien avant même, ils avaient des agendas politiques bien précis. Ils disposent aussi de moyens. Ce n'est donc pas par hasard qu'ils ont décidé, par simple humeur, de se présenter aux prochaines joutes électorales », pense Ababacar Fall.

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